10
Nancy ouvrit lentement les yeux, cotonneuse et brumeuse, essayant de se repérer dans un environnement qu’elle n’arrivait pas à appréhender ni à reconnaître, jusqu’à ce que les évènements lui reviennent. Elle avait été droguée et livrée en pâture à des truands, avant d’être sauvée par un tueur sanguinaire et de choisir de le suivre dans sa quête de vengeance, pour ensuite être blessée par balle au bras gauche dès sa première intervention. Elle avait ensuite été emmenée chez un vétérinaire pour y être soignée, et celui-ci l’avait anesthésiée. Elle regarda alors son bras pour découvrir la plaie suturée et propre, avant de tourner la tête de l’autre côté et voir une perfusion dans son autre membre, ainsi qu’une table de chevet sur laquelle reposaient un verre rempli d’eau et une bouteille. Se saisissant du verre, elle en but quelques courtes gorgées avant de se rallonger. Combien de temps avait-elle dormi ? Où était-elle ? Et où pouvait bien être Chris ? Luttant contre le sommeil tout en se posant ces questions, elle en fut tirée par un bruit de serrure. Craignant subitement pour sa sécurité, elle essaya de se relever lentement, jusqu’à ce que la porte de la pièce s’ouvre et que Chris entre pour immédiatement se rendre à son chevet.
— Doucement, gamine, ne bouge pas. Tu es affaiblie et visiblement tu émerges à peine du cirage. Prends le temps de souffler, tu veux bien ?
Il la prit doucement de la main droite pour la faire se rallonger tandis que Nancy lui lançait un regard rempli d’incompréhension.
— Chris, on est où ?
Il lui offrit un semblant de sourire avant de répondre de son ton éternellement froid et neutre.
— Dans une de mes planques. Une petite maison en lisière de l’île de France. C’est là que je me rends quand j’ai besoin de me refaire une santé, alors je me suis dit que c’était de circonstance. Et puis, ici au moins, je ne serais pas obligé de dormir à même le sol.
— J’ai dormi combien de temps ?
— Cinq jours. Je t’ai laissé volontairement sous anesthésie pendant trois jours pour que tu cicatrises bien, puis la nouvelle perfusion servait à te purger de tout ça. J’espère que tu ne m’en veux pas…
Nancy fronça les sourcils preuve de son mécontentement, avant de poser une autre question.
— Vous étiez parti où ?
Chris haussa l’épaule droite.
— Je suis allé faire une petite course, j’ai acheté de la nourriture, elle est dans le frigo. Repose-toi encore un peu le temps que je me lave, puis je te préparerais à manger, d’accord ?
Fatiguée par la conversation, Nancy opina du chef, incapable d’opposer la moindre résistance, avant de reposer la tête sur l’oreiller. Chris passa la main droite dans les cheveux de la jeune femme avant de murmurer.
— Repose-toi bien, gamine.
Après quoi il se releva pour sortir de la pièce, le bras gauche pendant, immobile, pour refermer la porte derrière lui. Quelques instants après pourtant, Nancy se redressa lentement. Quelque chose dans l’attitude de Chris la perturbait. Tournant la tête sur le côté, elle vit quelques marques rouges sur le sol, et soudainement elle comprit. S’il avait le bras raide, c’était parce qu’il était blessé. Elle s’assit lentement au bord du lit, attendant d’être sûre de ne pas avoir la tête qui tourne trop, puis retira sa perfusion avant constater en maugréant qu’elle portait une couche. Une fois sûre de son état et de son équilibre, elle entreprit de se relever lentement et de sortir de la pièce d’un pas mal assuré. Se guidant en suivant le bruit de la douche, elle se dirigea dans la maison jusqu’à la salle de bain dont elle ouvrit la porte pour trouver Chris dans une douche à l’italienne, le bras gauche profondément entaillé sur plusieurs centimètres tandis que le sang coulait, entraîné par l’eau jusqu’à la bonde d’évacuation, arrachant un soupire de consternation à la jeune femme tandis qu’elle constatait le nombre de cicatrices parcourant son corps, réalisant maintenant le nombre de fois où il avait dû frôler la mort.
— Chris… Qu’est-ce que vous avez encore fait ?
Sans se retourner, celui-ci répondit avec calme.
— J’ai fait ce que je fais le mieux. Les Africains n’ont plus de plantations de cannabis dans la forêt de Fontainebleau maintenant.
Nancy émit un bruit signifiant sa désapprobation avant de s’approcher.
— Il va falloir que je vous recouse… Encore…
— Oh, je peux le faire tout seul au pire. Là, tes mains doivent être mal assurées… Et puis avant je dois mettre de l’aspirine en poudre dessus.
— De l’aspirine ?
— Oui. Si dans l’organisme c’est un fluidifiant sanguin, sur une plaie c’est un excellent coagulant.
— Ah. Bien…
L’infirmière s’avança jusqu’à pénétrer dans la douche sans se soucier des vêtements qu’elle portait, et posa une main délicate sur la plaie.
— C’est net, long, mais pas très profond. Ce n’est pas une blessure par balle, n’est-ce pas ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Elle entendit Chris émettre ce qui ressemblait à un petit rire, puis il répondit.
— Une plantation de cannabis en pleine forêt de Fontainebleau, je te l’ai dit. Mais il y a toujours trop de civils là-bas pour utiliser des armes à feu, une balle perdue est si vite arrivée… Alors j’y suis allé avec un stock de couteaux, et ma petite affaire avançait plutôt bien jusqu’à ce qu’un des gardes se retourne pendant que j’égorgeais son petit camarade. Je lui ai arraché son arme, mais il m’a volé un couteau, et nous nous sommes battus. Si tu te poses la question, j’ai gagné, et sans qu’il ait le temps de donner l’alerte.
Nancy haussa un sourcil avant de répondre d’un ton sarcastique.
— Je n’aurais pas deviné. Et les plantations ?
Toujours dos à elle, Chris reprit.
— J’ai foutu les cadavres au milieu, j’ai répandu de l’essence partout, puis j’y ai foutu le feu. Je suis sûr qu’ils en parlent aux infos. Mais ça va, leur petit business était au milieu d’une clairière, en théorie la forêt n’a rien. Par contre les promeneurs et les pompiers doivent être un peu stones…
Nancy eut un petit rire.
— Ça doit être cocasse, en effet.
Se collant contre le dos musclé du combattant, elle reprit.
— J’ai eu peur quand je me suis réveillée… Je craignais qu’il vous soit arrivé quelque chose.
Si le contact du corps de la jeune femme contre le sien lui fit le moindre effet, Chris n’en montra rien.
— Ça aurait pu, ça fait partie des risques, et ça ne me fait pas peur. Je suis déjà mort, et j’en suis revenu.
Se décollant de lui, Nancy murmura.
— En fait, c’est même ce que vous recherchez, n’est-ce pas.
Le silence fut la seule réponse qu’elle reçut, aussi après quelques secondes elle se décolla entièrement de son sauveur.
— Et avec tout ça, vous ne profitez donc jamais de la vie ?
Chris fronça les sourcils avant de tourner la tête vers sa coéquipière, pour la trouver droite, les cheveux collés à son visage par l’eau et un sourire triste sur le visage.
— Que veux-tu dire par là ?
Le sourire de Nancy l’élargit un peu.
— L’autre jour, je crois que je ne me suis jamais sentie aussi vivante. Mais après ma blessure, j’ai aussi réalisé que tout peut s’arrêter en une fraction de seconde. Et ça me fait me dire qu’il faut profiter pleinement de chaque instant.
Les sourcils du combattant se froncèrent encore plus alors qu’il essayait en vain de comprendre la jeune femme, puis il refit face au mur avant de répondre.
— Je préfère rester concentré sur ma mission et rejeter toute forme d’interférence.
Le sourire de l’infirmière disparut, laissant place à une profonde déception.
— Ah… Bien… Je vais vous laisser finir alors… Je me sèche puis je sors.
— Bien. Tu as des vêtements dans le placard de la chambre, je t’en ai acheté.
— Merci beaucoup…
Elle quitta la douche avant de retirer son débardeur et sa couche, puis s’essuya avant de partir. Quand la porte fut fermée, Chris secoua la tête avant de basculer la température de l’eau au plus froid possible. Une demi-heure plus tard, il entra dans le salon vêtu d’un pantalon cargo bleu nuit et d’un tee-shirt blanc, le bras recousu, pour y trouver Nancy habillée d’un jean et d’un sweat à capuche fixant la télévision parlant d’un incendie dans la forêt de Fontainebleau. Devinant un malaise qu’il ne comprenait pas, il se racla la gorge.
— Je te prépare quelque chose à manger ?
Pour toute réponse, la femme haussa les épaules, et Chris balbutia.
— Bien… Bien… Je… Je vais faire une omelette aux champignons, si jamais tu en veux…
La jeune femme ne répondit pas, focalisée sur la vieille télé à tube cathodique, laissant le combattant perplexe tandis qu’il ouvrait le réfrigérateur pour sortir les œufs, les champignons et une bière qu’il but tout en cuisinant. Le repas se fit dans le plus grand silence, et lorsqu’ils eurent fini, Nancy se leva pour quitter la pièce en murmurant.
— J’ai sommeil, je retourne me coucher.
Chris la fixa avant de reporter son attention sur sa tasse à café tout en se demandant ce qu’il avait pu faire de mal, tandis que dans son lit Nancy essuyait une larme furtive.
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