Chapitre 12 - Lylhou
Je ne comprends pas pourquoi Arakis est si remontée contre moi ce soir…
En fait, je ne comprends pas non plus pourquoi elle ressent toujours le besoin de me pousser à bout. Elle prend un malin plaisir à me provoquer, à tester mes nerfs, comme si chaque regard noir et chaque pique échangée la rapprochaient de moi. Est-ce là son étrange manière de me dire qu’elle m’aime ? Parfois, je me demande si elle se rend compte de l’impact que ses paroles, aussi acérées qu’un couteau, peuvent laisser derrière elles… Ce soir encore, elle a trouvé le moyen de m’énerver suffisamment pour m'arracher des larmes. Et puis, elle m’a écouté…
Quand je lui ai parlé de ma rencontre avec Éridan, durant un cours instant j’ai senti quelque chose d’indescriptible dans son regard, elle a eu un éclair dans les yeux, un bref silence qui m’a laissé croire qu’elle s’inquiétait réellement pour moi. Enfin, jusqu’à ce qu’elle éclate de rire et me taille à nouveau sur ce « baltringue bien gaulé ». Cette réponse, encore une fois, déguisée en moquerie, m’a irritée, mais je me demande si elle n’a pas simplement masqué sa préoccupation.
Ma sœur est ainsi capable de me hisser vers les cieux, de me rappeler que je compte pour elle, que je suis son monde… tout autant qu’elle peut me renvoyer en plein abime d’une seule invective, me faisant douter de ce que je vaux vraiment à ses yeux. Cette divergence dans son comportement, dans ses mots et dans ses réactions a le don de me mettre hors de moi. Je ne sais plus comment m’y prendre avec elle.
– Ça va ?
La voix de ma sœur-araignée me sort de mes rêveries.
– Hum ?
– Tu fixes la porte de la guilde depuis cinq minutes…
Je tourne la tête et me rends compte que je suis devant le porche d’Aurore Éternelle. Deux torches l’encadrent et leur chaleur semble subitement m’envahir, comme si j’avais erré dans un autre monde jusqu'à maintenant.
– Oui, oui. Je repensais à…
Je laisse ma phrase en suspens. Inutile de ressasser la raison de notre dernière prise de bec.
Je pousse la porte et entre, Arakis sur mes talons. Je traverse la cour intérieure et guide mes pas vers mes appartements.
De pâles brumes miroitent dans les jardins, telle une humble mer de vapeur argentée sous laquelle roulent les eaux fraiches des canaux qui alimentent le bassin du patio. L’air est vif et, en atteignant ma chambre, une brise soudaine souffle dans mes cheveux et agite ma cape.
J’entre.
La pièce est exigüe.
J’éclaire d’un petit claquement de doigts les bougies d’un chandelier et referme la porte.
Sous la fenêtre entrouverte, un bon lit douillet me tend les bras. Les draps frais embaument légèrement le lin et le savon. Mon père a surement demandé à les changer, comme s’il savait que j’aurais besoin d’un peu de réconfort ce soir. Plusieurs volumes sur un rayonnage côtoient un grand tableau signé « Maria », une femme qui m’a payé un service avec ce présent et qui parcourt maintenant les routes avec son compagnon ménestrel. Mon diplôme d’académie trône discrètement sur le mur en face, encadré dans un bois sombre. Une table de chevet et une commode terminent l’ameublement de ma chambre.
C’est spartiate, mais c’est chez moi…
Alors que je m’assois sur mon matelas, j’aperçois un mot de mon paternel sur la table de nuit, accompagnée d’un petit livre épais. Je lis rapidement le message.
– Mon père est allé voir le flambellan. On va avoir « l’honneur » d’être escorté par un membre des Poussières d’Étoiles, commencè-je à voix haute d’un ton sarcastique. Il me passe également un nouveau bouquin : Chronologie Antique Mirmes…
Ma sœur fait la moue sans répondre. Je grimace.
– Tu vas me faire la gueule encore longtemps ? surinè-je, exaspérée.
Elle reste muette et s’installe lourdement près de mon lit, ses pattes frémissantes tapotant distraitement le sol comme si elle pesait chaque mot qui pourrait m’atteindre. Avec sa carrure, elle remplit quasiment le quart de la pièce.
Je m’assois sur le matelas, incapable de détacher mon regard de sa grappe d’yeux brillants. Ces prunelles scrutatrices semblent sonder mes faiblesses, réveillant un mélange de défi et de crainte au fond de moi.
– Tu sais, finis-je par dire après une longue minute de silence. Poussinette est une marque d’affection pour moi… Je ne l’utilise pas pour t’énerver.
Elle serre la mâchoire, comme pour retenir une de ses phrases acerbes. Je reprends :
– C’est un peu comme quand tu m’appelles belette.
– Je sais. Rassure-toi, c’est pas ça qui m’a énervée.
Son ton est presque doux, ce qui me fait lever un sourcil d’étonnement.
– C’est ta désinvolture qui me gave, lâche-t-elle.
– Par Tain ? C'est l’hôpital qui se fout de la charité non ?
Elle ébauche un sourire, mais finit par rire de sa grosse voix.
– Mais carrément ! Sauf que moi, je peux me le permettre ! On joue pas dans la même cour, belette. Moi, je suis un monstre, dans tous les sens du terme, et toi…
Elle me balaie du regard de haut en bas.
– Toi, t’es qu’une humaine. Certes, une humaine hors-norme, mais bon… une humaine, quoi. Moi, j’ai quand même un certain swag monstrueux à entretenir, tu vois.
Je prends son compliment avec un sourire. Aujourd'hui, ils sont plutôt rares.
– Et en quoi ai-je été désinvolte ? demandè-je.
– Je dois commencer à quel moment de ta vie ? Non, car il y a de quoi remplir des kilos de parchemins sur ton compte.
Je fais la moue en plissant les yeux.
– Ben voyons…
– Alors, j’vais pas te faire l’historique complet de tes niaiseries, sinon on en aurait pour des jours. Attaquons seulement les dernières vingt-quatre heures… De un, t’as foncé tête baissée face aux kirks. Bon, à ta décharge, c’étaient des baltringues, donc ça ne compte pas vraiment. Mais le lendemain, t’as fait la même chose avec cet écorcheur en papier mâché et t’as failli y rester.
Inconsciemment, je pose ma main sur mon épaule. En sortant des bains, j’avais refait un bandage rapide, qui ne sera pas aussi efficace que la soie d’Arakis, mais je n’ai pas trouvé le moment dans la soirée de lui demander de m'en reconfectionner un. Elle n'était pas trop d'humeur en plus...
– D’ailleurs, tu me montreras ta blessure avant de pioncer, je vais changer ton bandage.
Je souris. La Arakis protectrice est là…
– Puis, il y a eu ce trou d’balle au terme, reprend-elle. Un gars qui a un haki assez puissant pour te faire baver…
– Il n’avait pas de haki !
Ma voix est plus forte que je ne l’aurais voulu.
– Ça, c’est toi qui le dis… Moi, j’en mettrais pas mes pattes à couper… Mais bref, tu les enchaines les niaiseries, non ?
– Je ne suis pas responsable de cette rencontre avec Éridan, marmonnè-je. C’est lui qui est venu vers moi !
– Mais tu aurais pu te barrer…
– Non, dis-je en secouant la tête. Je te jure que j’ai essayé.
– On en revient au fait qu’il devait donc avoir un haki.
– Pourquoi un Aurore m’aborderait sous haki ?
– Parce que c’est un homme ? réponds Arakis d’un ton inquisitorial.
– Un novice arrive à la guilde et tente de me foutre dans son lit sous aura ? Tu penses vraiment qu’il risquerait sa place chez nous pour ça ? En plus, je suis loin d’être la plus belle femme de la ville…
– Là-dessus on est d’accord.
Ma main vole et frappe le haut de son crâne violemment.
– Arrête ! T’es pas cool !
– Quoi ? Quand je suis pas d’accord avec toi, t’es pas contente et quand je le suis, t’es pas contente aussi ! Faudrait savoir !
Arakis la reloue a pris la place de l’autre… Ça n’aura pas duré longtemps.
Un silence s’installe entre nous. Mais avant que mes pensées ne dérivent à nouveau, l’abdomen velu de ma sœur se tourne vers moi. Inutile de tergiverser et j’hôte mes vêtements et arache la bande qui me couvre l'épaule. Je lui présente ma blessure. Aussitôt, comme ce matin, un filet de soie jaillit de son postérieur et les filières se mettent au travail. En quelques secondes, elles ont appliqué la soie sur la plaie. Finalement, la protectrice est encore un peu là.
Je souris et me couche sur le dos, les bras derrière la tête.
– Un jour tu pourras me dire que tu m’aimes, tu sais. Et pas seulement quand tu dois te faire pardonner, la sermonnè-je.
Je lui fais un clin d’œil et continue :
– L’amour n’est pas une marque de faiblesse entre sœurs.
Elle pouffe.
– Je n’ai pas besoin d’exprimer des choses aussi évidentes. Tu le sais que je t’aime, inutile de palabrer des lustres là dessus.
Elle se penche alors sur ma table de chevet et pousse le livre avec un de ses pédipalpes.
– Ton père a bon gout… J’lui ai d’mandé de t’trouver un autre bouquin que ton éternelle encyclopédie et j’vois qu’il m’a écouté.
– Tu l’as croisé quand ? Ce soir ?
– On peut dire ça comme ça, rétorque-t-elle en éludant la question. Pendant que tu étais aux thermes, j’suis pas resté à slacker, tu sais. Je suis allé faire un tour, et j’ai rencontré ton daron, est-ce un crime ?
– Non, non… Et donc, mon père a bon gout ?
– Oui, les Mirmes me fascinent. Elles étaient autrefois des visionnaires et leur disparition est un rappel brutal des périls que l’ignorance peut causer.
– Elles étaient tellement visionnaires qu’elles n’ont pas vu leur propre extinction arriver, ricanè-je.
– Tu ne devrais pas parler des choses que tu ne connais pas, sœurette. Mais les femmes-fourmis étaient comme vous. À ceci près que pour elles, personne ne les avait prévenus de la catastrophe qui les guettait. Or, vous, vous faites fi des erreurs du passé et courez à votre perte alors que les mirmes vous ont pourtant averti.
J’arque un sourcil.
– Oui, belette. Vous regardez les runes mirmes de Men’Ris avec admiration, mais vous ne faites rien pour les interpréter. Vous fermez les yeux sur votre avenir…
– Les femmes-fourmis ont disparu, Arakis. Il y a des milliers d’années de surcroit… Et leurs secrets aussi… Qui se jugerait assez intelligent pour déchiffrer tous leurs mystères ? Sans doute pas moi…
– Commence par lire le bouquin de ton daron, me coupe-t-elle. Tu y apprendras beaucoup sur les origines de notre terre et du pourquoi elles ont été anéanties. Tu comprendras par ailleurs que les mirmes savaient qu’elles allaient être balayées, mais qu’elles ne l’ont pas été en vain. On peut même dire que si Tella tourne encore rond aujourd’hui, c’est grâce à elles et aux géants.
Je prends l’ouvrage et l’examine un instant. Sur sa couverture, reliée d’un liseré doré, apparait le nom de son auteur.
– Chapeau-Lion n’est pas réputé pour être très crédible par les érudits pourtant, marmonnè-je.
– Chapeau-Lion était un grand homme. Les puinés ont peur de ce qu’ils ne pigent pas et de ceux qui sont différents. Chapeau-Lion, Coparnis, Galyrer ou Haute-Dame, c’est kifkif. Ils sont morts pour leurs idées alors qu’ils tentaient de vous faire ouvrir les yeux…
Je ricane.
– Tu te ranges du côté des illuminés maintenant ?
– Qui sait ? rit-elle à pleines dents en sortant par la fenêtre. Allez, bonne nuit frangine, à demain.
Je la salue à mon tour alors qu’elle disparait dans les ténèbres en bondissant de toit en toit, aussi silencieuse qu’un chat en maraude.
Épuisée, je me déshabille et me glisse sous les draps frais. Leur contact sur ma peau me fait frissonner de bien être.
Le sourire encore aux lèvres, couchées sur le côté, la tête posée sur mon bras replié, je regarde, en m’endormant, le livre trônant sur ma table de chevet.
Encyclopédie des Savoirs Anciens :
Aurore Éternelle, guilde d’aventuriers
Aurore Éternelle est une guilde d’aventuriers qui propose ses services pour une multitude de tâches, allant de l’escorte de nobles et de commerçants à des missions plus périlleuses telles que la recherche d’artéfacts, la chasse aux kirks ou la traque d’enraes.
Fondée en l’An 2008 par Vindikaëll, le Sauveur de Mas’Kiria, Aurore Éternelle a émergé dans un contexte de crise. Avant de devenir le leadeur charismatique d’une nouvelle ère, le dirigeant actuel des Aurores était une simple recrue au sein de Rédemption, une guilde concurrente des Poussières d’Étoiles. Sa vie prit un tournant tragique lorsque son maitre de guilde, Seraphica, un séraphin reconnu pour sa sagesse, sombra un jour dans une rage meurtrière. Sous son impulsion, Rédemption lança une attaque dévastatrice sur Mas’Kiria, entrainant le meurtre du flambellan et des responsables des Patrouilleurs.
Face à la folie de Seraphica, plusieurs aventuriers, dont Vindikaëll lui-même, s’opposèrent à lui. La Bataille de Mas’Kiria fut un affrontement sanglant, où l’héroïsme et la détermination des résistants permirent de faire tomber la tyrannie. Après cette victoire, Vindikaëll rassembla les survivants de Rédemption, ceux qui n’avaient pas succombé à la démence de leur ancien maitre, et créa Aurore Éternelle. Cette nouvelle guilde se construisit sur des valeurs d’honneur, de camaraderie et de respect mutuel, regroupant les six membres fondateurs qui composent encore aujourd’hui son corps officier : Vindikaëll, Kramtar, Stra’kùn, Naït, Mo et Titi.
Au fil des années, Aurore Éternelle participa activement à la reconstruction de la cité de Pierre, s’imposant rapidement comme l’une des guildes les plus influentes et rentables de la région. Ses membres, reconnus pour leurs compétences exceptionnelles, s’illustrèrent dans diverses missions héroïques, renforçant ainsi leur réputation. Malgré les nombreuses propositions d’alliances avec d’autres cités-États, Vindikaëll, fidèle à sa ville natale, refusa toutes ces offres, préférant rester aux côtés de ses compagnons.
Aujourd’hui, Aurore Éternelle est l’une des plus grandes guildes du Mitan Central. Bien qu’elle demeure derrière les géants tels que Parangon, Millenium, Méthode ou Vogues, elle continue de jouer un rôle crucial dans la dynamique des guildes, et bon nombre de ses membres sont célébrés comme de remarquables aventuriers, respectés et craints à la fois. La guilde fait face à de nouveaux défis, mais son héritage, fondé sur le courage et la solidarité, perdure à travers les âges.
Par sieur Daraiden, maitre du savoir de Mas’Ilia
Annotations
Versions