ARKAN CHEZ SAPHIRA PREMIER ACTE, prémonition

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Les trois captifs furent conduits, sans ménagements et sous bonne escorte, dans le sous-sol du repaire de Saphira, jusqu'à la tristement renommée « Salle des questions ». Les gardes les contraignirent à se dévêtir, ne leur laissant que la chemise et le caleçon qu'ils portaient long en cette saison. Ils les laissèrent attendre, debout, pieds nus sur les dalles de pierre glaciales, dans un courant d'air qui parlait de l'hiver, avec interdiction de bouger pour se réchauffer, de s'asseoir ou de parler. Mais s'ils frissonnaient, ce n'était pas seulement de froid, le moindre écart était brutalement stoppé. Ils en portaient les traces.
Arkan et Enguerrand échangèrent un regard inquiet. Le troisième captif était un nommé Sans-Part, commerçant à Lemos où il vendait des étoffes. Il connaissait Saphira pour l'avoir servie régulièrement, et il comptait bien le lui rappeler pour sortir de cette mauvaise passe. Il était dans l'auberge, en train de discuter avec ses deux compagnons d'infortune, quand la bagarre avait éclaté. Ils n'avaient pas eut le temps de filer à l'arrivée inopinée de la police de Saphira.
Dans le silence angoissant, planait le hululement lugubre du vent et les plaintes d'un prisonnier ou les cris de délire d'un autre qui avait perdu la raison, quelque part, dans une de ces cellules dont les murs suintants, taillés dans la roche, n'avaient jamais vu le jour. L'odeur de la peur était partout présente.
Thorian et son épouse, maîtres de la région, arrivèrent deux heures plus tard. Les talons de leurs lourdes bottes de chasse réveillèrent des échos, très loin, dans les profondeurs de « L'Antre de Saphira ». Arkan et Enguerrand se saluèrent en silence, d'un regard empreint d'affection rude, comme une accolade franche, geste d'adieu. Arkan se redressa. Il savait ce qui l'attendait. Saphira, emmitouflée dans un long manteau de fourrure grise, était belle à faire peur. Ses cheveux couleur plomb, libres, soulignaient le teint de glace de son visage volontaire.

Que disait La Rumeur ? Si l'on en croyait La Rumeur... Des deux, c'était elle, la plus cruelle !

… Ce que semblait confirmer l'éclat de ses yeux étrangement fixes.

Thorian, vêtu de noir : pantalons ajustés, tunique de toile rude et veste de cuir épais, fermée par un large ceinturon, couteau de chasse au côté, avança tel un fauve. Sa longue cape rouge soulignait son imposante stature. Ses cheveux sombres se dressaient en bataille autour de sa tête massive. Et, si la plupart des hommes les portaient longs, lui, les préférait courts. Sa coiffe hirsute lui donnait l'allure d'un sanglier. Thor, la Bête chérie de Saphira. Ils s’arrêtèrent devant les prisonniers, les examinant un à un et un sourire, ravi autant qu'étonné, illumina leurs regards. Désignant le musicien du doigt, Thorian s'exclama :

— Saphira, très chère, reconnais-tu celui-ci ?

— Si je le reconnais ? J'ai peine à y croire ! Siffla-t-elle entre ses lèvres crispées. Voilà deux ans que je ratisse la région et que j'attends ce moment ! J'ai même failli douter d'arriver à le coincer... tellement il nous a fait courir, mais ça y est ! Il est à moi, triompha-t-elle, rayonnante.

Arkan enrageait de s'être fait prendre si facilement, mais il lui adressa un sourire éblouissant en disant, cœur battant :

— Je te salue, Saphira, Perle des Montagnes.

— Je te tiens, enfin...

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'il l'avait saisie à la gorge. Barral réagit aussitôt en lui bloquant l'autre bras dans le dos. Thorian lui infligea une profonde entaille, lui faisant lâcher prise. Ils l'immobilisèrent brutalement. Les deux autres prisonniers n'avaient rien pu tenter, cela n'avait duré que quelques secondes et les gardes étaient nombreux. Saphira reprenait lentement son souffle. Elle posa sur sa gorge meurtrie un linge frais et humide que lui avait prestement amené Razel et but à petites gorgées l'eau froide que lui tendait sa Bête. Elle était en proie à une fureur qui la rendait très pâle. Thorian se délectait de sa stupéfiante beauté. Barral était subjugué. Arkan tout autant. Et les autres...

Chut... souffla La Rumeur.

Il y eut un moment de flottement puis elle posa son regard brûlant sur son « agresseur » et, très calme, demanda :

— Tu me défies, Musicien ?

— Oui, Saphira, je te défie, car la renommée de ta beauté et de ta cruauté dépasse de loin les portes de ton territoire. Tu es la pire femme que j'ai rencontrée.

Enguerrand retint un sourire. Il reconnaissait bien là son compère jonglant entre provocation et compliment, ce qui leur avait, parfois, valu quelques problèmes. Sur un signe de Saphira, Thorian et Barral lâchèrent le moqueur. Elle s’approcha très près de lui, rendant les autres nerveux, et ordonna d'une voix suave au mépris palpable :

— A genoux, maintenant.

Arkan eut un sourire équivoque, entre ronce et satin. Puis, étrangement docile, il obéit et déclama :

— Nous sommes en guerre, et toute arme est bonne.

De même que fleur belle peut s'armer de haine,

L'arbre brisé peut renaître de son propre cadavre.

Enguerrand se souvint alors de cette petite composition de son compagnon.

Ces trois vers étaient une prémonition. Il en avait froid dans le dos. ...

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