01 - Une fuite incertaine - partie 2
Je me réveillai lentement, avec autant de douleur dans le cou que dans la tête. Cela faisait si longtemps que je n’avais vécu que sur la roche de la grotte que j’en avais oublié la douce sensation d’être allongée sur de la pelouse. De surcroit, un petit feu irradiait sa chaleur jusqu’à moi, aidant à supporter le froid ambiant de la journée. Ce n’est que lorsque je me résolu à me redresser que j’entendis un bruit de chaine, et compris que la douleur sur ma nuque cachait la sensation de l’épais collier que je portais. J’étais accrochée au tronc d’arbre couché contre lequel je dormais.
Je fus d’abord prise de panique. La seule pensée qui vint assez clairement dans ma tête fut que l’aventurière m’avait abandonnée à nouveau, en s’assurant que je ne puisse pas me défaire facilement cette fois. Ce n’est que lorsque je cessai de tirer sur la chaine et que je regardai autour de moi que mon stress diminua un peu. Il y avait, de l’autre côté du feu, une petite couchette de feuilles étendu au sol, ainsi qu’une partie de l’attirail de ma bienfaitrice. Dans ce cas-là, cependant, pourquoi m’avait-elle attachée ? La seule réponse évidente qui me venait en tête, lorsque je repensais aux réactions qu’elle avait eues envers moi, était que ma fuite ne m’avait pas permis de m’échapper. J’avais juste changé de propriétaire.
Celle-ci revint après ce qui me parut être une éternité. Elle portait un petit ballot de bois sous le bras, et vint se décharger à côté du feu. Ne tenant plus en place, je voulus lui parler, mais je n’eus pas le temps de prononcer le moindre mot. A peine m’avait-elle vu ouvrir la bouche qu’elle lança sèchement un « Ta gueule ». Confortée dans mes idées noires, je sentais la détresse me revenir.
Elle installa une casserole sur les braises, et commença à faire réchauffer le contenu d’une flasque. Elle vint ensuite s’asseoir non loin de moi, détendue, et s’adossa contre l’arbre mort. Enfin, elle fit ce que je redoutais : définir mon rôle.
– Encore une nuit et je t’abandonnais là. Ok, on va se mettre au clair, toutes deux. Je suis pas ta génitrice, et tu me dois la vie. Tu m’appartiens. Mais c’est évident que t’es mal apprivoisée, et je supporte déjà pas de trainer un faix, alors une mutine. Tu fais ce que je dis à la lettre, quand je le dis, et comme je le dis, ou tu prends. Tu m’as déjà bouffer une potion de soin, et j’ai pas beaucoup de ration. Alors on va s’assurer de bien te… rentabiliser. On est au poil ?
Chacune de ses phrases me faisait l’impression de coup de poignard dans le dos. Plus elle parlait, et plus j’avais l’envie de me recroqueviller et de disparaître. N’étais-je désormais plus rien à cause d’une marque sur ma peau ? Je n’attendais rien de ces immondes filles de ranch, mais qu’une aventurière me parle de la même façon me terrifia. Tout le monde me verrait-il à présent comme une moins que rien qu’on utilise et qu’on jette ? Malheureusement, je n’avais aucune chance de survivre seule, dans une région que je ne connaissais pas du tout. Avec un peu de chance, la vie sur la route me ferait oublier ma condition.
– Oui, murmurai-je, défaite.
– Oui qui ?
– Oui… M-Maîtresse.
Elle m’avait forcée à dire ce mot que j’avais appris à haïr. J’avais si souvent prononcé ce mot, dans tant de situations dégradantes et dégoutantes, que j’en avais dorénavant des haut-le-cœur à sa simple pensée.
Je relevai la tête lorsque je l’entendis pouffer. Lorsque mon regard abattu croisa le sien, elle ne sut pas se retenir plus, et éclata d’un rire sonore. Se moquait-elle de moi ? Elle vint détacher la chaine du collier, réajusta celui-ci puis retourna à sa cuisine, toujours en s’esclaffant.
– Ah, Je pensais pas garder la face jusqu’à te le faire dire. Vous êtes tellement intimidable, les petites soumises. Je m’en lasserai jamais.
Elle finit de s’occuper de son plat, puis me tendit une écuelle pleine à ras-bord avec un sourire des plus chaleureux, et prit sa part. Voyant que je restais sidéré par ses réactions lunatiques, elle s’expliqua.
– Je te dirai bien de te détendre les ovaires, mais tu trempes déjà tout bien assez. Je suis navré, j’ai joué frigide. C’est juste comme ça que j’estime la race des gens. Je ne suis pas possessive, soit rassurée.
– A-Alors, vous n’êtes pas… L’une de ses… Oh, que le dragon soit loué. Vous m’avez vraiment fait peur. J’ai cru ne plus être qu’une esclave aux yeux de toutes. Moi qui ai tout fait pour fuir la servitude, j’allais abandonner tout espoir de retrouver la liberté après vos dires. Je suis si soulagée d’être avec une indépendante ! Je suis contente de savoir que toutes les…
Je m’arrêtai dans mon discours lorsque je tournai la tête vers elle. Elle avait détourné la tête, triturait son équipement comme elle l’avait fait avant, et se mordillait la lèvre dans une gêne ou un désagrément apparent. Elle soupira profondément en entendant ma question :
– Est-ce que… J’ai dit quelque chose qui ne fallait pas ?
– Ecoute, petite, je crois que tu as mal saisie ce que je voulais dire. Je t’ai montrée les crocs pour te faire peur, tu m’excuseras, mais je ne galéjais pas, ok ? Tu es une faible, tu es faite pour servir. Fait toi une raison, oui, tout le monde cherchera à t’utiliser. Laisse-moi finir ! Ce monde, c’est de la merde, et je ne suis pas de celles qui changeront quoi que ce soit, ni qui édulcorent ta réalité. Et puis, tu ne penses pas que je vais travailler à l’œil ? Tu veux ma protection, tu payes ta part d’une façon ou d’une autre.
Mon réconfort avait été de courte durée. J’étais de retour dans mon état léthargique, le regard perdu figé sur mon repas en train de refroidir. Sans doute par pitié, la panda vint s’asseoir à côté de moi, passa son bras autour de mon cou et me colla fermement à elle.
– Aller, aller, je te l’ai aussi dit, je suis pas une tortionnaire. Tu feras rien à contrecœur.
– Vous le pensez vraiment… Je ne serais jamais heureuse ?
Après ma question, elle cessa de me frotter l’épaule un instant pour me tapoter gentiment la tête.
– Mais dit donc, t’es salement bourrée là-dedans pour comprendre ça ! Je t’ai dit que tu n’es pas émancipée, pas que tu devrais te tuer pour le plaisir d’une autre. J’ai quelques amies possessives qui pensent au bien-être des leurs, tu en ferais craquer plus d’une. Tu vivrais une vie lente et douce.
Le ton qu’elle employait pour me rassurer n’était plus aussi distant qu’au début. Je sentais qu’elle me parlait comme à une amie, et qu’elle pensait sincèrement ce qu’elle disait. Mais avec tous les sévices que j’avais subit, je n’étais certainement pas prête à me reconsidérer comme simple femelle domestiquée.
– Et si… Je préférai rentrer chez moi ?
La panda réfléchit. Elle continua encore un peu son accolade, puis retourna à sa place précédente avant de me répondre :
– Retourner sur le lieu où tu t’es fait chopper ? tu penses pas que c’est le premier endroit où n’importe qui avec deux neurones fonctionnels irait te chercher ? Si ce lieu n’est pas déjà vidé en plus, les ranchs ne font pas dans la demi-mesure.
Elle avait dit ouvertement la pensée que j’avais refoulée depuis bien trop longtemps. J’avais été asservie depuis tant de temps que mon village n’était probablement déjà plus que l’ombre de ce que j’avais connu. Je fondis alors en larme, sanglotant à grosse goutte.
– Oh ! Oh ! Eh ! Tout doux ! Rah, moi et ma grande gueule. Bon, faisons un marché. Tu joues l’écuyère docile pour mon voyage, et on trouve le moyen de passer chez toi après. Je dois passer à un village plus au Nord, et faire un crochet par chez moi. Tu m’as fait prendre du retard, ma femme va s’inquiéter.
Je séchai mes larmes et renvoyai l’hideuse réflexion dans les brumes de mon esprit. Une fois calmée, j’acquiesçai. La simple idée d’avoir une chance de revoir ma famille et mes amies dessina un petit sourire timide sur mon visage.
– Je ferais ce que vous voudrez… M…Maitr…
– Oh, ta gueule, je te taquinais avec ça. Appelle-moi Riza. Et toi ?
– Silvine.
– Très bien, Silvine. Mange donc maintenant, c’est pas avec ses hanches que tu porteras proprement.
Mon estomac fut effectivement plus que ravie d’avoir, pour la première fois depuis mon enlèvement, quelque chose de consistent à digérer qui ne soit pas des céréales rances. Je sentais la chauffe du plat se répandre en moi comme une seconde chaleur, plaisante et voulu. Je ne m’étais pas souciée de son allusion à mon corps, pensant qu’elle parlait simplement de mon aspect émacié au travers d’une autre de ses expressions personnelles. Puis, en se libérant des habits qui la serraient le plus, et en se massant la poitrine, elle me demanda :
– Dit voir, ça fait trop longtemps que je suis seule sur les routes, décrit-moi donc le puissant mâle qui t’a mis une drôle dans le tiroir. Ca a dû être une sacré nuit pour que tu restes ivre encore maintenant. Mon dernier brothel remonte à si longtemps.
J’étais gêner, un peu par son envie de détails d’un potentiel ébat, mais surtout parce que je n’avais pas de réponse à fournir à la première demande qu’elle me faisait. Devant mon embarras, Riza me charria sur cette réaction de pucelle. Les géniteurs avait toujours été des sujets faciles de potins, surtout avec ma mères qui en côtoyait souvent.
Mais lorsque je lui expliquais finalement les vrais raison de mon hésitation, son visage redevint sérieux, non sans une dernière boutade comme quoi j’avais refroidit l’ambiance.
– Vide ton sac. Tu te sentiras plus leste.
Et elle patienta, silencieuse. Je ne savais par où commencer. Je n’étais même pas sûre de vraiment vouloir en parler. Néanmoins, malgré qu’un long silence passât, elle attendit que je me sente prête. Ma mémoire me revenait dans un désordre total, et des souvenirs désagréables refaisaient surface.
Finalement, ma langue se délia. J’étais trop heureuse d’avoir enfin le droit de parler de moi et de mes sentiments. J’étais trop heureuse que quelqu’un veuille bien me prêter l’oreille. J’étais trop heureuse d’avoir une amie. Je lui racontai tout dans les moindres détails, de mes joies passées, de mes peines présentes, de mes craintes futures. Et quand ma bouche se ferma une dernière fois, elle en savait plus sur moi que n’importe qui ayant partagé ma vie auparavant.
Je m’étais attendu à ce que mon récit morbide la lasse ou l’horripile, qu’elle me dise qu’elle en avait assez à mi-parcours. Cependant, elle resta immuable et captivé du début à la fin. Ce n’est qu’alors qu’elle prit la parole :
– Je suis navré. Je savais que les ranches était le pire endroit d’élevage, mais j’étais loin de ce que tu me décrits. Saoulée de force… Surtout quand tu n’as pas encore procréée. On passera à côté d’une rivière dans les prochains jours, tu me feras le plaisir de t’y jeter.
– P-Pardon… J’étais constamment sale de leur…
– Je ne te parle pas de ta fourrure poisseuse, crétine. Je sens tes chaleurs comme si j’étais un mâle moi-même. On va essayer de calmer tes hormones, en attendant de te dépuceler convenablement.
Tout de même soulagée d’avoir de la compassion et de la compréhension, je me sentais plus ouverte auprès d’elle. Après avoir décidée qu’il était trop tard pour nous mettre en route, nous restâmes assises dans cette clairière à discuter de sujet plus léger, comme ses aventures ou des anecdotes entendus dans divers villes. Elle me montra notamment tout son barda impressionnant, dont je n’étais pas sur de comprendre comment elle arrivait à soulever la totalité. Ses armes étaient aussi variées que mortelles, ses protections épaisses et efficaces, et ses ustensiles utiles et encombrant. Mais elle tenait à son petit confort.
Le soir arriva. Toujours quelque part dans ma tête, je n’avais pas complètement oublié la vérité de la situation de mon village. Riza m’avait dit de chérir mes souvenirs, mais qu’il était temps que je les laisses derrière moi, comme une adulte, et comme elles m’avaient laissée elles aussi me faire emmener. Malgré tout, je n’arrivais pas à voir le monde aussi morne qu’elle. Je voulais faire de mon mieux.
– Apprenez-moi, dit-je juste avant de m’allonger sur l’herbe, dans une pénombre déjà tombé.
– Commence par apprendre à être plus claire, ma belle.
– Apprenez-moi à être forte, à être comme vous et à manier des armes. Vous m’avez raconté être partie de rien, je pourrais faire pareil. Je suis prête à faire tout ce qu’il faut, tout… ce que vous voudrez.
Déjà couchée, elle ne prit pas la peine de se redresser pour me répondre. Elle me lança d’abord un regard sérieux, que je voyais même au bord de la lassitude, face à mon obstination qu’elle trouvait déplacée.
– La seule chose que tu dois manier prochainement, c’est un chibre, me lança-t-elle avec un sourire retenu. Tu dois déjà faire tout ce que je veux, je te rappelle. Fait attention à ce que tu dis, surtout avec ta tête à l’ouest…
Un simple après-midi lui avait suffi à apprendre comment me manipuler. Elle savait jouer avec mes émotions, et je me jetais à chaque fois à pied joint dans ses pièges.
– Mon état n’a rien à voir. Mes… conviction restent les même. Je veux aider ma prochaine. Et puis, vous disiez être mécontente d’avoir à vous trainez un boulet. Je vous serais plus utile aussi.
Elle prit le temps de réfléchir à ses prochaines paroles. Je savais qu’une nouvelle boutade à mon égard se préparait.
– Aah, la grande renarde chevaleresque à la fourrure d’argent. Ça ferait un beau petit conte pour poupon. Tu es sur d’avoir le droit de réfléchir par toi-même, sans l’aval des anciennes de ton village ? On pourrait croire que tu as du potentiel.
– S’il vous plait, je vous parle sérieusement, arrêtez vos… commençai-je, boudeuse, avant de comprendre l’entièreté de ce qu’elle avait prononcé. Vous… pensez vraiment que…
– T’emballe pas. Voyons déjà si tu sais te rendre utile dans ton état. A la couche, maintenant.
Elle se détourna une bonne fois pour toute, bien décidée à ce que je ne la dérange plus. Déçu de ne pas avoir eu de réponse claire, j’en fis malgré tout de même. Je ne pus m’empêcher de caresser encore et encore le petit paquetage qu’elle m’avait offert en guise d’oreiller. Ce petit confort si anodin, que je n’avais pourtant pas eu pendant tant de temps. Je regardais une dernière fois l’éclipse nocturne accompagnée des étoiles, et m’endormis en écoutant le doux bruit du vent dans les feuillages.
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