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                Chris fut tiré de son sommeil par un cri d’effroi, et se redressa en braquant son arme dans cette direction, pour se retrouver face à Nancy, les mains et un bras couverts de sang, et les larmes aux yeux.

                — Mon dieu Chris, qu’est-ce qu’il se passe ?

                L’homme fronça les sourcils avant de se lever pour s’approcher de la jeune femme en rengainant son arme.

— Tu as mal quelque part ?

— Au bras gauche… Le bouger me fait vraiment très très mal…

                Il s’accroupit devant le lit avant de prendre le bras concerné avec d’infimes précautions pour l’observer quelques secondes puis ensuite marmonner.

— Bah ça y est gamine, tu es baptisée.

                Nancy le regarda en haussant les sourcils, aussi précisa-t-il.

— Quand on nous a tirés dessus hier, et que je me suis jeté en arrière tout en te repoussant, je l’ai fait pour te couvrir. Mais le risque zéro n’existe pas, et tu as pris une balle dans le bras.

                La bouche de Nancy s’ouvrit en grand, mais il lui fallut du temps pour rassembler ses idées et s’exprimer tout en compressant la plaie.

— Mais alors, pourquoi je n’ai pas eu mal ? Et pourquoi ça ne saigne que maintenant ?

                Se relevant, Chris se détourna d’elle pour aller ouvrir un tiroir et en sortir un téléphone portable qu’il entreprit d’allumer.

— Les balles vont tellement vite qu’elles cautérisent immédiatement le système nerveux. Les témoignages des personnes blessées par balle font en général état d’une douleur semblable à une piqûre d’abeille, puis plus rien. Dans le feu de l’action, il est donc tout à fait normal que tu n’aies rien ressenti. Quant au saignement, la balle est restée dans ton bras, ce qui arrête toute hémorragie potentielle. Mais je pense que tu as dû bouger dans ton sommeil, ce qui a déplacé l’ogive et permis au sang de s’écouler.

                Il commença à composer un numéro quand Nancy demanda.

— Vous allez me retirer la balle et me recoudre, pas vrai ?

— Même pas en rêve. Je n’ai pas les compétences requises.

                La jeune femme implora.

— Alors vous allez m’emmener à l’hôpital ?

— Non plus. Pour une blessure par balle, tu peux être sûre qu’ils appelleront les flics.

— Alors je vais rester là à me vider de mon sang ?

                Chris tourna son visage neutre vers elle avant de répondre.

— Bien sûr que non.

                Portant le téléphone à son oreille, il coupa court à la discussion. Quelques secondes plus tard, il parla au combiné.

— Salut, c’est Chris. J’ai du travail pour toi. Non, ce n’est pas moi. Jeune femme, entre vingt-cinq et trente ans.

                Il observa Nancy et reprit.

— Entre cinquante et soixante kilos. Blessure par balle au bras gauche, l’ogive semble toujours être dedans. Très bien. Le tarif habituel. Je te remercie. À tout de suite.

                Il raccrocha avant d’éteindre le téléphone et de le remettre dans le tiroir, puis retourna auprès de Nancy.

— On va aller voir un chirurgien qui va s’occuper de toi, mais avant, il faut dissimuler tout ceci, alors ne bouge pas.

                Il changea de pièce pour revenir quelques instants plus tard muni d’une trousse de premiers secours qu’il ouvrît devant son apprentie pour sortir son contenu, avant de se saisir d’une sangle munie d’un passant et d’une tige en plastique, ainsi que d’un lot de compresse.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un pansement tourniquet. C’est un garrot, en sommes. Ne bouge pas.

                Chris posa quatre compresses sur le trou, puis les ceintura à l’aide de la sangle, avant de serrer le tout en faisant tourner la tige en plastique sur elle-même.

— Ça fait mal…

— Tant mieux, ça veut dire que ça comprime la plaie et que le sang ne pourra plus couler autant.

                Quand il eut fini, il repartit avec la trousse pour revenir avec un manteau qu’il tendit à la jeune femme.

— On n’a pas le temps pour une toilette et un défilé de mode. Enfile ça pour dissimuler le sang sur ton bras.

                Nancy, qui commençait à trembler de douleur, implora de nouveau Chris du regard, et celui-ci soupira.

— Je vais t’aider, lève-toi.

                Une fois qu’elle fut habillée, il enfila un sweat avant d’ouvrir la porte et de soutenir la blessée pour l’aider à avancer. Ils descendirent lentement les trois étages puis se rendirent dans la cour de l’immeuble où Chris ouvrit un box, et Nancy s’exclama.

— Un Citroën C15, sérieusement ?

                Le tueur ne la regarda même pas en répondant.

— C’est increvable et ça tient bien la route. Certes, pour une course-poursuite ou une fusillade, ça ne vaut pas un clou, mais pour te ramener après l’opération, alors que tu seras encore anesthésiée, la soute sera très pratique.

— Ça fait vieux pervers.

— Je m’en branle, gamine. Monte.

                Il l’aida à s’installer avant de s’asseoir derrière le volant puis démarra.

Une dizaine de minutes plus tard, alors que Nancy pleurait en silence, il gara le véhicule sur le parking d’une clinique vétérinaire, et la jeune femme le dévisagea pour essayer de comprendre.

— Vous êtes sérieux ?

— Quand on sait opérer un animal, on sait opérer tout court. En plus, il sait se taire, et il m’a déjà soigné quelques fois. Maintenant, si tu préfères rester blessée, on peut repartir.

                Le silence fut la seule réponse qu’il reçut, aussi reprit-il.

— Bien, puisque l’affaire est entendue, allons-y.

                Il sortit de la voiture avant d’aider Nancy à faire de même, puis l’entraîna à sa suite vers une petite porte. En passant devant la plaque de l’entrée principale, la jeune femme murmura.

— Un vétérinaire qui s’appelle Lechien… Quelle ironie.

— Ta gueule.

                Une fois devant la porte de service, Chris frappa trois fois et celle-ci s’ouvrit pour libérer un homme en blouse blanche, grisonnant et souriant.

— Salut, Chris, entre.

                Le duo pénétra et le vétérinaire referma derrière eux, puis Chris sortit une liasse de billets de la poche centrale de son sweat.

— Cinq milles, comme convenus.

                Se saisissant de l’argent, l’homme les invita à le suivre jusque dans un bloc opératoire.

 Enfilant un masque, une charlotte et des gants, il demanda.

— Les Russes hier, c’était vous.

— Oui.

— Juan Carlos aussi ?

— Bien entendu.

— Sans tout mettre à feu et à sang ? Ça ne te ressemble pas.

                Aidant Nancy à retirer sa veste et à s’allonger sur la table d’opération, Chris répondit.

— On a suivi le plan de la gamine. Ça n’aurait tenu qu’à moi, le bâtiment ne serait plus debout.

                Le vétérinaire rigola.

— l’inverse m’aurait étonné. Mais beaucoup de choses me surprennent. D’abord, tu as une acolyte, ce qui ne t’est pas arrivé depuis… Que tu as été trahi par ton unité… Et en plus tu écoutes les conseils de quelqu’un d’autre… Faut vraiment qu’elle soit spéciale.

                Nancy lança un regard interrogateur vers Chris qui répondit en serrant les mâchoires.

— On a des objectifs et motivations communs, ça s’arrête là. Maintenant, opère-la, Grégoire.

— Soit.

                Une seringue à la main, le chirurgien animalier prit le bras droit de la jeune femme qu’il se raidit.

— Il y a quoi, là-dedans ?

— Un anesthésiant pour chevaux. Mais dosé pour un être humain. Ne vous en faites pas, j’ai l’habitude.

                Nancy regarda Chris qui tenta de sourire avant d’ajouter.

— Je te l’ai dit, il m’a déjà opéré plusieurs fois, et j’ai survécu. Alors, fais-lui confiance.

                Elle n’eut pas le temps de répondre que la seringue se plantait dans son bras pour déverser l’anesthésiant, et la jeune femme sombra dans le sommeil médicamenteux en un rien de temps tandis que Grégoire approchait un plateau rempli d’outils chirurgicaux aux côtés du bras à opérer.

— Alors, dis-m’en plus.

                Chris croisa les bras tandis que le vétérinaire retirait le pansement tourniquet.

— Tu dois être au courant de ma descente chez les Giovanni ?

— Qui ne le serait pas ?

— Elle était parmi les filles qu’ils comptaient utiliser à l’issue de la réunion. Sauf qu’elle, ils s’apprêtaient à la briser à l’ancienne.

                Incisant la plaie, Grégoire murmura.

— Quelle belle bande de pourris…

— Je ne te le fais pas dire. Ce soir-là, elle m’a sauvé la vie. Et quand je me suis réveillé trois jours plus tard, elle a refusé de partir. Elle m’a dit qu’elle aurait sa vengeance, avec ou sans moi.

                Se saisissant d’une petite pince, le chirurgien demanda.

— Tu l’as prise sous ton aile pour ne pas avoir une âme de plus sur la conscience, parce que tu savais que toute seule, elle se ferait tuer, voire pire ?

— Je ne sais pas… Sa détermination était telle que je n’ai pas réussi à dire non…

— Bien, ça prouve qu’il y a toujours un cœur qui bat sous tes gros pectoraux. Tu me montreras la zone qu’elle a traitée, après ça. Je voudrais m’assurer que tout va bien.

— Soit.

                Grégoire amena la pince au-dessus d’un bocal transparent et repli d’eau, avant d’y lâcher quelque chose. Se penchant vers le récipient, Chris fronça les sourcils.

— Du bois ?

— Exact. La balle a dû traverser le montant de la porte, un truc comme ça, ce qui lui aura fait perdre suffisamment de vitesse pour ne pas traverser son bras. Et tant mieux pour elle.

— Pourquoi ?

                Retirant l’ogive, le vétérinaire murmura.

— Elle a failli lui déchirer l’artère humérale et lui détruire l’os. Au mieux, elle aurait perdu son bras, au pire, elle aurait perdu la vie. Elle a eu beaucoup de chance.

                Chris baissa la tête en soupirant alors que Grégoire reposait la pince en reprenant.

— Il ne faut pas t’en vouloir. Te connaissant, tu as dû essayer de jouer au bouclier humain.

                Le tueur acquiesça avant de se relever, et le chirurgien reprit.

— Chris, tu as conscience du fait que ta quête n’aboutira jamais ? Je veux dire, il y aura toujours un enfoiré pour remplacer ceux qui tu descends…

                Chris lui offrit son regard le plus noir avant de répondre.

— Je te rappelle qu’ils ont tué Clarisse dans l’espoir de m’atteindre, et que toi et les enfants avez dû changer d’identités après ça. Et tu voudrais que je m’arrête ?

                Recousant la plaie, Grégoire soupira.

— Ils ont tué Clarisse parce que tu t’étais lancé dans ta vendetta, alors ne viens pas l’utiliser comme excuse, tu veux bien ? Respecte sa mémoire.

                Chris serra les poings à s’en faire craquer les phalanges alors que Grégoire reprenait.

— Rappelle-toi ce qu’elle te disait à chaque fois que tu rentrais de mission. À trop tuer…

— On perd son âme, je sais. De ce côté-là, je pense qu’il n’y a plus rien à sauver chez moi.

                Reposant son aiguille, Grégoire se tourna vers Chris avant de retirer son masque et reprit.

— Elle priait pour toi tous les soirs, tu sais. Bien avant que tu ne sois laissé pour mort. Ta sœur s’inquiétait vraiment pour toi, parce qu’elle savait que tu serais prêt à mourir pour tes convictions.

— Et quand je pense à elle, je me dis qu’il aurait mieux valu. Mais maintenant que j’ai lancé tout ça, je ne peux plus faire machine arrière.

                Se levant de son tabouret, Grégoire se rendit à une armoire à pharmacie pour en sortir des boîtes de cachets.

— Ça fait combien de temps maintenant que tu fais ça ?

— Huit ans.

— Et as-tu le sentiment d’avoir avancé ?

— Oui.

                Le vétérinaire se retourna, surpris, avant de venir se placer face à lui, sceptique.

— Pourquoi ?

— La Triade n’envoie plus de renforts, ils ont abandonné l’idée de trafiquer en France. Ceux qui sont encore en vie ne sont qu’une branche morte de l’organisation que je vais bientôt élaguer.

                Grégoire fit une drôle de moue en acquiesçant avant de lui tendre deux boîtes.

— Tiens. Antidouleur et anti-inflammatoire, trois fois par jours pendant les repas. Et si possible, repos complet jusqu’à cicatrisation. J’ai mis des fils résorbables, pour que tu n’aies pas besoin de lui retirer après.

                Chris prit les deux boîtes en le remerciant, et le chirurgien se rassit.

— Allez, viens me montrer tes blessures.

                Le tueur s’avança en retirant son sweat et son tee-shirt, et Grégoire siffla.

— Et bah… Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Cartouche de 9 mm presque à bout portant. Mon kevlar n’a pas servi à grand-chose.

— En effet. Les sutures sont distendues. Je suppose que je dois mettre ça sur le compte de votre nuit de folie ?

                Chris opina tandis que Grégoire se saisissait d’un scalpel propre.

— Je vais retirer les fils et refaire le travail. Je ne te propose toujours une anesthésie, même locale ?

— En effet.

— Très bien, alors allons-y.

                Le vétérinaire s’activa sur le ventre de son patient qui n’émit que de légers grognements, puis ils attaquèrent son dos. Quand il eut fini, Grégoire s’épongea le front à l’aide de son avant-bras avant de reprendre.

— Néanmoins, les plaies sont propres. Elle a fait du bon boulot.

— Elle était en école d’infirmière avant de se faire chopper par ces monstres. Elle a utilisé cet argument pour justifier sa présence à mes côtés.

                Grégoire rigola avant de prendre le plateau avec ses stencils pour les porter au stérilisateur.

— Une petite futée. Il faudrait que tu me la passes en formation un de ces quatre.

— Et ne plus te payer rubis sur l’ongle ? Ce serait dommage…

— Hey, c’est toi qui insistes pour ces tarifs, je te signale.

— Oui. C’est ma façon de compenser financièrement la perte de Clarisse. Comment vont les enfants ?

— Tes neveux et nièces vont bien. Claire a déjà choisi son orientation après le collège, et Chris rentre justement au collège l’année prochaine.

                Chris opina lentement du chef et Grégoire reprit.

— Dis-moi qu’il t’arrive de penser à eux et que tu te dis qu’ils te manquent.

                Le tueur pinça les lèvres avant de répondre.

— J’ai beau avoir étouffé la majorité de mes sentiments, je ne suis pas complètement insensible. Pourquoi crois-tu qu’ils ont toujours un colis surprise pour leurs anniversaires et Noël.

                Retirant ses gants, Grégoire grogna.

— Ouais, d’ailleurs ce putain de poney coûte cher à l’entretien…

— Avec les cinq mille euros que je viens de te filer, ça devrait couvrir ses frais un certain moment, non ?

— Un an à tout casser. Je t’aime à la mettre dans la voiture ?

                Chris observa Nancy quelques secondes avant de répondre.

— Je vais la porter, ne t’en fais pas. Je te fais confiance, je sais que les sutures ne sauteront pas.

                Grégoire opina, et alors que Chris chargeait la jeune femme sur son épaule, il leur ouvrit la porte du bloc pour les raccompagner à la sortie du bâtiment. Quand ils furent sur le point de se séparer cependant, Grégoire retint Chris par le bras.

— Fais attention, tu veux bien ?

— Mon état m’a toujours peu importé.

— Je ne pense pas à toi, Chris. Ils ont eu ma femme, ta sœur, et je ne voudrais pas qu’ils s’en prennent aux enfants. Je n’ai qu’une confiance relative dans le changement d’identité.

                Chris resta impassible, mais un léger remord s’entendit dans sa voix lorsqu’il répondit.

— Je te jure que ça ne se reproduira jamais.

                Grégoire acquiesça lentement avant de refermer la porte, et Chris se rendit à son véhicule dans la soute duquel il allongea la jeune femme avant de reprendre la route, les larmes aux yeux.

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