Le chat chiant
Aujourd'hui, papa est mort.
C'est un peu embêtant.
J'étais en train de prendre un peu d'argent de poche quand il m'a surpris. Ça fait longtemps que je me sers moi-même : une simple boite en fer sous la meule !
J'ai esquivé son coup, comme toujours, et il a basculé. Cinq mètres d'échelle de meunier, quand on les démarre du mauvais pied, c'est pas bon.
De toute façon, depuis que maman est morte, ça n'allait plus. Il n’y a qu'elle qui me comprenait. Depuis, je partais dès le matin, car sinon, il m'aurait fait travailler. Moi, ce que j’aime, c’est m'allonger à l'ombre et regarder les nuages, écouter le vent, les oiseaux. Une feignasse, voilà comment il m'appelle.
Je suis remonté pour compléter mon argent de poche, car je savais que ça allait tourner vinaigre. L'enterrement est dans deux jours.
En revenant de la cérémonie, j'ai vu François, l'aîné, assis à la table. Deux couverts, un pour lui, l’autre pour Monique, sa femme. Ils auraient pu inviter toutes les personnes qui sont venues ! C'est-à-dire Jeannot, notre frère, et moi. Nous étions les seuls. C'est vrai qu'avec son caractère, il n'avait pas beaucoup d'amis !
Jeannot, c'est un sournois. Il fait des coups en douce et il cherche à baiser tout le monde, avec son pote Momo. Je n'en sais rien, mais je crois qu'ils s'enfilent. Qu'ils se baisent entre eux, je m'en fiche. Momo, c'est aussi mon dealer de beuh. Ça m'aide à rêver (NDA : j'ai simplifié le nombre de personnages, rapport aux enfants auxquels on raconte ce conte).
François, donc l’aîné, aussi épais de corps et d'esprit que notre père, commence :
- Mes biens chers frères,…
À force de fréquenter l’église, pas étonnant qu'il cause comme un curé
- … Comme je suis l’aîné, j'hérite du moulin. C'est chez moi, vous pouvez partir.
Je sentais le coup venir, donc je ne dis rien. Le sournois commence à discutailler, emberlificotant l'épais du cerveau, qui finit par céder :
- Prends l'âne et tire-toi.
C'est alors que j’ose :
- Et moi ?
- Vous me faites chier ! Toi, tu prends… le chat. Pour ce qu'il attrape de souris, cette feignasse !
Je fais demi-tour quand j'entends :
- J'te suis !
Personne derrière moi, sauf le matou. J'ai dû un peu trop fumer hier soir. Le chat, il est comme moi, très habile pour éviter les coups. Il est souvent avec moi, car je suis le seul à ne pas le taper, parce que je le rate à chaque fois.
Je me refugie sous mon olivier préféré, d'où on voit loin. Je me pose, le ventre vide.
- Alors, toi aussi tu es une feignasse !
- Oui, mais moi, c'est ma nature.
Le fait qu'il me réponde m'étonne un peu. Je me roule un joint pour m’aider à réfléchir. Quand je me réveille, je vois que le chat a rapporté un lapin de garenne. Je le prépare, quand j'entends :
- Tu me laisses le râble, c'est mon morceau préféré.
Le greffier me regarde, attendant que ce soit bien cuit, calmement. Je lui laisse donc le meilleur morceau.
Dormir à la belle étoile l'été, j'adore !
Le lendemain, le chat me demande un sac et un bout de ficelle. J'attends la fin de matinée, car c'est l'heure à laquelle François descend au bistrot pour l'apéritif, tandis que Monique reçoit le facteur. C'est le seul moment, après, où ils sont tous les deux souriants. Je rapporte le butin au chat et je le regarde. Il m’engueule, car il faut que je le lui plie pour qu'il puisse l'emporter. Il me fatigue, avec ses ordres et ses demandes. Mais comme il me rapporte un lapin chaque jour, finalement, la vie est belle.
Un midi, il arrive en courant.
- Baptiste, bouge-toi le cul, j'ai besoin de toi.
Je trouve que pour un chat qui parle, il ne me parle pas très bien ! J'étais dans mes rêveries, car j’économise l'herbe, rapport à mon capital très limité.
Je n'aime pas être bousculé, mais j'obéis quand même. Il me fait courir vers un château, me fait déguiser comme un imbécile prétentieux et me dit de dire simplement :
- Sire, bienvenue au château de marquis de Carabas.
C'est un peu compliqué, c'est un nom ridicule, mais je m'exécute. Ensuite, le chat me dit que je peux rester au château, en restant accoutré ainsi. Finalement, ce sont de beaux habits, il y a des serviteurs qui attendent mes ordres, donc je reste.
Je choisis la plus belle chambre. Je regrette un peu mon olivier, mais le lit confortable convient bien pour mes rêveries.
Le seul ennui est le chat qui ne me lâche plus. Il répète sans cesse que c'est grâce à lui que j'ai ce château, alors que j'en sais rien. Surtout, il n'arrête pas de le dire ce que je dois faire ! Sinon, il me fait la morale ou me récite du Racine.
Il me fatigue. Demain, je vais l'emmener chez le véto pour le faire euthanasier et, enfin, être tranquille.
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