JOURNAL DE GUILHEM, INTUITION
Après avoir mangé près du feu, savourant enfin la soupe comme si elle eut été un met princier, Pistoleta nous raconta comment il était en possession du journal d'Azalée :
— On a suivi la route en marchant dans le brouillard pendant des heures, sans rien dire. On grelottait sous une pluie fine, trempés, harcelés par le vent. La Montagne Noire était glaciale, comme elle sait l'être parfois.
On était finalement arrivés à un groupe de bâtisses visiblement désertes et on s'était approchés avec précaution. Rien que le silence... On a poussé la porte de ce qui semblait être une auberge pillée. Boulet s'était secoué en aboyant joyeusement. Je m'étais débarrassé de mon manteau en disant que je resterais bien là pour quelques heures. Azalée avait accepté, elle aussi. On marchait depuis deux semaines à une allure forcée, vers Carcassonne.
Elle avait tenu auparavant à vérifier que personne ne se dissimulait dans les lieux. Nous avions ensuite allumé un petit feu dans la cheminée avec des morceaux de meubles brisés et on avait entamé nos provisions.
Quand je lui avais demandé pourquoi elle était si pressée, elle m'avait répondu qu'elle sentait la peur lui mordre les mollets, sans raison précise, chaque jour un peu plus, qu'elle obéissait à son intuition, et que Carcassonne n'était qu'une étape.
Son but c'était Montségur, où elle devait retrouver son père...
Pistoleta fit une pause, observant ces deux inconnus, pourtant étrangement familiers. Il lui semblait les avoir déjà rencontrés, sans pouvoir retrouver le moindre détail qui pourrait lui dire dans quelles circonstances.
— Nous avons passé la nuit sur place, et le lendemain matin, pendant que je dormais encore, elle avait trouvé les clés d'un véhicule stationné sur le parking et vérifié qu'il y avait assez de carburant pour aller jusqu'à Carcassonne. Elle m'avait ensuite proposé de repartir en voiture et à mon interrogation au sujet de son permis, elle avait répondu par un éclat de rire en disant que ce n'était plus nécessaire ! Mais elle avait ajouté qu'elle était en train de suivre les leçons pour l'obtenir, quand les gens avaient commencé à mourir et qu'elle se sentait capable de conduire seule.
Quand nous sommes montés dans la voiture j'avais senti le souffle de la peur, mais je me suis tu. Je ne voulais pas me faire traiter de trouillard. Azalée est parfois mordante.
Nous avions souri à cette remarque. Plus tard, Pistoleta m'expliqua qu'il avait vraiment eu, pendant cet entretien le sentiment puissant de retrouver un lointain passé. Ils se passe des choses dans les esprits, une évolution qui nous dépasse et dont je ne peux que constater l'ampleur grandissante.
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