20
À quelques rues de la planque, Chris s’immobilisa avant d’entraîner Nancy à sa suite à l’abri d’un bâtiment. Là, tous deux appuyés contre le mur, la jeune femme dévisageait l’homme dont le regard était devenu aussi froid que la nuit au cours de laquelle il l’avait sauvée des griffes de la mafia, et soudain la peur l’envahit.
— Chris, qu’est-ce qu’il se passe ?
Le combattant sortit son arme tout en répondant sans un regard pour elle.
— J’ai vu passer Grégoire et ses enfants en voiture.
Nancy se détendit immédiatement.
— Bon, bah ça va alors… On a juste à aller acheter des gâteaux pour les petits, et le tour est joué !
Chris la fusilla du regard.
— Il a reçu pour consigne de ne jamais venir ici, à cette planque. Les autres, oui, celle-ci, non. C’est ce qui me permet de savoir s’il y a un danger quelconque. Il a même un code spécial pour l’alarme qui active mon téléphone portable pour me prévenir.
Nancy fut saisie d’effroi à mesure que Chris s’expliquait, et quand il eut fini elle murmura.
— Mais alors… Les enfants aussi sont en danger…
Chris acquiesça.
— Ils ont dû servir de moyen de pression pour l’obliger à venir ici. Reste à savoir qui l’accompagne…
Il sortit une petite cuillère d’une poche intérieure de sa veste sous le regard intrigué de Nancy.
— Tu comptes manger un yaourt ?
Toujours froid, Chris fit dépasser la cuillère de l’angle du bâtiment en répondant.
— Rétroviseur improvisé. Ça déforme l’image, mais ça reste très pratique. Je viens de voir passer trois SUV noirs, ce qui ne m’éclaire pas beaucoup… Pourquoi ?
Nancy ouvrit grand les yeux.
— Une interro surprise ? Maintenant ?
— Oui. Je t’écoute.
Nancy serra les poings tout en réfléchissant.
— Ça fait très film américain, donc autant les forces spéciales que la mafia, la triade, ou n’importe qui. J’ai bon ?
— Oui.
— Donc, on fait comment ?
Chris fronça les sourcils quelques secondes avant de répondre.
— On va passer par mon issue de secours, suis-moi.
Il commença à remonter la ruelle dans laquelle ils s’étaient cachés quand Nancy lui emboîta le pas en s’exclamant.
— Quelle issue de secours ?
— Chaque planque a une issue de secours, des fois que je sois encerclé.
— Et tu comptais m’en parler quand ?
— Quand on en aurait besoin.
Ils coururent encore quelques minutes avant de s’arrêter devant une maison située deux rues derrière la propriété de Chris puis franchirent le portail sans se soucier de possiblement déranger les propriétaires des lieux, avant de se diriger vers le cabanon au fond du jardin. Chris enfonça alors la porte d’un violent coup de pied avant de se diriger vers une armoire à outil qu’il fit pivoter sur elle-même, dévoilant un tunnel sombre d’un demi-mètre de hauteur pour autant de large laissant Nancy sans mots.
— Attrape les torches derrière toi et contrôle leurs piles.
Nancy mit quelques secondes à réagir, trop étonnée par ce qu’elle découvrait, puis contrôla une première lampe qu’elle tendit à son mentor avant de se saisir de la seconde et l’allumer.
— C’est bon, ça fonctionne.
— Bien. Alors écoute bien le plan.
Cinq minutes plus tard, Chris soulevait le couvercle d’un congélateur américain, long et large, mais ne montant pas plus haut que les hanches du tueur, et en sortit en repoussant quelques surgelés qui dévalèrent les escaliers du tunnel. Il s’avança ensuite jusqu’à la porte séparant le garage de la maison et attrapa une petite boîte de laquelle pendant un tube semi-rigide noir qu’il passa sous la porte avant d’allumer la boîte. Une image apparut immédiatement à l’écran tandis que Chris balayait la salle à l’aide de la caméra reliée au boîtier par le câble noir, observant la situation et identifiant les dangers présents avant de serrer les dents. Il vit Grégoire, sa nièce Claire et son neveu Chris tous les trois à genoux dans le salon, les mains sur la tête et maintenus en joue par trois hommes en uniforme noir et équipés de fusils d’assaut G36 propres aux forces spéciales tandis qu’un quatrième s’allumait une cigarette.
— Alors, il arrive quand ?
Grégoire se retenait de pleurer, mais pas ses enfants, et ce fut d’une voix tremblante qu’il répondit.
— Je n’en sais rien… Si ça se trouve, il est actuellement en mission ou en train d’en préparer une… Vous croyez qu’il me donne son emploi du temps ?
— Il vous a donné son adresse, alors il est légitime de penser que vous êtes encore en contact, non ?
— Cette adresse était la sienne avant qu’il se fasse abattre et qu’il en réchappe. C’est la seule que je connaisse, et il doit encore y être. Les clés fonctionnent encore, il y a du courant, vous vous êtes même servi une bière dans le frigo. C’est bien la preuve que c’est encore habité, non ?
— Alors où est-il ?
— Mais je vous dis que je ne sais pas !
L’homme s’avança vers lui avant de le frapper d’un revers de la main qui fit tomber Grégoire au sol tout en lui arrachant un cri de douleur qui fit redoubler les pleurs de ses filles. Chris serra les dents avant de ranger le dispositif lui permettant de regarder sous la porte et se relever. Il regarda quelques secondes le congélateur, se demandant s’il ne ferait pas mieux de quitter les lieux pour se consacrer pleinement à sa mission avant de se traiter de lâche. Il avait déjà sacrifié sa sœur à sa croisade insensée, il ne pouvait pas non plus laisser ses neveux et nièces en payer les frais. Il n’y aurait eu que Grégoire, il ne se serait pas inquiété, mais les enfants ne méritaient pas un tel sort. Il se dirigea alors vers le tableau électrique qu’il ouvrit et y activa un interrupteur avant de marmonner en regardant sa montre.
— Une minute avant d’ouvrir le bal.
Chris se saisit ensuite d’un corps de fusil vide à l’avant ainsi que d’un pistolet automatique qu’il glissa dans l’emplacement du fusil avant de l’armer puis de plier le fusil en deux en souriant. Son CornerShot* en mains, il attrapa un sac à dos puis retourna à la porte et y frappa par trois fois. Il entendit immédiatement des culasses d’armes à feu claquer, signifiant que celles-ci étaient prêtes à servir, et il cria.
— Mollo les gars, je suis là. Ne tirez pas. Je ne voudrais pas que les enfants aient encore plus peur. Je vais me rendre OK ?
— Actives !
— Juste une question avant. Vous bossez pour la mafia ou pour le gouvernement.
Des rires s’élevèrent puis le leader répondit.
— T’aurais pas dû appeler Mascrato, Evian. Il t’avait oublié depuis le temps.
— Ça, c’est vexant.
Il regarda sa montre en souriant puis reprit.
— Bon, dernière chance de vous en sortir vivants, les gars. Barrez-vous de chez moi !
Il entendit Claire et Chris hurler en même temps que Grégoire suppliait.
— Je viens de coller mon flingue sur le front de ton beau-frère, Chris. Active-toi, je compte jusqu’à dix. Un !
Chris ouvrit l’écran gauche de son arme et activa la vision thermique.
— Deux !
Il regarda de nouveau sa montre et sourit.
— Trois !
Toutes les lumières s’éteignirent alors que des pans de métal blindé s’abaissaient devant chaque orifice de la maison, la rendant imperméable à tout type de projectiles tandis que les soldats hurlaient, et subitement deux grenades lacrymogènes chutèrent dans chaque pièce de la maison. Chris sortit alors un masque à gaz de son sac et l’enfila quand une déflagration retentit.
— Fils de pute !
Il ouvrit la porte à la volée et visa grâce à la caméra thermique, abattant l’homme se tenant debout au milieu de la pièce avant de se jeter en avant juste à temps pour éviter les tirs de ses trois comparses. Il entraîna les enfants au sol avant de s’agenouiller et faire feu deux fois de plus tandis qu’une ombre se faufilait dans la pièce en lui prenant son sac pour en sortir deux masques à gaz dont elle affubla les enfants. Dès que ce fut fait, Chris roula plus loin dans la pièce et fit de nouveau feu, détournant l’attention des deux derniers hommes debout tandis que Nancy guidait les enfants jusqu’au garage et qu’à l’extérieur des tirs ébranlaient les protections métalliques et qu’un bélier frappait plusieurs fois sur la porte blindée et renforcée. Chris tua les deux derniers hommes avant de courir aux côtés de Grégoire pour contrôler son pouls. Ne sentant rien, il fit courir ses mains sur le visage de son beau-frère et remonta jusqu’à son front au milieu duquel il sentit un trou poisseux, et comprit que les enfants étaient maintenant orphelins. Il sera les poings avant de hurler de colère puis se releva avant d’avancer d’un pas déterminé vers l’interphone de sa maison. Se saisissant du combiné, il cria.
— Vous êtes là, bande de bâtard ?
Les tirs cessèrent immédiatement puis une voix lui répondit.
— Evian ?
— Lui-même.
— Nos hommes ?
— Morts, comme Grégoire. Vous n’êtes que des salopards ! Aucun protocole n’autorise d’utiliser des civils comme outils de pression.
Un rire lui parvint puis son interlocuteur reprit.
— Notre cher président nous a dit que nous pouvions agir hors protocole. Officiellement, nous intervenons contre un groupe terroriste s’apprêtant à faire exploser une bombe sous la tour Eiffel.
— Ah, vous cherchiez une bombe ? Bah, fallait le dire.
Il appuya sur une des touches permettant l’ouverture du portail en souriant.
— Vous avez commis une erreur, et vous le payerez de votre vie.
— C’est ça. Seul contre un peloton* entier, tu n’as aucune chance.
— Que vous dites. Adieu.
Il raccrocha en relâchant le bouton et une puissante explosion ébranla la maison, faisant exploser les vitres, tomber les armoires murales et fissurant certains murs tandis que Chris peinait à garder l’équilibre. Quand le silence revint, il se rua dans le garage avant de se glisser dans le congélateur qu’il referma derrière lui puis emprunta les escaliers dont il bloqua ensuite l’accès avant de ramper dans le tunnel. Au bout de quelques mètres, il trouva sur le côté un trou duquel s’élevait une désagréable odeur de composte, d’excréments et d’eau croupie dans lequel il se laissa glisser, atterrissant souplement dans les égouts de la ville qu’il commença alors à arpenter en petites foulées pendant quelques minutes avant de s’immobiliser.
— Ce n’est que moi, tout va bien.
D’un coin de mur sortit Nancy, un fusil à pompe à la torche allumée en main et les enfants blottis contre elle, et celle-ci le dévisagea avec inquiétude.
— Grégoire ?
Chris baissa la tête sans répondre, mais elle comprit malgré tout et fit preuve de la détermination faisant subitement défaut au tueur.
— Bien. Il ne faut pas s’arrêter. On reprend la progression, soldat.
Chris releva la tête, étonné, puis acquiesça et vint les rejoindre. Il enlaça son neveu et sa nièce quelques instants en se retenant de pleurer avant de les regarder.
— Les enfants… Il va valoir être courageux. Nancy et moi allons vous emmener à l’abri, là où plus personne ne pourra vous trouver. Ensuite, elle et moi ferons en sorte que ceux qui vous ont fait du mal le payent, d’accord. Après ça, vous pourrez enfin vivre normalement.
Claire lui lança un regard froid avant de répondre.
— Ces monstres ont tué maman, et maintenant papa, juste pour t’atteindre. Alors comment peux-tu oser dire que nous serons en sécurité avec toi ?
Chris se redressa, totalement déstabilisé par la réponse de la jeune femme, se demandant depuis combien de temps elle connaissait la sécurité, et ne parvint pas à lui répondre. Nancy intervint alors.
— Et tu crois que dans la rue ou un orphelinat tu t’en sortirais mieux ? Si Chris était arrivé un peu plus tôt, ton père serait encore là, et de toute façon nous sommes maintenant ta seule option viable. Je sais que ton agressivité est ta façon de réagir face à tout ça, et cette colère est plus utile qu’un état de choc, mais là, on n’a pas le temps. Vous réglerez tout ça quand on sera en sécurité. Venez.
Elle tendit la main gauche à l’adolescente qui l’observa quelques instants avant de faire remonter son regard vers la jeune femme au sourire compatissant avant de pleurer, vite imitée par son frère.
— Ils ont tué ma maman… Ils ont tué mon papa… Je veux qu’ils meurent…
Chris se releva avant de répondre.
— Je te jure qu’ils le payeront. Comme tous les hommes présents aujourd’hui, ils mourront tous.
Claire, qui n’avait pas quitté Nancy du regard, acquiesça lentement avant de s’essuyer les yeux d’un revers du bras puis saisir la main de la jeune femme. Chris prit ensuite son neveu au même prénom que lui dans ses bras et le groupe se remit en marche. Ils marchèrent encore une dizaine de kilomètres avant que Chris leur fasse signe de s’arrêter. Il reposa le garçon au sol et commença à escalader une échelle et repoussa la plaque en fonte de quelques centimètres pour observer les environs à l’aide de son CornerShot avant de chuchoter.
— C’est bon, montez.
Il repoussa totalement la plaque et sortit à l’air libre avant d’aider les enfants et Nancy à faire de même, et ceux-ci se découvrirent dans une forêt. Nancy regarda aux alentours avant de se tourner vers Chris.
— Et maintenant ? Comment on part ?
Le tueur sourit.
— Il y a un centre commercial à cinq cents mètres. On va voler une voiture. Venez.
Après quelques minutes de marche à travers les bois, ils arrivèrent à un parking de centre commercial et Chris observa les voitures avant d’en pointer une du doigt.
— Une familiale discrète, et le mec sort de la station-service. On va retourner dans la Creuse, ce sera parfait. OK ?
Nancy acquiesça et Chris reprit.
— On ne garde que nos flingues, le reste n’est pas assez discret.
Ils laissèrent les masques à gaz, le CornerShot et le fusil à pompe avant d’avancer aussi naturellement que leurs vêtements souillés par les égouts le permettaient, puis Chris se colla à la voiture. Quelques secondes plus tard, son coude brisa la vitre puis il ouvrit la porte, déverrouilla la voiture et entreprit d’arracher le démarreur tandis que Nancy, Chris Junior et Claire s’installaient. Moins d’une minute plus tard, la voiture s’engageait calmement sur une départementale en direction de leur destination, évitant l’autoroute par crainte que le vol de la voiture ait déjà été signalé.
Ils arrivèrent le soir et entreprirent immédiatement de laver les enfants puis de les faire manger malgré leur manque d’appétit puis de les coucher. En seulement quelques minutes, le stress et la peur de la journée eurent raison d’eux et ils s’endormirent. Chris se laissa alors tomber en soupirant sur son canapé tandis que Nancy allait le rejoindre avec deux bières.
— Qu’est-ce qu’on va faire pour eux ?
Chris but une gorgée avant de répondre.
— J’ai un jeu de faux papiers pour eux. Ils vont rester avec nous, on va les élever du mieux qu’on peut et on va veiller sur eux.
Nancy haussa un sourcil.
— Qu’est-ce qu’on peut bien avoir à leur offrir, à part tuer des gens ?
— Je ne sais pas, mais je ne sais pas non plus quoi faire d’autre… Il faut vite faire chuter Mascrato. Avec les révélations que nous allons faire, les petits ne seront plus inquiétés.
— Mais pas toi. Alors quoi, je vais devoir les élever toute seule ?
— Non… Laisse-moi juste le temps de trouver un plan, d’accord ?
— Bien. Mais fais vite.
Chris acquiesça et Nancy reprit.
— Et toi ? Comment te sens-tu ?
Il la regarda avec un regard malheureux avant de répondre, les larmes lui montant lentement aux yeux.
— J’ai encore échoué…
Sans un mot, Nancy l’enlaça tendrement en passant sa main dans les cheveux du tueur.
— Non, Chris. Tu les as sauvés…
Le CornerShot* est un accessoire pour arme à feu inventé par le Lieutenant Colonel Amos Golan de l’Armée de défense d’Israël en coopération avec des investisseurs américains1. Il a été conçu au début des années 2000 pour les SWAT et forces spéciales dans des conditions hostiles impliquant des terroristes et des prises d’otages. Il permet à son utilisateur de voir et d’attaquer une cible armée sans s’exposer à une contre-attaque.
Peloton* : Environ quarante hommes
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