Chapitre 22

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 Aussi farfelus et surréalistes qu’ils puissent nous paraître, les rêves nous enseignent toujours une vérité que l’on ne tardera pas à découvrir. Si par trois fois je n’avais pas pu voir « son » visage (Deux fois flouté, une fois masqué par la réverbération du flash devant le miroir) c’est parce que, dans le fond, mon subconscient se refusait à admettre que Roxane et la jeune femme qui avait sonné à la porte de Francine, fussent une seule et même personne. Et la discussion du petit déjeuner avec Norma et Julien, m’avait ouvert les yeux. Surtout lorsque j’ai repensé à l’attitude de Joséphine, dans ce bar de la Place du Palais. Gênée, fuyante, inquiète. Et puis, ce départ soudain et précipité en invoquant cette excuse qui sentait le mensonge à plein nez.

Elle avait dû s’imaginer que j’avais tout découvert, et que j’allais lui poser de tas de questions embarrassantes. Embarrassantes, parce que la théorie de Julien ne tenait plus debout. Si cette Roxane avait vraiment écrit un roman, et qu’elle avait demandé à Joséphine de me remettre son cadeau de sa part, pourquoi l’aurait elle fait en cachette, d’une part et en mentant deux fois, d’autre part. La raison devait être encore plus sombre, plus vicieuse, peut-être. D’où son attitude à mon égard.

Il me restait à deviner qui était cette Roxane et quel était son rapport avec la femme de Lambert. Facile je le lui demanderais directement, et cette fois ci je ne la laisserais pas partir sous aucun prétexte. Elle cogérait une salle de fitness rue Penchienatti et dès lundi matin, je l’appellerais pour l’inviter boire un café et la presser de questions.

« Et Lambert, tu crois qu’il est au courant ? Me suis-je demandé tandis que je dirigeais ma voiture vers la bretelle de sortie de l’A8 direction Nice-Nord »

Il ne m’avait pas paru troublé lors de notre entretien du mardi au South. Ou il jouait mieux la comédie que sa femme, ou il ne savait rien.

« Demain. Demain tu sauras tout, me suis-je dit en garant la voiture dans mon parking. »

Après avoir replacé le sein de Roxane à la place que je lui avais attribué, avec tous mes remerciements pour la brillante inspiration qu’il m’avait donné, après avoir avalé une salade, un verre de rosé, une pomme, un kiwi et une tasse de café, j’ai pris le livre posé sur mon bureau depuis mon retour de Paris. C’était un roman policier écrit par un jeune auteur que Ludwig avait publié et dont il m’avait offert un exemplaire. Il s’appelait Thomas Dubreuil et le titre avait de quoi donner la chair de poule : « Les 7 pendus du Bois de Boulogne ». Sept cadavres retrouvés pendus à sept arbres différents dans le Bois. Imbroglio familial sous fond de seconde guerre mondiale : marché noir, collabora-tion, résistance et j’en passe. J’avais commencé à le lire durant le vol du retour. Le soleil était encore haut, la chaleur accueillante et le cadre de la Promenade du Paillon me conviendrait parfaitement pour continuer ma lecture.

J’ai appelé Ludwig pour lui demander des nouvelles de son poignet : encore quelques jours de plâtre, et il redeviendrait aussi agile qu’avant. Et moi, comment j’allais ? Très bien. Je revenais de chez Julien et Norma qui m’avaient chargé de t’em-brasser… Ah ! La prochaine fois qu’il descendrait à Nice il les appellerait et on organi-serait quelque chose ensemble… « Quoi ! Un nouveau weekend des lits qui grincent ? »… Ça l’a fait rire… Des nouvelles de la mystérieuse cousine ? Ça commençait à tiédir… « Mais encore ? »… Qu’il ait la patience d’attendre vingt-quatre heures et il saurait tout. Il m’a dit : « Bon, d’accord. » Nous nous sommes fait la bise, et nous avons raccroché.

J’ai pris le tram direction place Masséna. Maïa m’a appelé quand il s’arrêtait à la station Valrose. Elle m’a annoncé d’une voix un tantinet agacée qu’Andréas l’avait suppliée, larmes à l’appui, de rentrer chez lui à Barcelone et d’y rester jusqu’à la fin de la semaine. Donc, elle ne rentrerait que dans une semaine. N’étais-je pas trop déçu ? Non. Si elle était heureuse de rester une semaine de plus avec Andréas, je l’étais aussi. Son bonheur comptait plus que le mien. « Mon bonheur c’est toi, mon chéri. » Et vice versa, lui ai-je rétorqué, mais celui-là, personne ne pourrait nous l’ôter. Elle aussi m’a demandé des nouvelles de ma généreuse donatrice. Je lui ai fait la même réponse qu’à mon pres-que frère : « Patiente, et tu sauras tout demain soir. ». Puis nous avons raccroché, non sans nous être embrassés partout.

Arrivé sur la place Masséna, j’ai bifurqué à droite, direction jardin Albert 1er. La probabilité de trouver un banc libre, s’amenuisait au fur et à mesure que j’avançais. Même le gazon était envahi par des lecteurs solitaires assis aux pieds des arbres, par des couples allongés s’embrassant tendrement (Printemps oblige !), familles promenant leurs enfants après d’interminables tours de ce manège, où les mêmes chevaux, les mêmes avions, les mêmes voitures, les mêmes carrosses tournaient déjà lorsque Ludwig et moi avions l’âge d’en réclamer encore un dernier, soit que nous fussions avec sa mère, soit que nous fussions avec Maïa, et qu’aucune des deux n’osait nous le refuser.

J’avançais toujours : « Peut- être là, une portion de banc vide. » J’ai pressé le pas, on m’a interpellé. C’était Lambert. Il venait de payer une infinité de tours à sa fille Margaux. Il était accompagné d’une femme qui devait avoir entre 55 et 60 ans, à qui il ressemblait comme deux gouttes d’eau :

« Ma mère, qui aime beaucoup tes livres. »

Et la petite qui se cachait derrière les jupes de sa grand-mère tout en me lançant un regard mitigé. Elle m’a serré la main m’a complimenté. Elle était abonnée à ma page et se réjouissait de ma grande tournée des libraires dans huit jours.

« Quinze en vingt jours, ça ne sera pas trop fatigant ?

— Je tâcherai de tenir le coup. »

Elle viendrait m’écouter et se faire dédicacer les deux tomes de ‘’Seins au formol’’. Margaux était partie se réfugier derrière son père. Mais au fait, où était sa mère ? Avait-elle eu le pressentiment que je passerais et aurait-elle trouvé une excuse pour rester à la maison ?

« Elle est partie le weekend à Marseille, chez sa cousine. Elles devaient faire une randonnée. »

J’ai pensé : « C’est le weekend des randonneurs. Feraient-elles la même que Rosy et son ‘’groupe d’amis’’ ?

Margaux a ôté son pouce de la bouche pour me préciser :

« Elle est avec tatie Roxane. Ma marraine. »

Je me suis penché vers elle :

« C’est vrai ? »

Elle m’a fait « oui » de la tête :

« Elle est très gentille et je l’aime beaucoup.

— Ah, c’est très bien. Elle t’aime beaucoup elle aussi ? »

Elle m’a de nouveau fait « oui » de la tête, puis elle a remis son pouce dans la bouche, et Lambert m’a dit :

« Mardi soir, tu es libre pour venir dîner ?

— Oui.

— Alors on t’attend. »

Son téléphone a sonné. Avant de décrocher, il m’a fait la bise. Sa mère m’a de-mandé la permission pour m’en faire une.

« Je ne refuse jamais à une femme de me la faire. »

Margaux m’a permis de lui embrasser la joue, et je me suis éloigné. Le bout de banc n’était plus libre, mais plus au fond, il y en avait un tout ce qu’il y avait de plus vide.

Donc, Joséphine avait une cousine qui s’appelait Roxane. Décidément, depuis mon retour de Rome, ce prénom aux 720 combinaisons, dont la plus célèbre était une marque de déodorants, ne cessait de me hanter. Est-ce que cette dernière avait un rapport avec… Et puis l’étincelle a jailli dans ma tête. Je me suis laissé choir sur le banc, j’ai posé mon livre sur mes genoux et j’ai sorti mon carnet et mon stylo bille, (deux éléments dont je ne me départis jamais) et j’ai noté : « Sein de Roxane è Roxane, cousine de Joséphine è Joséphine se fait passer pour ma cousine = Le sein de Roxane est celui de la cousine de Joséphine à 99,99%. Demain, demain (souligné deux fois) passer rue Penchienatti (pourvu qu’elle n’ait pas pris un jour de congé). Mettre un terme à ce mystère ! Ouf ! »

Il était douze minutes après dix-sept heures. Lambert, sa mère et la petite Margaux, n’étaient plus dans mon champ de vision. Les bancs commençaient à se vider. Sur le manège, l’avion n’avait plus de pilote, la voiture plus de conducteur, le cheval plus de cavalier, le carrosse plus de passagers, seul le cochon, la vache et l’hélicoptère étaient encore occupés. L’heure de regagner les pénates commençait à s’étendre à tout le jardin. Dimanche soir obligeait. Les humeurs n’étaient plus badines. Les traits commençaient à se contracter, l’insouciance de la veille, cédait peu à peu la place au spleen de la reprise. Le temps pressait, les aiguilles s’emballaient. Maudite fin de journée où il restait encore un devoir de math à finir, des affaires à repasser, un brin de ménage à faire, résultat d’une procrastination qu’on se promettait de combattre afin que la fin des weekends ne ressemblent plus à des branlebas de combats, à de tsunamis d’adrénaline.

Je contemplais cet exode non sans une certaine nostalgie. Parmi les enfants qui trépignaient, qui demandaient, qui imploraient cinq minutes de plus, je nous revoyais Ludwig et moi, suppliant la même chose à Maïa ou sa mère Monique, selon le cas. Ma tante était clémente et nous accordait volontiers ce délai, toujours trop court hélas. Madame Deplat était inflexible. L’heure c’était l’heure. Rigueur germanique. Par contre, elle avait toujours le soin de nous prévenir du temps d’insouciance qu’il nous restait.

Il était dix-sept heures trente et je pouvais profiter encore d’une bonne heure avant de rentrer. Mon livre était toujours sur mes genoux. Je l’ai ouvert à la page indiquée par le signet : 156. Osvald, l’un des sept pendus, écrivait une lettre à sa mère. Il craignait pour sa vie. Il savait trop de choses et devait quitter Paris (Le pauvre ne se doutait pas encore qu’on le retrouverait avant qu’il ait pu monter dans le train). Il lui suppliait de brûler la missive, une fois qu’elle l’aurait lue. Il l’embrasait tendrement, et lui demandait de prendre soin de Rose-Marie qui était enceinte.

« Rose-Marie, c’est plus joli que Rosy, me suis-je entendu dire. Dans le fond, c’est peut-être un diminutif. Je le lui demanderai. »

Le chapitre suivant, la mettait en scène et je n’ai pu m’empêcher de lui attribuer les traits de ma ravissante correspondante Facebookienne à qui je me suis mis à penser quelques pages plus loin, me déconcentrant ainsi de l’intrigue du roman, que j’ai fini par refermer.

Avant de quitter le parc, j’ai tenu à informer Julien et Norma à qui je devais cette avancée spectaculaire dans l’énigme du sein de Roxane.

« Ah ! Elle écrit des livres ? M’a demandé mon condisciple auteur de BD

— J’ai oublié de le demander à Lambert… Ça ne fait rien. Demain j’ai l’intention de mettre les choses au point avec elle. »

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