SUBLIME MP3

15 minutes de lecture


Paulin a des goûts musicaux assez éclectiques qui couvrent bien la production discographique des quatre dernières décennies. Dans son mp3, il a enregistré deux cents titres au moins... Il ne sait pas exactement... De toutes façons, ce sont en général toujours les mêmes, une vingtaine, qu’il préfère écouter.

Il choisit sur son appareil les mélodies en fonction de son humeur... ou de ses besoins. Oui, de ses besoins aussi ; car il a remarqué, il y a un moment déjà, alors qu’il sélectionnait par habitude le mode de lecture aléatoire, que la musique influait sensiblement sur son état d’esprit et même sur son dynamisme. Il a en notamment fait l’expérience un jour où il travaillait de nuit et qu’un méchant coup de pompe avait tenté de le faire piquer du nez. Par hasard, le titre coréen Gangnam style avait pris son tour pour surgir dans ses écouteurs. En l’espace de quelques secondes, Paulin avait retrouvé un dynamisme évanoui, prêt à danser, comme s’il avait avalé une canette de boisson énergisante ou « sniffé un rail de coke » selon lui (sans savoir ce que cela signifiait car il n’a jamais pris un gramme de drogue).

Une autre fois, ce fut une chanson triste qui lui avait donné le bourdon, sans raison initiale.

En fait, si son humeur peut l’inciter à écouter, selon le cas, Yesterday, Là-bas ou African Reggae, il est indéniable, en revanche, qu’entendre Unchained melodies va le rendre mélancolique, ou Jersey, plein d’espoir...

Néanmoins, cela n’a rien de systématique ; voilà pourquoi Paulin s’est mis en quête de déterminer les circonstances dans lesquelles les mélodies influencent son état d’esprit.

Il se dit que, s’il arrive à contrôler ça, il pourra améliorer son existence en utilisant la musique comme un remède qui lui procurera le calme ou le dynamisme nécessaire au moment où il en aura besoin.

Et il en a besoin ; car il se traîne dans une vie monotone en éternel célibataire au physique peu engageant à son goût, se laissant dominer par une insurmontable timidité qui l’empêche de nouer des relations avec les filles. Sauf peut-être un bref instant avec les caissières de supermarchés, en formules de politesse lors du passage en caisse.

Cette évocation dessine un sourire sur le miroir devant lequel il est en train de se raser. Un sourire d’autodérision. Paulin interrompt son geste en fixant ce visage. « Quand tu souris, tu es plus mignon et tu as plus de charme ! » Les mots de sa soeur lui reviennent en mémoire. Une petite lueur de sérénité adoucit ses traits. « C’est possible, mais les “plus” sont superflus » considère-t-il.

Sa soeur... Depuis si longtemps... Elle lui manque tant...

Le reflet de ses traits ternit dans la glace, son sourire s’efface, ce souvenir de la vie le vide. Son regard se décale instinctivement sur le côté, juste assez pour apercevoir, par-dessus son épaule, accrochée sur le mur à l’autre bout du studio, la photo de « Touffe » portant son t-shirt noir orné du prisme de Pink Floyd et le casque enfoui dans sa tignasse blonde ébouriffée, en train d’écouter leur rock progressif.

Une idée traverse brusquement son esprit : le test. Paulin saisit son mp3 qu’il garde toujours à portée de main, sélectionne la liste anti-blues et passe son doigt sur le triangle.

La voix d’Adèle vient se poser sur les arpèges du piano, alternant entre le mineur mélancolique et le majeur suscitant l’espoir. Il poursuit lentement son rasage. Il voudrait échapper à la tristesse… mais la chanson ne s’y prête pas, cette fois. Il effleure alors la touche pour passer au titre suivant. Queen. We are the champions commence à lui remonter le moral.

*

Touffe, plus exactement Maëlle – que Paulin surnomme ainsi en raison de sa chevelure abondante toujours maintenue mi-longue – après avoir obtenu son diplôme d’infirmière, était partie en coopération en Asie, y avait rencontré un charmant coopérant et, à son retour, s’était installée chez lui. L’idylle n’avait pas duré ; un mois plus tard elle avait débarqué avec larmes et bagages chez son frère qui l’avait hébergée, le temps de trouver un logement.

Cette histoire remonte à l’an dernier ; ce qu’elle en a gardé, c’est : pas grand chose du gars – hormis un goût pour la musique des années 70 – et des souvenirs éblouis du sud-est asiatique.

Alors, ce printemps, Maëlle a décidé de repartir sous les tropiques.

La dernière fois qu’ils se sont vus, il y a presque de deux mois, ils se faisaient leurs adieux sur le quai de la gare tandis qu’elle prenait le train à destination de Paris d’où décollait le long-courrier pour l’Asie.

Au moment de monter, son portable lui a glissé des mains et s’est éclaté sur le sol en béton. Inutilisable.

« Prends le mien et appelle moi sur le fixe. Je serai chez moi d’ici une demi-heure et je ne sortirai plus de la journée. Te tracasse pas, Touffe, garde-le, j’en rachèterai un autre.

– Merci frérot. T’es cool. Fais gaffe à toi.

– C’est plutôt à toi qu’il faut le dire ! »

Ils se sont pris dans les bras puis elle a gravi les deux marches. La porte s’est fermée, il l’a suivie du regard jusqu’à la place où elle s’est assise tandis que le wagon commençait à glisser le long de la plateforme.

En fin d’après-midi, Maëlle l’a appelé.

« Je vais bientôt arriver à Paris. Je suis contente que tu m’aies filé ton téléphone. Mais, tu sais quoi ? J’avais plein de zique dans le mien et je comptais écouter ça pendant le voyage, alors j’ai pensé que c’était fichu de ce côté-là, mais figure-toi que j’ai trouvé un mp3 que quelqu’un a dû oublier. Et en plus, il y a les chansons que j’aime dessus !

– Alors tout va bien ! a répondu Paulin avec un brin de tristesse dans la voix.

– Tout va bien, Paulin… Allez, courage ! On est grands, tous les deux, on mène chacun sa vie... Et puis je resterai 3 mois maxi, le temps du visa... »

Depuis, plus de nouvelles.

Assez proches, le frère et la sœur ont l’habitude de s’appeler une fois par semaine, alors ce mois et demi de silence inquiète beaucoup Paulin. Il a beau essayer de se rassurer en se rappelant que la première fois où Maëlle était partie, elle n’avait pas eu la possibilité de téléphoner souvent. Néanmoins, à cette époque-là, il la savait entourée de gens de l’ONG, tandis que cette fois, elle est partie seule...

Avant-hier, il est passé à la gendarmerie.

« Monsieur Troix, votre soeur est majeure et elle est partie à l’autre bout du monde ; elle n’a peut-être tout simplement pas la possibilité d’appeler. Attendez la date prévue de son retour ; si, à ce moment-là, elle n’a toujours pas donné de ses nouvelles, on tentera des recherches via l’ambassade.... si toutefois elle s’est faite enregistrer... »

C’est tout ce qu’il a pu obtenir...

Il est maintenant l’heure de partir au travail. Paulin s’y rend en bus. Les écouteurs vissés sur les oreilles, il écoute U2, tout en consultant, comme tous les matins, la messagerie sur son portable, au cas où...

Toujours rien.

Aujourd’hui, il est cependant plus guilleret, les vacances scolaires étant finies, c’est « le retour du jeudi » selon son expression. La pause déjeuner, il la fera donc au parc, après s’être arrêté à la Baraque au bagnat prendre un sandwich.

Ce qui le rend de meilleure humeur, ce sont trois jeunes filles, étudiantes en deuxième année de BTS qui, elles aussi, viennent habituellement se restaurer sur le pouce à midi, mais le jeudi uniquement. Les beaux jours, elles s’asseyent sur la pelouse à une vingtaine de mètres du banc sur lequel lui prend place et, quelquefois, leurs voix portent jusqu’à ses oreilles. Il a ainsi appris qu’elles fréquentent le lycée voisin, diverses choses sans importance, ainsi que le prénom de deux d’entre elles. Mais ce qu’il voudrait, c’est connaître celui de la troisième ; car la voilà, en fait, la responsable de ses émois !

Même s’il n’ose pas observer les filles constamment, Paulin ne se prive pas de les regarder fréquemment. Ce faisant, il a remarqué, juste avant les congés de printemps, que l’une d’entre elles en fait autant à son endroit ; il a même décelé des sourires...! Évidemment, le jeune homme n’en a pas profité pour faire connaissance, il s’est juste borné à répondre à ses sourires de la même façon.

Mais aujourd’hui, Paulin va utiliser la musique pour vaincre sa timidité ; enfin, il compte tester cette idée. Il a emporté du Souchon dans son appareil, notamment. Ce chanteur, qu’il compte parmi ses favoris, représente à ses yeux le modèle du séducteur au physique d’anti-héro, une motivation psychologique qui l’aidera peut-être. Non qu’il considère être un Don Juan mais juste que son allure ne doit pas constituer un obstacle.

À 12h15, le jeune homme retrouve son banc habituel et entame son casse-croûte. De temps en temps, il jette un coup d’oeil vers l’entrée du parc. Il consulte son téléphone pour connaître l’heure : elles ne devraient plus tarder. Dès qu’il les apercevra, il mettra ses écouteurs et lancera la musique.

Ça y est, les voilà. Elles suivent l’allée puis obliquent sur la pelouse. Après avoir vérifié la propreté de l’endroit, elles s’asseyent, celle dont il ne connaît pas le nom prenant soin, semble-t-il, de lui faire face.

Il saisit son portable et le met en route.

« J’marche tout seul le long d’la ligne de chemin de fer... »

La jeune fille le regarde.

Il lui sourit.

Mais elle détourne le regard, appelée par sa copine avec laquelle elle entre dans une discussion prenante. Il soupire.

Maman bobo n’a pas l’effet escompté ; Paulin passe à la chanson suivante. Il faut qu’il trouve la hardiesse d’aller lui parler ; un peu de légèreté y contribuera peut-être.

Il avale nerveusement son sandwich, tout en jetant aussi souvent que possible un regard vers le trio féminin, en évitant de se faire remarquer par un air insistant. « Si tu veux regarder sous les jupes des filles, faut déjà que t’ailles leur dire bonjour, pour commencer ! » s’avoue-t-il avec ironie. Sa dernière bouchée finie, il s’essuie puis se lève pour aller jeter les papiers dans la corbeille métallique. Dans la foulée, il envisage de rejoindre les jeunes filles ; les robes légères qui font tourner le monde en musique ont l’air de le stimuler.

C’est ce moment-là que choisit le hasard pour lui mettre des bâtons dans les roues : deux garçons s’arrêtent à leur hauteur, les saluent et entament la conversation.

Paulin retourne s’asseoir.

Visiblement, ils se connaissent ; peut-être des camarades de classe...

En tous cas, deux minutes plus tard, les filles quittent le parc en leur compagnie. Celle qui fait l’objet de son intérêt tourne une dernière fois la tête dans sa direction. Elle ne sourit pas. Paulin détecte même un air de déception dans son regard.

« Merde, raté ! Pour une fois... J’étais à deux doigts... Sûrement qu’elle est timide aussi, elle attendait que je fasse le premier pas... »

Paulin reste un moment assis, songeant à cette occasion manquée. D’énervement, il a éteint et rangé son appareil dans la poche.

Il observe nonchalamment les gens qui se promènent dans le parc.

Un jeune homme, une casquette floquée NY vissée sur la tête, passe devant Paulin, un portable à la main. « ...trop génial ! Je l’ai trouvé dans le TGV en revenant de Paris le mois dernier. J’y avais pas touché jusqu’à hier... Ouais, OK, alors à tout à l’heure, j’te le ferai voir... » L’individu coupe la conversation puis s’arrête le temps de sortir de sa poche un objet rond et brillant ainsi avec des écouteurs de même aspect qu’il fixe sur ses oreilles. Il reprend ensuite sa marche et disparaît derrière les haies dans le virage qui mène à l’aire de jeux.

Paulin lui emboîte le pas une minute après ; il doit emprunter le même chemin pour retourner sur son lieu de travail. Alors qu’il approche des buissons il voit s’élever au-dessus d’eux une fumerole bleutée qui ondule un court instant puis disparaît. S’en suit un petit cri, puis des pas précipités.

Curieux, il se hâte de rejoindre et contourner les fourrés. Plus loin, une jeune fille court, elle porte un t-shirt noir et une abondante chevelure… « Touffe !... » crie Paulin. La fille qui a déjà atteint la rue bruyante ne l’entend pas et continue sa course en se fondant dans la foule.

« Qu’est-ce-qui m’arrive ? Cette histoire me préoccupe tellement que je me mets à voir Maëlle n’importe où » s’exclame-t-il. « Elle est en Asie et celle-ci à les cheveux plus long… »

Se rendant compte qu’il parle à voix haute, Paulin jette un œil alentour. Personne. L’aire de jeux est déserte. « Mais le gars de tout à l’heure… ? » se demande-t-il lorsque son regard s’arrête sur un banc juste à côté de lui. Quelque chose brille parterre devant lui. Paulin va ramasser l’objet : l’appareil qu’il a vu, tout à l’heure, précisément dans les mains du gars en question. « Il a dû le perdre… Bizarre… » songe encore Paulin. Il observe ce qu’il détermine être un lecteur mp3 car il entend une petite musique s’échapper des écouteurs. Il est de forme arrondie, bombée, un peu comme une de ces anciennes montres à gousset, mais il ne présente aucune aspérité, rien qui laisse penser qu’on puisse l’ouvrir ou y brancher quelque chose. Même les câbles des écouteurs sont solidaires de ce boîtier chromé comme si l’ensemble avait été formé dans un seul bloc. Il y a encore une autre chose qui attire l’attention de Paulin : l’une des faces comporte un tout petit écran sur lequel, il s’en souvient, s’affichait « 00.00 ». Cela vient de se changer en « 33.00 ». La musique s’est arrêtée.

Le jeune homme repose l’appareil sur le banc en se disant que son propriétaire voudra certainement le récupérer.

En rentrant du travail, Paulin traverse le parc pour rejoindre l’arrêt de bus. Étrangement, il se sent poussé à repasser par l’aire de jeux. Le lecteur mp3 en métal brillant se trouve toujours sur le banc. Une envie irrésistible l’incite à le récupérer. « Vu que le gars l’avait sur les oreilles, il aurait dû se rendre compte qu’il l’a perdu... Il n’en veut peut-être plus... Certainement... » se dit Paulin pour justifier son geste. Il l’empoche et rentre chez lui.

La semaine a été banale jusqu’à hier où le contrat de travail de Paulin est arrivé à échéance et, pour ajouter aux soucis, son mp3 lui a glissé des mains pour aller finir son existence sur le carrelage du coin cuisine.

Qu’à cela ne tienne, Paulin se sert maintenant de l’appareil qu’il a trouvé dans le parc. Et quelle différence avec l’ancien ! Tout d’abord, il suffit de revêtir les écouteurs pour que la musique se mette en route ! Et pas n’importe laquelle, uniquement des chansons qu’il aime ! On dirait que cet étrange lecteur connaît ses goûts, reconnaît son état d’esprit, et diffuse précisément ce qui va influer agréablement et de façon positive sur son moral. En outre, plus il l’utilise, plus il se sent transporté par les mélodies et les rythmes distillés par l’appareil.

Hier soir, avant de s’endormir, il l’a testé. Tout d’abord, Camille est venu lui « prendre sa douleur » pour lui remonter le moral ; il a ensuite été bercé par la voix de Goldman sur Là-bas puis, juste avant de fermer l’oeil, il a reposé le mp3 dont l’écran affichait maintenant « 24.04 ».

Ce matin il se sent détendu. En prenant son café, il écoute – il entend, serait plus juste – Téléphone dont Le jour s’est levé lui donne un sentiment d’espoir, tandis que les rayons solaires traversent la fenêtre pour rebondir sur le miroir de la pièce d’eau, illuminant son minuscule appartement comme s’il était pourvu d’une baie vitrée.

Aujourd’hui, jeudi, il va retourner au parc et, cette fois, il ne laissera pas passer l’occasion de faire connaissance avec les filles. Il sent d’ailleurs étonnamment grandir en lui une confiance qu’il ne se connaissait pas. Helter skelter le met effectivement sens dessus-dessous : adieu timidité et résignation, voici la rage et la détermination.

Au fur et à mesure de son écoute, Paulin comprend que ces chansons lui sont destinées ; elles ne feraient sans doute pas le même effet sur quelqu’un d’autre. Il sent les rythmes capter ses muscles, lui donner de l’énergie, il ressent les instruments et les voix qui pénètrent son esprit pour s’y accorder et faire vibrer ses émotions jusque dans les tripes. Elles l’emportent en tournoyant comme une spirale qui s’élève. Et il se laisse emporter.

*

Un bourdonnement vient s’immiscer dans sa musique, un bruit qui n’a rien à y faire, persistant à le tirer de sa rêverie.

Paulin enlève ses écouteurs ; il reconnaît l’alarme de son portable. Quelques secondes passent, le temps qu’il reprenne ses esprits envahis par une sensation de légèreté, de décontraction qui lui rappellent la fois où il s’est réveillé après avoir perdu connaissance.

Il se lève enfin pour mettre un terme au constant retentissement programmé dans le but de lui rappeler à 11h45 qu’il est temps de partir s’il ne veut pas, cette fois-ci, louper le coche avec les demoiselles du parc.

Paulin a préféré laisser son fantastique mp3 chez lui étant donné les effets que provoque cet appareil. De toutes façons, il se sent en forme, voire désinhibé ; il estime qu’il n’en aura pas besoin.

Le jeune homme retrouve son banc favori vers midi et quart. Elles ne sont pas encore arrivées ; il patiente. Les minutes s’égrènent longuement. Cinq. Dix. Quinze.

« Mon pauv’ Paulin, maintenant que t’es prêt, elles viennent pas » se dit-il, dépité. Il aurait dû emporter le mp3.

Il finit par se lever, résigné. C’est alors qu’il aperçoit un visage au-dessus des haies de buis qui longent la rue. C’est l’une d’entre elles. Pas n’importe laquelle : c’est elle !

La jeune fille emprunte l’allée qui traverse le parc en direction de Paulin. Celui-ci s’avance vers elle d’un pas rapide. Elle le découvre et lui adresse un sourire.

– Salut !

– Bonjour !

– Tu es seule aujourd’hui ?

Paulin se surprend à la tutoyer d’emblée. Mais elle ne s’en offusque pas.

– Oui, mes copines sont en stage. Tu attendais l’une d’elles ?

– En fait, c’est toi... Je m’appelle Paulin...

– Sérieux ?

– Oui... Tu n’aimes pas ?

– Si, mais c’est trop marrant, moi, c’est Pauline !

– Oh, la coïncidence !

Tous deux restent un instant silencieux.

Paulin reprend :

– Ça fait un moment que je vous vois, le jeudi, au parc et j’avais envie de faire connaissance... avec toi.

– J’avais remarqué que tu nous observais... Mais là, maintenant, j’ai pas le temps, je dois aller en cours...

– Ah !?

Le visage de Paulin s’assombrit. Pas pour longtemps.

– Mais demain, si tu viens ici entre midi et deux...

– Demain ? Ah, oui ! Bien sûr, je viendrai. C’est cool !

– Alors, à demain !

– À demain !

*

Ce soir, Paulin est heureux. Il sent que sa vie est en train de changer. Lui-même se transforme. Lorsque Touffe le reverra, elle ne le reconnaîtra plus.

Assis sur son canapé-lit, il admire cet étrange appareil brillant qui est la source de ce changement, il en est sûr. Il a toujours été sensible à la musique, mais avec ce lecteur mp3, les effets sont incomparables.

Et il aimerait bien percer le mystère de cet objet qui se met en route tout seul dès que l’on porte les écouteurs, qui ne diffuse que des airs agréables, envoûtants et adaptés à l’humeur du moment... Et ces chiffres qui changent sur l’écran – maintenant « 03.50 » – que signifient-ils ?

« Bah, on verra plus tard... » pense-t-il en s’apprêtant à découvrir quel titre va lui jouer son mp3.

Les accords de piano se placent en cadence légère pour introduire un air qu’il avait déjà entendu mais oublié. The Rose est la chanson qu’on lui propose. Une chanson d’amour pour illustrer son histoire d’amour qui commence. La voix pure, cristalline, de Bette Midler se pose.

Paulin n’a jamais ressenti un tel bien-être, il se sent léger, se laisse enlever, élever dans les airs, se défaire de la matière, se sublimer…

Une fumerole bleutée ondule un court instant au-dessus du canapé-lit, puis disparaît.

Le jeune homme tombe sur le sol avec un bruit sourd. Il lève la tête, regarde autour de lui. Le mp3 brillant est à ses côtés ; l’écran indique 00.00.

Effrayé, l’air perdu, il se met debout. « Mais qu’est-ce que je fous ici ? » s’exclame-t-il avant de ramasser sa casquette floquée NY et de sortir de l’appartement en courant.

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