Chapitre 51

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Nicolas consulta sa montre, un geste devenu presque un rituel depuis qu’il avait quitté le CHS il y a quatorze ans. Cette première montre qu’il s’était offerte symbolisait bien plus qu’un simple accessoire de mode. Au fil des ans, sa collection s’était agrandie, comme si chaque montre venait sceller un moment de son passé, une manière d’immortaliser le temps qui s’échappait entre ses doigts.

Il y avait quelque chose de rassurant dans le poids de cette montre à son poignet.

Dans la culture populaire, cet objet est souvent associé à la prospérité, à la réussite, parfois même à la stabilité. Mais pour lui, la montre incarnait un paradoxe plus intime, plus complexe : un souvenir à la fois douloureux et salvateur. Elle n’était pas seulement un témoin silencieux du temps qui passe, mais un écho du temps qui s’était arrêté, de ce moment où il avait dû se raccrocher aux battements réguliers des secondes pour ne pas sombrer. En des temps plus sombres, enfermé dans le silence, c’était ce tic-tac constant qui l’avait sauvé, un son qui lui rappelait qu’il vivait encore, qu’il pouvait encore compter chaque seconde, s’accrocher à chaque battement du temps comme à une ancre.

Dans Le Rouge et le Noir, la montre devient, par exemple, le symbole d’un passage, une marque du basculement vers une vie adulte et responsable. Dans les récits modernes, elle prend des sens plus abstraits, incarnant le temps perdu, la fragilité de l’existence, ou la fuite inexorable des moments précieux. Pour Nicolas, la montre était bien plus qu’un simple symbole littéraire ; elle représentait la notion du temps apprivoisé, la mesure de sa propre survie.

Il se souvenait de ces journées passées à écouter le mécanisme discret de l’horloge, son seul repère dans une réalité étouffante. C’était comme un fil invisible, une amitié silencieuse tissée avec ce simple objet, qui était devenu son confident. Aujourd’hui encore, alors qu’il se sentait si souvent déconnecté, perdu dans un monde où tout allait trop vite ou trop lentement, cette montre au poignet lui rappelait qu’il ne marchait jamais seul. C’était son secret à lui, un lien invisible avec ce qu’il avait traversé, une sorte de pacte intime avec le temps, comme s’il lui appartenait un peu.

Elle n’était pas seulement une trace du passé, mais le témoin quotidien de son chemin, de son besoin constant de rester ancré, de ne jamais oublier combien il avait lutté pour ces secondes, pour ce droit d’exister malgré le temps qui, implacable, continuait de filer.

Il rejeta un coup d’œil rapide à sa montre, puis, avec un air d’impatience feinte, sortit un billet de sa poche. Malgré l’invitation de Sophie, il avait cette vieille habitude de payer l’addition, comme pour garder une certaine maîtrise, une échappatoire silencieuse. En tendant le billet au serveur, il croisa brièvement le regard de Sophie, qui sembla hésiter, avant de lâcher un soupir presque imperceptible. Peut-être avait-elle compris qu’il avait besoin de fuir, une fois de plus.

Il remercia Sophie du regard avant de se lever, le visage plus détendu, et elle lui adressa un sourire qui résonna comme une marque de soutien silencieuse. Ils n’avaient pas tout résolu, il le savait bien. Il restait des zones d’ombre, des bouts de regrets et d’incertitudes qui persistaient en lui. Mais cette impression de devoir porter seul tout le poids de ses réflexions s'était un peu dissipée. Sophie avait ramené un brin de lumière sur ce fardeau, montrant que, même dans le chaos, il pouvait trouver des repères et du sens.

En quittant le café, Nicolas se sentit étrangement apaisé. La conversation avec Sophie, bien qu’intense et pleine de questionnements, l’avait ramené à une forme de stabilité, une sensation de se trouver sur un chemin un peu plus clair. Elle avait soulevé des points qu’il redoutait d’entendre, mais les formuler à voix haute, les voir ainsi confrontés sans la froideur d’un jugement, ça l’avait fait réfléchir différemment.

Alors qu’il marchait dans les rues de Forbach, il sortit une cigarette, mais cette fois, elle ne lui parut pas comme un appel à l’apaisement urgent. Plutôt comme une pause, un moment de recul dans lequel il se laissait respirer, presque sereinement. L’idée de son livre, ce besoin d’écrire, revenait sans cesse dans son esprit. Il ressentait l’envie d’avancer, peut-être plus conscient que cette quête n’avait pas pour but de revisiter les blessures, mais d’en explorer les répercussions, de capter ce que les épreuves pouvaient enseigner, même dans les moments les plus sombres.

Les paroles de Sophie résonnaient encore en lui, notamment ce qu’elle avait dit sur les bons souvenirs, les instants lumineux qui existaient aux côtés des douleurs. Nicolas sentit qu’il pouvait, pour la première fois, envisager d’y revenir sans crainte, d’en faire une part de son récit. Il savait qu’il n’écrirait pas seulement pour lui, mais aussi pour ceux qui pourraient y trouver une résonance. Cette idée lui redonnait du courage, une conviction douce et persistante.

Le reste de la journée passa, errant sans but dans des endroits où il pouvaient se retouver seul, avec lui même. Et alors que la nuit tombait, il ralentit le pas, savourant cette sensation rare de paix. Il savait que le chemin serait encore long, que des doutes reviendraient, mais il était plus sûr de lui. Le temps passé avec Sophie, loin d’avoir rallumé les angoisses, lui avait permis de les regarder avec un regard neuf, plus confiant et serein.

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