11
À sept heures le lendemain, Nancy fut tirée de son sommeil par la main de Chris secouant doucement son épaule. Ouvrant un œil en grognant, elle demanda.
— Il est quelle heure ?
— Sept heures.
Elle leva les yeux vers l’homme au-dessus d’elle pour l’observer et constata qu’il était rasé de frais et visiblement pleinement réveillé.
— Vous êtes debout depuis quand ?
Chris fit ce qui ressemblait le plus à un sourire chez lui avant de répondre.
— Cinq heures. J’ai eu des trucs à préparer avant notre départ.
S’appuyant sur son bras droit pour se redresser tout en remettant de l’ordre à ses cheveux de la main gauche, Nancy s’enquit.
— On part où, cette fois ?
Chris se releva lentement pour éviter d’avoir le nez dans la poitrine de la jeune femme avant de répondre.
— Je t’ai dit que je devais t’apprendre utiliser les armes à feu, tu te souviens ?
Assise sur le rebord de son lit, Nancy grogna.
— Oui, parce que sinon je ne vous sers à rien, c’est ce que vous aviez dit.
Chris haussa un sourcil.
— Désolé, je n’ai jamais eu beaucoup de tact.
Se remémorant la scène de la veille sous la douche, l’infirmière grogna une nouvelle fois.
— C’est le moins qu’on puisse dire. Et donc, on va où ?
— Dans la Creuse. En faisant un petit détour par une concentration de bikers pour éliminer un trafiquant d’armes et de drogue au passage.
Nancy roula les yeux au ciel.
— Je ne suis même pas surprise… Joignons l’utile à l’agréable, pas vrai ?
Le combattant répondit sobrement.
— Tu n’as pas idée. Tu aimes la moto ?
Cette fois-ci, la jeune femme le regarda avec intérêt.
— On va se grimer pour passer incognito dans votre concentration, là ?
Chris opina avant d’ajouter.
— Alors, tu aimes la moto ?
— Je ne sais pas, je n’en ai jamais fait.
— Il y a un début à tout, et je sens que tu vas adorer. Est-ce que tu es frileuse ?
Nancy haussa un sourcil dubitatif.
— Je ne vais pas faire une généralité, mais globalement, les femmes sont plus frileuses que les hommes… Pourquoi ? Vous voulez que j’ai l’air d’une putain à Hell’s Angels ?
Chris afficha de nouveau son erzats de sourire tandis qu’elle appuya son front dans sa main en murmurant.
— S’il vous plaît, la prochaine fois, annoncez-moi un truc comme ça après m’avoir amené le petit déjeuner au lit…
— Dis-toi que pour me faire pardonner, le café est passé et je t’ai même acheté des croissants.
Nancy redressa la tête pour le regarder avec étonnement.
— Vous voulez dire que vous pouvez être civilisé ?
Chris haussa les épaules.
— Quand il le faut. Allez, debout gamine.
La jeune femme haussa un sourcil.
— Quand vous serez sorti. Je dors en culotte.
Chris se raidi quelques secondes avant de faire demi-tour et quitter la pièce sous le sourire narquois de sa coéquipière, avant de se rendre dans la cuisine. Quand la porte fut fermée, Nancy se leva et passa un jean par-dessus sa lingerie puis alla rejoindre son mentor dans la cuisine pour découvrir sur la petite table un café fumant, un bol contenant des carrés de sucre et un sac en papier duquel dépassaient deux croissants.
— Eh bien, c’est jour de fête, dites-moi !
Relevant le nez de son écran d’ordinateur, Chris la dévisagea avant de répondre.
— C’est pour me faire pardonner. À cause de moi tu t’es fait tirer dessus, et tu t’es inquiétée de mon absence alors que j’aurais au moins pu te laisser un mot. Je ne suis plus habitué à vivre à deux.
Trempant son croissant dans la tasse, Nancy aussi un sourcil en demandant.
— Vous avez déjà vécu en couple ? Vous ? Sérieusement ?
Chris la fusilla immédiatement du regard.
— Est-ce si aberrant que ça ?
— Disons que j’ai du mal à vous imaginer en mode cœur-cœur-love… Qui a quitté l’autre ?
Il garda le silence quelques secondes avant de soupirer.
— Elle me pense mort. Et c’est très bien comme ça.
— Oh… Je suis désolé, je ne savais pas…
Chris haussa les épaules.
— Il n’y a pas de mal.
Subitement triste, Nancy hasarda.
— Vous aimeriez la recontacter ?
— Elle a refait sa vie.
— Ce n’est pas la question que je vous ai posée.
Il fit une drôle de moue avant de reprendre.
— Même si j’éprouve de la peine parce que cette histoire me laisse un goût d’inachevé, je suis passé à autre chose.
Recommençant à tremper son croissant dans le café, Nancy répondit en haussant un sourcil déçu.
— Oui, je me souviens, vous préférez éviter les interférences.
Chris la coupa.
— Non. Je me blinde, surtout. Si je pouvais réellement couper les ponts avec ma vie passée, je ne passerais pas par Grégoire quand j’ai besoin de soins. Faire appel à lui n’est qu’une excuse pour le voir et participer financièrement au confort de mes nièces.
Un morceau de croissant dans la bouche, Nancy hésita.
— Vous vous sentez coupable du décès de votre sœur, pas vrai ?
— Oui. Je sais que ça peut sembler surprenant, mais j’éprouve encore des sentiments.
La jeune femme ne put s’empêcher de rire.
— Ça, je crois qu’il n’y a que vous que ça étonne.
Chris quitta de nouveau son écran des yeux pour dévisager la jeune femme.
— Je te demande pardon ?
Elle prit le temps de boire une gorgée de café avant de reprendre.
— Vous avez beau prétendre chercher à mourir, sûrement pour expier parce que vous vous sentez coupable pour votre sœur, ou dire ne rien vouloir ressentir pour rester concentré, vous n’en restez pas moins un être humain. Vous ne pouvez pas ne rien ressentir, et qu’importe à quel point vous étoufferez vos sentiments, ils seront quand même bel et bien présents. À vous de les accepter et de vivre avec.
Elle lui fit un clin d’œil tandis qu’il la fusillait du regard en marmonnant.
— Je te souhaite d’avaler ton café de travers.
— Vous avez vraiment le don pour les déclarations d’amour.
Elle se leva de son tabouret et vint s’asseoir aux côtés de Chris sur le canapé pour observer l’écran de l’ordinateur avant de reprendre.
— Sinon, pour en revenir à nos moutons, c’est qui la cible, et c’est quoi le plan ?
Chris cliqua sur une image qui s’agrandit pour faire apparaître un homme à la barbe fournie et grisonnante tandis que son crâne rasé luisait sous l’effet du flash de la photo.
— Archibald Lecter, chef du gang des Heart’s Eaters.
Nancy le dévisagea en haussant un sourcil circonspect.
— Les mangeurs de cœur, sérieusement ?
Chris haussa les épaules.
— Ces gangs n’ont jamais des noms très originaux…
— OK… Et son pedigree ?
Chris sourit en ouvrant un dossier texte que la jeune femme commença à lire à haute voix.
— Soupçonné de meurtre dès douze ans ? Précoce… Ensuite, trafic de drogue aux sauvette, petits braquages… À dix-huit ans, il prend trois ans de sursis pour vol de voiture, à 25 ans il prend cinq ans fermes pour braquage à main armée, mais n’en fait que trois. Soupçonné de trente homicides, quarante-deux braquages, seize viols, et son gang est connu pour à minima vendre de la drogue et des armes, soupçon de prostitution et de traite d’êtres humains. Bien, le débat est clos, il mérite de mourir.
Chris la dévisagea quelques secondes avant de demander.
— Est-ce que tu n’oublierais pas quelque chose, gamine ?
Nancy sembla réfléchir quelques secondes avant de répondre.
— J’ai oublié de dire s’il vous plaît ?
Chris haussa les sourcils.
— L’aspect stratégique, quel est-il ?
La jeune femme ouvrit la bouche quelques secondes avant de se ressaisir.
— Il peut nous informer sur ses revendeurs et ses acheteurs potentiels. Lesquels vous préféreriez connaître ? Les revendeurs pour couper la chaîne de ravitaillement ?
— Exactement. Suite du test, l’infiltration. Je t’écoute, démontre-moi qu’il y a de meilleurs plans que de se faire passer pour des bikers, ou alors dis-moi comment tu ferais s’il ne restait que ce plan.
Nancy s’écria.
— Attendez, c’est une interro surprise ?
— Oui. Et après, il y aura la mise en pratique.
— On suivra mon plan ?
— Oui, que tu pourras mettre à jour au fur et à mesure des nouvelles données, mais c’est toi qui es aux commandes.
— Oh…
La jeune femme reposa sa tasse vide avant de se diriger vers le frigo qu’elle ouvrit pour se saisir d’une bière. Une fois la bouteille décapsulée, elle la vida d’une traite sous le regard dubitatif de son professeur.
— Quoi ? J’essaie de me mettre dans la peau du personnage.
Chris posa silencieusement sa tête sur son poing tandis qu’elle reprenait.
— Je doute qu’ils laissent entrer des touristes, alors je n’ai pas d’autre solution que de partir sur la base de votre plan.
Le guerrier sourit tandis qu’elle s’ouvrait une seconde bière en murmurant.
— Bordel, mon foie ne tiendra jamais la cadence…
— Je peux savoir pourquoi tu fais ça ?
Nancy le fusilla du regard.
— Vous ne me ferez pas croire que ça ne picole pas à foison là-bas.
Chris pinça les lèvres avant de répondre.
— D’accord, et je suppose que je n’essaie pas non plus de te faire croire que ça ne se drogue pas, que ça ne baise pas, et que tu ne risques pas de te faire tripoter par des gros dégueulasses non plus ?
Finissant sa deuxième bière, la jeune femme le fusilla du regard.
— Je vous hais.
— Mais non, tu dis ça parce que tu es en colère. En revanche, tu vas devoir te mettre à me tutoyer. Par contre, comme je suis sympa, je te laisse choisir ta nouvelle identité. Après, on ira t’acheter des fringues adaptées au contexte et te choisir une autre couleur de cheveux. Et possiblement une autre coupe.
— Mais pourquoi ?
— D’une pour faire plus vulgaire, de deux parce que le signalement d’une future putain qui s’est échappée a déjà dû être diffusé.
Nancy serra les dents avant de grogner.
— Ajoutez l’esthéticienne aussi dans ce cas… Croyez bien que vous me le paierez.
Refermant son ordinateur avant de se lever du canapé, Chris répondit.
— Tu m’as forcé à me raser tant la tête que la barbe, alors disons que ça fait un point partout. Maintenant, comme je te l’ai dit, mets-toi à me tutoyer en même temps que tu réfléchis à ta nouvelle identité, la mienne ainsi que notre couverture.
Un sourire carnassier étira le visage de la jeune femme.
— La couverture, c’est simple, il va falloir faire un tour chez le bijoutier. Je ne peux pas être la salope d’un biker sans qu’il m’ait offert une belle et grosse alliance bien tape-à-l’œil.
Chris entrouvrit la bouche, mais ne trouva rien à répondre, aussi se contenta-t-il d’aller enfiler sa veste en cuir puis de mettre son pistolet automatique dans son holster d’aisselle tandis que Nancy rigolait. Quand il passa devant elle, il s’arrêta quelques secondes avant de lancer.
— Je te demanderais juste de mettre un soutien-gorge s’il te plaît. Ou au moins un pull…
La jeune femme bomba le torse en se collant à lui avant de répondre.
— Allons, mon chéri, je ne crois pas qu’un gros dur de biker soit gêné par la poitrine de sa femme, non ?
Chris fronça les sourcils en expirant tel un taureau avant de sortir de la pièce en claquant la porte sous les rires de sa coéquipière. Après avoir enfilé un pull, elle le retrouva sur le pas de la porte de la petite maison de plain-pied pour le suivre sans un mot jusqu’à une sublime moto noire stationnée sur le trottoir, avec quatre pots d’échappement répartis par paire des deux côtés du carénage, un guidon haut et large propre aux choppers custom et un énorme pneu arrière. Chris lui tendit un casque sans visière partie inférieure avant d’en enfiler un identique équipé de lunettes puis de s’asseoir sur la moto et d’en démarrer le moteur dans un puissant vrombissement. Il tourna ensuite la tête vers la jeune femme et cria pour couvrir le bruit.
— Bon, tu viens ou tu restes là ?
Nancy hésita quelques secondes, mais finit par enfiler le casque et l’attacher avant de s’asseoir derrière Chris. Celui-ci lui attrapa alors les cuisses pour la plaquer contre lui en expliquant.
— Bien collée contre moi, comme si tu voulais m’enculer, c’est clair ?
Nancy ouvrit de grands yeux choqués tandis qu’il continuait.
— Si je me penche, tu en fais autant. Sinon, tu fausses notre centre de gravité, et alors bonjour le bitume. Des questions ?
Il démarra sans laisser le temps à sa passagère de répondre et celle-ci se cramponna à lui tandis qu’il prenait de la vitesse en zigzaguant entre les quelques voitures en circulation. Après quelques mètres, elle trouva la force de crier.
— Tu as le permis au moins ?
— Bien sûr, tu me prends pour qui ? Quelqu’un qui agit en marge des lois ?
— Bah… Oui…
— Je te rappelle que je n’ai pas toujours vécu cette vie-là. Tu veux qu’on commence par quoi ?
— L’esthéticienne. Si je dois essayer des micros shorts, qu’au moins je ne ressemble pas au yeti.
Chris rigola avant de virer à droite en suivant un panneau indiquant le centre-ville, quand subitement Nancy demanda.
— On est plus à Vincennes ?
— Non, on est dans l’Essonne, sur mes terres natales.
La moto ralentit en arrivant à quelques mètres du centre-ville, avant de s’immobiliser le long de la mairie, puis Chris déplia la béquille tout en coupant le contact tandis que Nancy soufflait de soulagement.
— La vache, ça dépote… Et il y a combien de kilomètres entre ici et notre destination ?
Retirant son casque, Chris répondit avec stoïcisme.
— Quatre cent bornes, mais on devra s’arrêter à mi-chemin.
— Pourquoi ça ?
— Nous partirons dans la soirée, que tu ais le temps de te préparer. Et si on veut pouvoir être opérationnels demain, il nous faudra du repos.
Nancy haussa les sourcils.
— C’est toi qui vois.
Dans la foulée, elle lui saisit la main en souriant avant d’ajouter.
— Je te suis, mon chéri.
Chris se raidi avant de tourner lentement la tête vers elle tandis qu’elle battait des cils.
— Quoi ? Je me mets dans le personnage… Je peux t’embrasser si tu veux, je suis prête à me forcer un peu.
Chris fronça les sourcils avant de se mettre en marche en traînant derrière lui la jeune femme hilare pour entrer dans un salon esthétique où une femme rousse d’une cinquantaine très apprêtée les accueillit.
— Bonjour et bienvenu chez Esthé-Chic, que puis-je pour vous ?
Nancy s’accouda au comptoir avant de demander.
— Combien pour la totale ? J’ai besoin de tout faire, sourcils, moustache, aisselles, maillot, sillon interfessier et jambes, ainsi qu’un soin de la peau, aujourd’hui.
Chris ouvrit de grands yeux, choqué, tandis que la gérante fronçait les sourcils.
— Mademoiselle, vous auriez dû y penser avant et prendre un rendez-vous. Là, je ne peux rien faire pour vous.
Nancy se tourna vers Chris en souriant.
— Mon chéri, je peux fouiller dans ta veste quelques secondes s’il te plaît ? Du côté droit, rassure-toi.
Rassuré à l’idée qu’elle ne prenne pas son pistolet, Chris acquiesça et la jeune femme lui ouvrit sa veste pour fouiller dans sa poche intérieure avant de sortir une liasse de billets de cinquante euros pour ensuite les poser sur le comptoir en souriant.
— Je suis sûre que nous pouvons trouver un arrangement, n’est-ce pas ?
La tenancière observa tour à tour la cliente potentielle et les billets avant de sourire tout en posant la main sur le tas de papier pour le faire ensuite disparaître.
— Si vous voulez bien me suivre.
— Je vous remercie.
Se tournant vers Chris, elle ajouta.
— On en a au moins pour deux heures. Si tu as des choses à préparer de ton côté, c’est le moment ou jamais.
Chris regarda sa montre avant de répondre.
— Bien, alors à tout à l’heure.
Sans un mot de plus, il quitta l’enseigne tandis que Nancy partait rejoindre l’esthéticienne. Quand il revint deux heures plus tard, il la trouva devant le commerce, souriante et rayonnante, avant de s’arrêter à ses côtés.
— Ça va ?
Se saisissant de son casque, Nancy enfourcha le bolide en répondant.
— Je ne suis pas particulièrement sensible à la douleur, mais ça pique quand même un peu à chaque fois, on ne va pas se mentir.
— Alors pourquoi souris-tu comme ça ?
— Un soin du corps, c’est toujours un pur moment de détente.
Chris haussa un sourcil dubitatif, mais jugea utile de ne pas initier un débat auquel il ne comprendrait ni les tenants ni les aboutissants et prit la route en direction du salon de coiffure où Nancy joua la même sérénade pour en ressortir quelques heures plus tard, ses longs cheveux bruns et raides ayant laissé place à une masse capillaire blonde et bouclée, et tandis qu’elle enfilait son casque, Chris se hasarda à demander.
— Ce n’est pas un peu idiot d’avoir fait gonfler tes cheveux pour les écraser sous le casque après ?
— Ne t’inquiète pas pour ça, le coiffeur m’a donné des astuces pour leur redonner facilement du volume.
Le motard haussa les épaules.
— Si tu le dis. Prête pour la boutique de fringues ?
La passagère soupira.
— Je crois que je ne peux plus repousser… Allez, en route, qu’on en finisse au plus vite…
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