Prologue

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Notes de l'auteur

Mon histoire est écrite au présent et à la première personne. Dans mes dialogues, vous verrez donc de la conjugaison "tonique" comme "osè-je" ou "répliquè-je".

En effet, lorsque le pronom "je" est placé après le verbe, le "e" final du verbe devient tonique et est remplacé, selon Grevisse, dans l'écriture par un "é" prononcé "è".

Vu que je vis avec mon temps et que j'aime que notre langue évolue, j'utilise en plus la graphie rectifiée de 1990. Mes verbes au présent et à la première personne seront donc écrit avec un "è" final et vous ne trouverai pas d'accents circonflexes sur mes i ou mes u , sauf indications contraires car naturellement, notre langue si riche et encore bourrée de règles spéciales et autres incohérences.

Voilà, bonne lecture, en espérant que vous y trouverez autant de plaisir que j'ai à l'écrire.

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Je peine à ouvrir les yeux. Mes paupières sont lourdes comme du plomb, encore engluées par un sommeil profond. Une torpeur tenace me cloue au sol, comme si le monde n’avait plus d’emprise sur moi. La lumière, bien que faible, me brule la rétine et je dois attendre une poignée de secondes avant de m’y habituer.

Je me trouve dans un couloir lugubre où l’atmosphère froide et mordante semble figée depuis des siècles.

Éclairé de part et d’autre par des torches accrochées aux murs, il s’étire devant moi à perte de vue. Dans mon dos, par contre, les lueurs des flambeaux meurent à quelques mètres seulement, et le corridor se noie dans une obscurité qui me terrifie, telle une mâchoire béante d’ombre.

Les parois suintent d’une eau trouble, exhalant une puanteur de moisi qui m’agresse les sens. Des stalactites gouttent et le bruit des perles qui se fracassent sur les pavés antiques que je foule résonne comme l’horloge du temps annonçant ma fin toute proche.

D’ailleurs, face à moi, la silhouette menaçante du corbeau faucheur me rappelle, avec un frisson glacial, pourquoi je me tiens ici, comme entre deux mondes. Ses plumes sont aussi noires que la nuit et son regard perçant luit d’une intelligence sinistre. Il penche la tête sur le côté, me scrutant avec une impatience non dissimulée.

Mes sourcils se froncent, perplexes face à l’attente de l’oiseau. Soudain, une révélation effroyable me frappe, et je porte mes mains tremblantes à mon ventre.

Rien.

Je me risque à y poser les yeux.

Ma cape est déchirée et mon gilet de cuir arbore une énorme tache de sang, preuve qu’un coup violent m’a bien touché. Cependant, ma chair ne semble pas être atteinte. Je ne ressens pas non plus de douleur, mais le souvenir de m’être fait trancher me revient comme une lame cinglante.

Donc… je suis mort…

Par tous les Divins, alors est-ce vraiment cela le trépas ? Je pensais que tout n’était que contes de grand-mère… Par Tain, cela veut dire qu’Elle m’attend au bout du couloir ? Non, ce n’est pas possible…

Me sortant de mes réflexions, une brusque bourrasque surgit des ténèbres et me balaie le visage. L’ombre des torchères sur les pierres vitreuses vacille dangereusement.

Je relève la tête vers le volatile noir qui sautille et s’éloigne en me jetant à nouveau un regard empressé par-dessus son épaule.

Un courant d’air gémit à mes oreilles et m’arrache une grimace. Les lumières chancèlent une fois de plus autour de moi et me lancent une invitation à suivre l’oiseau. Invitation que j’accepte, poussé par un instinct qui me hurle de m’écarter au plus vite des ténèbres et du froid polaire qui en surgit. À mesure que je les franchis, les torches et leurs éclats dansants et grotesques sont avalés derrière moi par l’obscurité oppressante. Elles s’éteignent comme de simples bougies d’anniversaire soufflées par un enfant.

Alors que mes jambes me portent d’un pas décidé, je me remémore les derniers instants de ma vie.

J’ai rendu l’âme au fond d’une ruelle… Seul, comme la charogne que j’étais devenu. Le destin n’a pas été généreux avec moi. Ancien soldat, j’ai survécu à une énorme bataille et, comme récompense, je fus trahi par ceux-là mêmes qui m’ont envoyé au front. Ayant tout perdu, j’ai alors succombé à la facilité et j’ai embrassé la carrière de truand et de trafiquant d’artéfact. Mais il semblerait que cela ne m’ait pas réussi non plus, car le mercenaire, réputé incorruptible, Jo’nas le Double Croc s’est mis à me traquer il y a peu. Et ce soir, et bien... il m’a trouvé et terrassé avec une aisance déconcertante.

Bon soyons franc aussi, ce n’est pas moi qui l’aurais battu de toute façon. Je me suis trop vautré dans la luxure. J’avais bien encore quelques souvenirs et quelques réflexes de mon vécu de militaire, mais contre un adversaire de cette trempe, il m’aurait fallu beaucoup plus que des réflexes et des souvenirs pour tenter de lui faire mordre la poussière.

Un croassement rauque et un énième souffle de vent gelé me ramènent à la dure réalité — enfin, si on pouvait qualifier cette coursive hors du temps comme étant une réalité…

Je me remets à suivre le corbeau faucheur.

Après plusieurs minutes de marche, qui me semble interminable, je finis par apercevoir une grande ouverture ceinte de colonnes de pierres. Dans ces dernières sont creusées une dizaine de niches où brulent des flambeaux rougeoyants et crépitants. Sur le porche, des runes y sont gravées. Je suis bien incapable de les déchiffrer, mais je sais tout de même ce qu’elles doivent signifier…

La Porte des Jugements… Décidément, grand-mère avait raison sur toute la ligne...

Je carre la mâchoire, mais continue d’avancer, d’un pas ferme. Étrangement, je ne ressens ni appréhension ni peur. Après tout, je me suis fait tuer, que peut-il m’arriver de pire ?

Comme en réponse à mes pensées, l’oiseau d’ébène se retourne, en sautillant vers l’arrière pour ne pas s’arrêter, et me dit de sa voix nasillarde :

– Il existe mille et un tourments plus cruels que la mort, puiné.

Puis, il refait aussitôt volteface, sans me permettre de lui répondre, et décolle en laissant derrière lui une longue plume noire qui tombe lentement sur les dalles portées par un souffle de vent froid.

Le corbeau faucheur a franchi le porche.

Je le traverse à mon tour et pénètre dans une caverne aux proportions tout bonnement titanesques. Une ville entière pourrait tenir ici et la voute est si vertigineuse, que plusieurs clochers pourraient être empilés sans jamais l’atteindre. Au centre de cette salle, un grand cercle de braséros bleutés à la clarté surnaturelle éclaire un immense réseau de fils qui luit et scintille de mille feux. Disposés comme une gigantesque toile d’araignée, plus vaste qu’un lac, ils surplombent un abime sans fond.

Le Puits des Âmes…

Il se déploie devant moi comme un rêve éveillé, un gouffre d’une beauté sinistre et éthérée. Ces brins délicats flottent et vibrent dans l’air, tels des fils de soie illuminés par la lueur lunaire des flambeaux qui l’entoure. L’immense abysse en dessous absorbe cette lumière, et plonge tout dans une obscurité mystérieuse qui semble respirer et se mouvoir en harmonie avec le crépitant léger des flammes. Le silence est enchanté, ponctué seulement par le murmure des filins et le doux bourdonnement d’un monde éthéré, suspendu entre la vie et l’oubli.

– Te voici enfin.

Une voix incroyablement profonde résonne au-dessus de ma tête, grondante et terrifiante, et brise en mille morceaux cet instant de quiétude qui avait été le mien. J’ai l’impression que les murs tremblent. Un étau glacial m’enserre tout à coup la poitrine et mon cœur manque un battement.

Une ombre monumentale s’extrait des ténèbres, glissant silencieusement comme une brume noire, et se pose devant moi. Son apparition engloutit toute la lumière, plongeant la caverne dans une obscurité si dense que le temps semble s’y figer. Colossale, elle me domine de toute sa hauteur et son aura m’écrase littéralement les épaules. L’air devient irrespirable. Mes poumons se remplissent d’un froid polaire. Je suis paralysé. Incapable de bouger le moindre muscle.

– Te voici enfin, répète-t-elle. Je suis Atal’Neit, la Titan de la Mort et du Destin, sois le bienvenu dans mon domaine.

Par Tain, je fais face à un Titan de Tella…

J’essaie d’ouvrir la bouche, mais les mots s’éteignent au fond de ma gorge et aucun son ne parvient à franchir mes lèvres sèches.

Je… je vais donc être jugé ?

– En effet, répond-elle de sa voix caverneuse. Je vais te juger, puiné…

Mon visage se décompose. Elle venait de lire dans mes pensées…

La Titan ricane.

– Je peux faire encore bien plus…

Sa tête monstrueuse se baisse à mon niveau et elle plonge sa multitude d’yeux blancs, sans pupille, dans les miens. Bien que je la sente à quelques centimètres de moi à peine, je n’arrive pas à la discerner. Je ne perçois qu’une masse cauchemardesque de chitine, de griffes et de pattes, d’un noir aussi sombre que la plus sinistre des nuits sans lune. Des gouttes de sueur glaciale ruissèlent sur mon dos et mon front. Mon rythme cardiaque explose dans ma poitrine.

– Mais commençons par le commencement, reprend-elle. Sais-tu ce qu’il se passe ici ?

Elle se retourne et désigne avec un de ses appendices acérés le réseau de liens luisants au centre de cet antre arachnéen. Je voudrais hocher la tête, mais mon corps ne m’obéit toujours pas.

– Chaque fil de cette toile est la vie d’une créature ; de la mère qui allaite son nouveau-né, à la fourmi insignifiante à tes yeux. Ton âme est celle qui brille le plus. La vois-tu ?

La monstruosité se décale dans mon dos sans un bruit, se déplaçant comme une ombre ou un nuage de brume. Libérée de l’obstacle, la faible lumière des braséros lointains m’enveloppe à nouveau et me réchauffe, offrant à mon regard le Puits des Âmes. J’avance de deux pas, aussi bien pour m’éloigner de la créature que pour tenter de trouver mon fil au milieu de cet amas de brins gigantesque. Alors que je fronce les sourcils pour affuter ma vision, elle m’apparait brusquement, comme par enchantement.

– Elle va être rompue, reprend la Titan. Car dans le monde des vivants, tu es mort. Mais ici, ce n’est pas tout à fait le cas. Tu peux ainsi choisir si tu désires te racheter de tes fautes ou être jugé sur-le-champ.

Je serre les dents.

– Et nous savons aussi bien l’un que l’autre que si tu t’en remets à la seconde option, la sentence de tes actes ne sera pas belle à voir…

– Qu’est-ce que je risque ? osè-je d’un souffle, en recouvrant enfin ma voix.

La créature se décale à nouveau devant moi, dans un bruissement de vent et un cliquetis à peine perceptible. Son corps massif semble n’être qu’un amalgame de pattes, de pointes et d’épines acérées. Sous ses yeux étincelants, je découvre une mâchoire énorme, pourvue d’innombrables crocs de la taille d’une faux.

Un rictus déforme ses traits, et elle me répond de sa sombre voix :

– L’Outre-Monde, les Enfers, le royaume des Tartares, El’Ème. Les noms des Terres de l’Ombre sont nombreux. Mais inutile de te dire que les âmes qui y sont condamnées ne sont pas les bienvenues, quel que soit le terme que tu leur donnes en fin de compte. Le maitre des lieux, le Titan Noir Sha’Tan, te tourmentera pour l’éternité, ou pire, fera de toi un de ses pantins.

– Alors, comment puis-je me racheter de mes fautes ? coassè-je.

La Titan de la Mort abaisse sa tête grimaçante à mon niveau et, l’espace d’un instant, parait me sonder au plus profond de mon être.

– Il te suffit de retourner dans le monde des vivants et de me rendre un service, gronde-t-elle.

Inconsciemment, mes sourcils se froncent.

– Qu… quel est-il ?

– Acceptes-tu mon offre ? me coupe-t-elle d’un sourire malveillant. L’heure tourne...

D’un mouvement de son gigantesque crâne, elle désigne mon âme qui se tend, tandis qu’une araignée ombreuse descend des ténèbres du haut de la caverne et s’immobilise à quelques centimètres d’elle. Les longues pattes de l’arachnide brillent et s’apprêtent à fendre l’air.

Pendant une seconde, je reste bouche bée, me demandant ce qui allait se passer.

Une deuxième araignée surgit alors du plafond et se rapproche dangereusement de mon lien qui se raidit encore un peu plus. Mon cœur accélère. Les deux créatures noires vont le sectionner d’un instant à l’autre…

Malgré la centaine de questions qui tambourinent dans mon esprit, je n’ai pas le temps de peser le pour et le contre de tout cela. Mes yeux s’écarquillent, englouti par un désespoir sans fin. Ma mâchoire s’entrouvre et, finalement, je finis par hurler :

– J’accepte !

Un frisson glacial parcourt mon échine alors que mes mots résonnent dans toute la caverne, sonnant le glas de mon destin.

Les araignées dans le Puits des Âmes suspendent leur geste. Puis, dans un mouvement brusque et synchronisé, elles remontent dans les ténèbres, laissant mon fil de vie perdre de son éclat et se noyer dans tous les autres brins de cet amas sans fin.

La Titan me fixe de ses yeux perçants, un rictus sinistre déformant ses traits. Une tension écrasante envahit l’air et m’étouffe.

– Voici donc notre pacte, puiné. Il ne peut être ni brisé ni annulé.

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