POINTS DE VUE
— Sais-tu monter à cheval ? demanda Roman.
— Non, je n'ai jamais eu l'occasion d'essayer.
— On se déplace plus vite comme ça. Je peux t'apprendre, si tu veux.
— D'accord.
— Il te faudra quelques jours pour t'habituer. Mais, tu verras, c'est très agréable aussi.
— Tu as des chevaux ?
— Ils ne sont pas ma propriété, répondit Roman en souriant. Ils sont libres, mais ils restent par ici, ils m'aident et je les aide. L'hiver, je leur aménage une grotte avec tout le confort où ils peuvent se mettre à l'abri. Je soigne leurs blessures aussi.
— Tu en échanges ?
— Je préfère échanger leurs services.
— Pourquoi ?
— Parce que je les aime, je pense. Parce que je me sens l'un d'entre eux, on m'appelle Crin de Feu pour cette raison.
— Il y en a combien ?
— Ils sont une vingtaine. Ils m'aident à transporter le bois, à labourer les champs. Je les prête aussi pour les déplacements.
— Pour aller où ?
— Il y a de nombreux villages dans la région.
— Vous savez tous monter à cheval ?
— Presque tous. Cela fait partie de mon rôle. J'enseigne à chaque enfant l'art de faire équipe avec un cheval. Comme le faisait mon père.
— Je ne comprends pas... murmura Rayan en secouant la tête, incrédule.
— Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?
— Toi, et tout ce que tu me racontes. C'est complètement différent de tout ce que nous apprenons sur l'Extérieur et les créatures qui y vivent.
— Les créatures ?
C'était au tour de Roman d'être stupéfait. Il répéta ce mot d'un ton écœuré, faisant non de la tête.
— C'est comme ça que nos professeurs nous parlent du dehors. Je suis désolé, ajouta Rayan en levant les mains en signe de paix.
S'ensuivit un long silence gêné pendant lequel ils achevèrent leur repas, chacun absorbé par ses pensées.
— Je vais aller chercher les chevaux, remplis les gourdes, je te prie.
Il y avait une telle note de tristesse dans la voix de Roman que son protégé l'arrêta d'un geste :
— Écoute, Crin de Feu, depuis mon départ, j'ai découvert beaucoup de choses. Et je ne suis pas d'accord avec nos professeurs.
— On en reparle en chemin.
— D'accord.
Quand tout fut prêt, ils s'installèrent sur le banc de toile du chariot. Roman secoua doucement les rennes et lança un tranquille : « En avant », et les chevaux se mirent en marche. Il demanda alors :
— Que dit-on d'autre à notre sujet ?
— Je sais que ça ne va pas te plaire et je suis... gêné. Ils parlent de vous comme bêtes sauvages.
— Ne sois pas gêné pour des mots qui ne t'appartiennent pas. Continue.
— Quand on veut faire peur à un enfant turbulent, on le menace de le jeter hors des murs.
— Hors de la ville ?
— Oui, et il y sera à la merci de toutes sortes de créatures dangereuses.
— Nous.
— Vous... Et on nous parle aussi de ceux qui ont changé depuis le cataclysme, de ceux qui sont velus comme des bêtes et qui en ont les crocs, et d'autres qui vivent sous terre et sont cannibales. Et aussi des hommes oiseaux, tu les connais ?
— Je connais cette légende mais je n'en ai jamais vu.
— La légende dit qu'ils sont d'une grande beauté.
— Égale à leur férocité.
— Tu y crois ?
— Je ne sais plus à quoi je crois, siffla Rayan, les dents serrées.
— Alors, les hommes velus, ce sont les Karzaï, probablement. Ce sont des guerriers sans peur, nos alliés les plus proches. Nous leur devons, en partie, notre relative sécurité.
— Ce sont eux qui ont chassé les milices.
— C'était du temps de nos grand-parents.
— Mais en ville, on en parle encore. Ils sont terriblement célèbres. Et pourtant, il y a eu peu d'affrontements violents, je crois.
— C'est vrai, finalement vous êtes retournés en Ville et eux dans leur forêt.
— Mais que s'est-il passé réellement, tu le sais ?
— Ils ont une façon de combattre très particulière, semble-t-il.
— Explique-moi.
— Ils sont terrifiants. Ils ont une façon d'effrayer leurs adversaires quasi imparable et irrésistible.
— Comment ?
— C'est une bonne question. Et je n'en ai pas la réponse. Ce qui est sûr, c'est que leur pelage n'est pas leur seule différence. Si tu traverses la forêt, tu auras sans doute l'occasion de t'en rendre compte.
— Et toi, tu les as déjà rencontrés ?
— Quelque-uns.
— Et tu as eu peur ?
Surpris, et un peu gêné aussi, Roman hésita à répondre puis haussa les épaules.
— Bien sûr que oui. Mais je n'ai pas de problème avec eux. Alors, de temps en temps, on troque, et on discute.
— Alors, tu es bon pour les Travaux !
— Je sais. Et t'accueillir est tout aussi dangereux... mais personne ne me dictera à qui je dois parler, ou pas.
Dans sa réponse, il n'y avait ni orgueil, ni provocation, juste une certitude paisible. Il descendait d'une longue lignée de Campagnards qui n'avaient jamais accepté l'autorité de ces gouvernements lointains. Il était né libre dans les montagnes et il entendait bien le rester.
Le lendemain il annonça au jeune homme que quelques jours plus tard, se tiendrait la foire d'automne à laquelle participaient bon nombre d'habitants de la région, Rayan accepta d'aller y rencontrer Dame Adesha.
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