Chapitre 2. Avenir incertain
Beth Sullivan se servit un autre mug de café. Combien en avait-elle bu depuis son arrivée, ce matin-là ? Sûrement assez pour provoquer un ulcère à l'estomac. Sa montre indiquait 11 h 30. Pourquoi n'avait-elle pas de nouvelles ? Charles avait-il trouvé un nouveau subterfuge vicieux pour créer des complications ? Il en était bien capable. Pourtant, Rose était sûre que tout serait réglé aujourd'hui, sans l'ombre d'un doute. Finalement, Beth jeta son café dans l'évier et opta pour un grand verre de jus de fruit. Au vu de la quantité de caféine ingérée, un apport de vitamines C n'était pas forcément judicieux, mais bon ; les oranges valaient mieux que le café.
La jeune femme retourna dans la bibliothèque. Elle se laissa tomber sur sa chaise puis reprit son travail : des recherches sur la façon de pirater un système de surveillance privé et la possibilité de contrôler un véhicule à distance à l'insu du conducteur. Passionnant. Cependant, elle ne put se concentrer sur sa tâche très longtemps. Ses pensées vagabondaient invariablement vers Charles.
Charles Davenport. Avocat en droit pénal, associé dans l'un des plus prestgieux cabinets new-yorkais. Un physique de rêve, charmeur, charmant ; Rose avait été séduite par son assurance et son audace. Ils s'étaient rencontrés par l'intermédiaire d'une amie de l'auteure, dans le cadre de recherches pour un roman. Leur union eut lieu peu de temps après. Une décision bien trop rapide, selon l'avis de Beth, entre autres.
La jeune femme ne pouvait pas fournir d'explication rationnelle, mais le fait est qu'elle n'avait jamais apprécié Charles. Son aversion pour cet homme tenait plus de l'intuition que de la logique. Son magnifique sourire avait quelque chose de carnassier, de malsain. Beth avait toujours pensé que ses bonnes manières, dont il faisait constamment l'étalage, issues d'une excellente éducation, n'étaient qu'une façade. En cinq ans, elle avait eu tout le loisir d'observer le spécimen. Cet homme ne ménageait pas ses efforts pour maîtriser son caractère. Que se passerait-il s'il décidait de se laisser aller ? Le vernis craqua lorsque Rose demanda le divorce. Toute la sournoiserie, bien enfouie dans le crâne de ce parangon de perfection, se manifesta. L'épouse trompée découvrit, avec étonnement, une facette peu reluisante de la personnalité de son mari, pour lequel elle n'éprouva plus que du dégoût. Le comportement de Charles exacerba la volonté de son épouse d'en finir au plus vite avec ce mariage.
Beth regarda à nouveau sa montre : midi. Devait-elle appeler pour savoir si tout allait bien ? Si la situation s'avérait critique, son appel dérangerait plus qu'autre chose. Non, pas de coup de fil. Elle prendrait son mal en patience. Se concentrer sur ses recherches, voilà ce qu'elle devait faire. Mais ses pensées vagabondèrent à nouveau.
Une fois le divorce conclu, Rose pourrait se concentrer entièrement sur le BIG problème à régler. A savoir, son manque total d'inspiration. Elle expliquait à qui voulait l'entendre que ses déboires conjugaux bloquaient sa créativité. Mensonge. La procédure de divorce remontait à neuf mois, mais ce "blocage créatif" était antérieur.
L'ennui et pas des moindres : la panne d'inspiration de l'auteure avait un impact non négligeable sur son entourage professionnel. Son éditeur n'était pas dupe et commençait sérieusement à perdre patience. Beth, elle-même, n'était pas très fière du chemin emprunté par ses réflexions, ces derniers temps. Devait-elle envisager de chercher un autre emploi ? La situation était vraiment préoccupante. Combien de premiers chapitres avait-elle tapés, pour constater, le lendemain, que tout avait été supprimé ? Combien de journées passées à effectuer des recherches qui ne serviraient jamais à rien ? Le nombre était incalculable. Elle était l'assistante personnelle de Rose depuis dix ans et elle ne l'avait jamais vue comme ça : perdue, improductive, faisant bonne figure pour ne pas inquiéter quiconque. Pourtant, ce sentiment devait être effrayant et lorsque Beth y pensait, elle éprouvait une honte indicible d'envisager de quitter son emploi. Elle ne pouvait pas faire ça, même si le pire devait survenir. Il serait toujours temps d'aviser à ce moment-là, en priant qu'il n'arrive jamais.
La jeune femme but le reste de son verre d'une traite puis jeta un dernier coup d'oeil à sa montre : 12 h 30.
Cette fois, j'appelle.
Elle saisit son portable puis entendit la porte d'entrée claquer.
" Beth, mon chou, tu es là ? "
Cette dernière émergea de la bibliothèque et observa sa patronne pour savoir quoi dire ou faire. Cependant, le visage de l'auteure n'exprimait aucune émotion. Elle traversa l'entrée puis le salon d'un pas traînant avant de se laisser tomber sur la méridienne.
Mon dieu, pensa Beth, Charles, cet enfoiré, a fait des siennes.
La jeune femme s'avança vers Rose pour la réconforter, mais cette dernière, contre toute attente, lança en l'air ses lunettes de soleil en éclatant d'un rire triomphant. Beth, soulagée, se laissa choir sur le canapé.
" Désolée pour cette entrée theâtrale, c'était plus fort que moi. Nous allons pouvoir déboucher cette bouteille de champagne que je gardais spécialement pour cette occasion. " Elle jeta un coup d'oeil à sa montre.
" Mon chou, as-tu déjeuné ?
- Non pas encore.
- Parfait. Je t'invite au restaurant."
Beth prit son sac sur son bureau et ferma le clapet de son ordinateur avant de rejoindre Rose dans l'entrée.
" Mon chou, que dirais-tu de manger mexicain ? J'ai envie de nourriture épicée.
- Ca me va ", répondit la jeune femme en attrapant sa veste sur le porte-manteau.
Toutes deux sortirent bras-dessus, bras-dessous. Le temps était à la réjouissance et Beth ne voulait pas gâcher ce moment.
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