METEORE
Il prend sa voiture dans laquelle il a chargé les cadavres vidés de toute substance et se dirige vers la sortie du village où il se gare sur le parking de la salle polyvalente, devant les bennes de tri. Il est seul en ce frisquet dimanche de janvier. La pluie se calme un peu ; ça tombe bien.
Il sort les caisses du coffre et les dépose devant l’un des containers puis enfile une à une les bouteilles dans les orifices ad hoc. Elles chutent et se fracassent avec le bruit caractéristique du verre qui éclate, interrompant le croassement des corbeaux.
Assez soudainement, l’air se rafraîchit encore. Il commence à faire vraiment froid au point que les gouttes laissent place à la neige. Il accélère le mouvement.
Enfin, le dernier bocal se brise pour libérer le silence.
Le silence...? Pas encore. Un bruit brutal –un choc contre le métal du container – lui fait soudain relever la tête alors qu’il se baisse pour ramasser les caisses. Il regarde vers le ciel : quelque fois, des corbeaux laissent tomber leurs noix sur les toits pour les ouvrir. Aucun volatile en vue. Et puis le bruit était sec, comme celui qu’aurait pu produire l’impact d’un projectile métallique ou peut-être celui d’un caillou jeté par quelqu’un, voire tiré au lance-pierres par un chenapan...
Personne alentour. Cela l’intrigue toutefois. Il contourne la benne pour s’assurer qu’un quelconque plaisantin ne soit pas caché à l’arrière. Une fois de plus, force est de constater qu’il est toujours seul.
Une odeur, cependant, titille ses narines, une émanation que pourrait dégager de l’herbe qui se consume... Et c’est le cas : d’entre deux touffes partiellement calcinées, tout au bord du pré qui jouxte le lieu, s’échappent brièvement quelques fumerolles qu’il a juste le temps d’apercevoir avant qu’elles ne disparaissent. Il s’approche, s’accroupit et observe un instant l’endroit noirci. Il distingue un objet sombre, avance la main pour le saisir, puis la retire brusquement. La chose est brûlante. « Ce truc doit être une météorite », se dit-il en tentant de l’analyser. « On dirait de la roche... Par ailleurs, la forme anguleuse est assez régulière sauf sur un côté… Ce doit être le choc sur le container, après quoi, elle a rebondi sur le sol ».
Il aimerait bien la récupérer : ce n’est pas tous les jours qu’on trouve une météorite !
Il se dit qu’avec le temps qu’il fait, cela devrait rapidement refroidir. Or, justement à ce sujet, il s’aperçoit que la neige a cessé de tomber tandis que la température est sensiblement remontée.
Il décide de patienter un peu et commence par aller ranger les caisses vides dans le coffre puis s’installe au volant pour écouter un moment la radio.
Après les infos, il retourne voir ce que devient le corps céleste. Il approche la paume pour jauger l’intensité de la chaleur résiduelle. Celle-ci a diminué. Le sensible refroidissement lui permet de la saisir entre ses doigts. Il se redresse pour l’observer un instant : on dirait du verre... Ou, plutôt, cela lui fait penser à de l’obsidienne. Comme il lui avait semblé, l’objet se découpe en une forme étoilée à multiples branches dont deux ont dû se casser à l’atterrissage.
La pluie se remet à tomber, l’engageant à regagner sa voiture et rentrer chez lui, ce qu’il fait après avoir glissé la météorite dans sa poche.
Lorsqu’il arrive à la maison, il commence à faire sombre ; la nuit tombe tôt en hiver, et il est déjà 17 heures. Il se débarrasse de son blouson, en sort la météorite qu’il dépose sur la table du salon et va se préparer un thé à la cuisine. Comme il vi seul, la radio lui tient le plus souvent compagnie et son premier geste est d’allumer le poste posé sur l’étagère. La station diffuse « Heroes », un titre qu’il a découvert dans le film « Moi, Christiane F... » se rappelle-t-il, et le chanteur...
Un claquement, semblable à l’explosion d’un pétard, l’extrait de ses pensées. Cela provient d’à côté. Il se précipite dans la pièce voisine, mais s’arrête net sur le seuil.
Dans le salon, plusieurs débris noirs jonchent le sol. On dirait des éclats de... la météorite !
Il tourne la tête vers la table où il l’avait laissée. Un homme se tient là, debout dans la pénombre. Son visage – qu’éclairent quelques rayons de lumière échappés de la cuisine – lui rappelle quelqu’un, sans toutefois le rassurer.
– Qu’est-ce que vous faites là ?
En réponse, l’individu lui renvoie une question :
– Es-tu David ?
– Non, Robert, répond-il instinctivement Et il n’y a pas de David dans cette maison. Comment vous... tu es entré ?
– C’est toi qui m’a emmené ici, lâche l’étrange personnage de sa voix monocorde.
– Comment...
– L’étoile noire... Inutile que je t’explique en détail, votre civilisation n’a pas encore atteint le niveau de connaissances suffisant pour que tu puisses comprendre...
– Et ta civilisation, elle est où ? demande sarcastiquement Robert.
– Très loin, répond laconiquement le visiteur en regardant le ciel par la fenêtre. Puis il enchaîne : j’ai entendu la voix de David. Où est-il ?
– Mais quel David ? s’agace Robert.
– David Robert Jones, de Brixton.
– Robert Jones ?... Ici on n’est pas à Brixton.
– Je sais ; tu parles français, pas anglais. Je ne comprends pas... Le programme m’a envoyé au mauvais endroit. J’ai dû faire une erreur dans les données... Pourtant, je l’ai entendu chanter...
– Ça, c’était la radio... Mais pourquoi tu le cherches ?
– Il est gravement malade et doit mourir le jour de ses 70 ans. Je veux l’emmener pour tenter de le guérir.
– Aha ? s’étonne Robert, plutôt incrédule.
– Il y a 60 ans, il m’a sauvé. J’avais atterri à Brixton, des gens voulaient m’attraper, il m’a caché.
– Tu ne fais pas ton âge.
– Tu connais la théorie de votre savant Einstein ?
– Un peu.
– Tu peux alors comprendre...
Pendant leur conversation, Robert observe le visage de l’individu. Très pâle, barré de ce qui semble être une tache de vin en zigzag et surmonté d’une chevelure rousse dressée sur son crâne. Depuis le début, l’homme n’a pas bougé. Robert se détend un peu.
– En fait, je m’appelle Robert Jones. Aussi. Mais je ne suis pas celui que tu recherches.
– La voix de la radio, qui était-ce, alors ?
– David Bowie.
Au moment où il répond, le puzzle s’assemble dans sa tête. David Robert Jones EST David Bowie et le personnage en face de lui a un visage qui rappelle celui de David Bowie dans les années 70.
– Ton visage, avec cette marque rouge...
– C’est une araignée.
– Une araignée !? se récrie Robert.
– D’où je viens, elles sont cent fois plus grandes qu’ici et elles crachent un venin acide. C’est ce qui explique cette brûlure sur mon visage, et l’oeil différent de l’autre, raconte le visiteur.
– Ah ?... En fait, je voulais dire que ton visage ressemble fort à celui de David Bowie, le personnage qu’il incarnait dans les années 70, pour être exact. Je pense que c’est lui, celui que tu cherches.
– Où se trouve-t-il ?
– Il est mort. Aujourd’hui. Je l’ai entendu aux infos, tout à l’heure...
– La date de ce jour n’est pas encore le 8 janvier, n’est-ce pas ?
– C’était avant-hier. On est le 10...!
– Laz-Rus avait raison de dire que je n’arriverais pas à temps...
L’individu reste silencieux. Puis il lève la main :
– Je n’ai plus rien à faire ici. Je te remercie, terrien Robert.
– Et toi ? Quel est ton nom ?
– Zhi-Ghi.
D’un geste lent, Zhi-Ghi effleure un petit disque sur sa poitrine. Un claquement puissant déchire le silence tandis que la pièce s’évanouit, éclaboussée par une lumière éblouissante. Juste une seconde de stupeur après laquelle Robert reprend ses esprits.
Sur la table, l’étoile noire a repris sa place.
Il tend la main pour la saisir. Elle se désagrège en une fine poussière noire qu’un courant d’air emporte.
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