LE CARNET D'AZALÉE, OUI, J'AI PEUR
Quand il rentra, Guilhem et Pistoleta avaient repris la discussion.
— Pistoleta, tu vas nous conduire là-bas, il faut que je voie cet endroit, décida Guilhem.
— Je ne sais pas si c'est très prudent.
— Nous sommes toujours prudents ! Crois-moi. Je dois retrouver ma fille et tu es le seul à l'avoir vue...
— C'était il y a un an... il ne doit pas rester grand chose à trouver.
— Aurais-tu peur, Pistoleta ?
— Écoutez-moi bien, depuis des mois j'essaie de rester en vie dans ce monde peuplé de fadas acharnés à s'entre-tuer. J'ai dormi dans des creux de la terre pleins de vermine, j'ai mangé des feuilles dégueulasses qui m'ont tordu le ventre et bu de l'eau qui m'a rendu tellement malade que j'ai perdu au moins dix kilos. J'ai dû me jeter dans l'Aude pour échapper à des enragés bien décidés à me faire la peau pour se remplir la panse, et vous me demandez si j'ai PEUR ?
Alors, je vais vous dire : OUI, J'AI PEUR ! avait-il hurlé, soudain déchaîné. Et je n'ai absolument aucune envie de retourner en arrière !
Pistoleta était furieux de se retrouver dans cette situation. Il se maudissait de n'avoir pas filé au lieu d'écouter cette odeur alléchante. Mais, en même temps, il trouvait étrangement intéressante cette fantaisie du destin qui lui avait fait croiser la route du père de sa coéquipière d'exode. Et son coeur lui disait qu'il devait aider cet homme, malgré sa peur. Alors sa bouche parla sans lui demander son avis, et il répondit qu'il le conduirait là-bas.
Guilhem l'avait remercié et il avait rapidement mis l'expédition sur pied. Gaucelm se sentit un peu mieux quand il sut qu'ils partiraient à cinq et bien armés. Mais quand il apprit qu'ils voyageraient à cheval, il devint écarlate, s'avouant novice en la matière.
Rafaël avait souri, en lui affirmant qu'il apprendrait vite et que c'était le meilleur moyen de locomotion vu l'état des routes, les conditions climatiques extrêmes effaçant les traces de l'ancienne civilisation plus vite qu'ils ne l'avaient imaginé.
Ils partirent le surlendemain, au lever du jour, dans la douceur de brumes froides et légères. Pistoleta se tenait en selle tant bien que mal, guère rassuré, mais sa monture était de bon tempérament, elle allait d'un pas tranquille sans surprise.
Mickaël, Rafaël, Gabriel et Guilhem parlaient peu, attentifs aux bruits, aux odeurs, au vent, à la lumière, aux bêtes, au monde. Gaucelm se laissait bercer par le mouvement. Il se sentait bien mieux qu'il ne l'avait imaginé au départ. Finalement, la présence de ces hommes l'apaisait. Depuis l'accident, il avait passé chaque jour dans l'angoisse de croiser ses semblables. Il avait vécu comme un animal solitaire, prudent, effrayé.
Mais ce soir-là, après avoir mangé, enroulé dans sa couverture, il avait de nouveau apprécié les humains.
Plus tard, Guilhem s'installa à l'écart et sortit le précieux carnet. Il le tint serré entre ses mains un long moment avant de l'ouvrir avec précaution...
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