RAYAN, VISION DES CHASSEURS
Il sentit une peur sournoise s'installer dans tout son être, vibrante, bouillonnante. Quelque chose dans sa mémoire tentait de faire surface mais il n'arrivait pas à se concentrer. Plus il réfléchissait, plus il se sentait mal à l'aise, à en avoir le vertige.
Réalisant alors qu'il errait depuis un bon moment aux alentours du village, sans avoir croisé qui que ce soit, il s'arrêta et examina les environs.
« — Quelqu'un par là ? »
Sa voix claqua dans un étrange silence, le faisant sursauter. Mais surtout, il ne savait que faire. En Ville, il y avait toujours du monde. il baignait dans un flot permanent et omniprésent d'hommes et de femmes affairés. Et, si aucun ne voulait s'arrêter quelques minutes, on pouvait toujours aller papoter dans un parloir, en prenant un verre de Zébula ou un cocktail Sang de Dragon, ces deux drogues appréciées chez lui.
Il avait souri à ce souvenir. La Zébula était sa favorite. Elle apaisait le corps, stimulait l'imagination et procurait de merveilleux rêves. Le Sang de Dragon était plus tonique. C'était un euphorisant puissant qui vous faisait rire et danser toute la nuit mais qui, au petit matin, vous laissait ratatiné dans un coin, comme une vieille chemise oubliée. Et Rayan n'aimait pas avoir la consistance d'un chiffon. L'idée de perdre tout contrôle de lui même le glaçait. Aiguillonné par cette désagréable pensée, il se remit à marcher, à grands pas, examinant la situation sous toutes ses coutures. Conclusion: il ne pouvait pas rester à rôder autour de ce village, à vivre de ce qu'on lui offrait en échange de quelques services...
Sans qu'il s'en soit rendu compte, les Chasseurs à ses trousses avaient retrouvé sa trace. Il les sentait, il les entendait même, à présent. Il entendait les aboiements des chiens qui les accompagnaient. Il recula lentement, disparaissant dans le feuillage. Ils étaient encore loin, mais ils avançaient rapidement. Il s'était mis à courir. Le seul moyen de leur échapper était d'entrer dans la rivière et se laisser emporter, ainsi les chiens ne pourraient sentir son odeur. Mais il ne retrouvait pas la berge, dans sa fuite il ne reconnaissait pas le chemin par lequel il était arrivé. Il s'arrêta, hors d'haleine, essayant en vain de trouver un point de repère. Ils étaient tout près. Il repartit, fonçant au hasard, à travers le sous-bois dense. Ils étaient là ! Juste derrière ! Peur... Rien pour se défendre ! Plus moyen d'avancer ! Il était bloqué par un mur de végétation agressive inextricable. C'est à peine s'il sentait les épines qui s'accrochaient à ses vêtements et à sa peau. Il se débattait sauvagement et s'arracha à leur étreinte, mais trop tard, ils étaient à quelques mètres. Il les entendit s'arrêter. Il sut qu'il était perdu. Leurs souffles lourds emplissaient ses oreilles. Et les grognements sourds de leurs chiens envahissaient son esprit. Il pensa à sa mère, là-bas, si seule. Il regretta de ne pas lui avoir dit combien il l'aimait...
Et lentement, il fit face. Ce qu'il vit le cloua sur place. Ils étaient dix. Ils étaient tous absolument identiques et totalement inexpressifs. Pétrifié, il regarda les quatre chiens courir vers lui, toutes dents dehors, au ralenti, dans un silence total. Il se laissa tomber au sol pour échapper au premier qui avait bondi. Le second se jeta sur lui. Il hurla de terreur et de souffrance pendant une éternité. Il hurla jusqu'à en avoir le souffle coupé et la gorge en feu. Alors seulement, il se calma et finit par s'asseoir, péniblement, secoué de longs frissons glacés.
En pleine confusion, il chercha les chiens et les Chasseurs. Il chercha sur son bras les traces des crocs. Pas de douleur. Pas de sang. Il se releva tant bien que mal, en gémissant, s’agrippant aux branches basses d'un arbre et partit vers le village en titubant. Quelques mètres plus loin, il s'arrêta, tomba à genoux et vomit sa peur en longs râles rauques. Il lui fallut de longues minutes pour récupérer avant de pouvoir se remettre en marche. Il lui fallut plus d'une heure pour rejoindre le village. Absorbé par ses réflexions, il n'avait pas remarqué s'être autant éloigné. De temps à autre, il examinait son bras, perplexe. Marcher lui fit du bien, mais quand il rencontra Roman, devant l'auberge, celui-ci eut un mouvement de recul et le regarda comme s'il voyait un fantôme.
« — Mais qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? »
Rayan pris soudain conscience de son aspect. Il était couvert de poussière, les cheveux en bataille. Sa chemise déchirée à l'épaule, pendait sur son torse comme une mue de serpent. Il vacilla sur ses jambes, affaibli par le manque de nourriture, vidé par son effrayante expérience.
« — Bon, on ne va pas s'attarder ici, reprit Roman, le mieux est d'aller directement chez moi. Tu es aussi blanc et misérable qu'un cadavre ! Pas présentable du tout !
— Je te suis, répondit Rayan dans un souffle. »
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