Chapitre 49
Sophie avait rencardé Nicolas dans un café, il fallait qu'il discute se cette histoire. Comme elle était de passage dans la région, elle avait pris l'initiative d´organiser une rencontre afin d'avoir une confrontation avec lui, dans cet endroit neutre, d'une part pour éviter qu'elle s'emporte, d'autre part pour que la discussion se passe de manière adulte.
Lorsqu’elle s’assoit en face de lui, elle adopte un ton mesuré, comme si cette discussion n’était rien d’autre qu’une mise au point, sans effusion.
— Nicolas, on doit parler de ton texte. Tu te rends compte de l’ampleur que ça prend ? Les gens parlent de toi, certains te voient comme un exemple, d’autres te jugent… As-tu vraiment réfléchi à ce que tu as déclenché ?
Nicolas évite son regard, agacé.
— J’avais juste besoin d’exprimer ce que j’avais sur le cœur, dit-il en haussant les épaules. Et maintenant, les gens s’intéressent, ça me surprend autant que toi. Peut-être que ce texte… sert à quelque chose.
Elle lève les yeux, exhalant un souffle bref et réfléchi, comme pour tempérer son enthousiasme.
— Servir à quoi, Nicolas ? À exhiber chaque détail de ta vie comme une scène de théâtre ? Je comprends que tu traversais des moments difficiles, mais ce texte, il parle aussi d’autres personnes. As-tu pensé aux répercussions ?
Il serre les dents, sentant la tension monter, mais Sophie reste impassible.
— Je me suis retrouvé dans une situation où… où je ne contrôlais plus rien, Sophie. Tout ce que j’ai ressenti, tout ce que j’ai écrit, c’était ma manière de… survivre. Tu sais, certains plongent dans l’alcool, d’autres dans la drogue. Moi, c’était les mots et… ce foutu internement. Je ne le méritais pas, ça.
Sophie le fixe avec calme, sans compassion apparente.
— L’internement. Oui. C’était difficile, je comprends. Mais… Nicolas, ça devenait ingérable, même pour moi. J’ai dû prendre cette décision, et tu le sais. À ce moment-là, il fallait que quelqu’un intervienne. Ça t’a permis de te poser, de faire face, non ?
Il secoue la tête, exaspéré.
— Non, Sophie, ça ne m’a rien apporté. C’était juste… humiliant. J’étais enfermé, traité comme un cas désespéré. Et toi, tu pensais que ça pouvait m’aider ? Ça n’a fait qu’empirer les choses.
Elle prend un moment pour observer sa réaction, toujours aussi rationnelle.
— Peut-être, répond-elle enfin, mais c’était une solution que personne ne voulait prendre à la légère. Parfois, Nicolas, on doit passer par là pour éviter que la situation ne dérape encore plus. Le but, ce n’était pas de te punir, mais de te permettre de reprendre pied.
Il inspire profondément, les yeux rivés sur elle, frustré de sa froideur.
— Sophie, tu parles de contrôle, de responsabilité. Mais tu ne sais pas ce que c’est que d’être enfermé comme ça, sans rien pour se raccrocher.
Elle incline légèrement la tête, comme pour concéder un point, sans toutefois s’adoucir.
— Peut-être que je ne comprends pas tout, c’est vrai. Mais si tu te plonges dans cette notoriété sans aucune réflexion, c’est que tu n’as pas retenu ce qui t’a amené là. Cette attention que tu reçois… Elle n’est pas toujours saine. Tu te laisses dépasser, Nicolas, alors que tu devrais plutôt te concentrer sur comment avancer, sans avoir besoin de valider chaque douleur publiquement.
Nicolas s’affaisse un peu, désemparé. Elle observe son silence comme un signe d’ouverture.
— Ce texte n’a pas besoin d’être toute ta vie, Nicolas. Si tu veux qu’Alice, ta fille, ait une image solide de son père, peut-être qu’il est temps de redéfinir ce que tu veux transmettre. Laisse un peu d’espace à l’espoir, à la résilience, plutôt qu’à des regrets que tu ne maîtrises même pas.
Elle ne cherche pas à le consoler. C’est un discours factuel, implacable, mais sans animosité.
— Alors tu crois que… publier ce texte, c’est une erreur ? murmure-t-il.
— Je pense qu’il pourrait exister sous une autre forme. Une version qui te respecte, sans te trahir. Écrire est une échappatoire, je le comprends. Mais publier, Nicolas, c’est une responsabilité envers ceux qui te lisent et surtout envers toi-même.
Le message commence à le gagner. Sophie ne lui offre pas de solution miracle, seulement une direction rationnelle, un choix qui n’appartient qu’à lui.
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