ARKAN CHEZ SAPHIRA. PREMIER ACTE, suite 2
Une soudaine agitation attira son attention. On amenait le repas des maîtres. L'odeur de la viande grillée lui chatouilla les narines de manière incongrue ; les matraques le rappelèrent à l'ordre. Il se raidit, luttant pour rester debout, la tête rejetée en arrière, aspirant l'air à grandes goulées. Saphira sourit. Le spectacle lui plaisait visiblement. Elle se léchait les doigts, la viande était exquise.
L'homme était superbe dans l'effort. Elle passa une langue gourmande sur ses lèvres brillantes, détaillant, dépeçant du regard, ce corps athlétique où apparaissaient, un peu partout des ecchymoses aux couleurs sombres.
— Et bien, qu'est-ce que tu en penses ? demanda-t-elle avec une douceur effroyable.
— C'est un bon début... répondit Arkan, maintenant son cap, je crois que je vais rester encore un peu !
— Plaisante tant que tu en es encore capable. Profites-en, car la suite sera beaucoup moins drôle, pour toi, conclut-elle avec un sourire entendu avant de s'adresser à Thorian.
— Mon bel amour, je vais m'allonger un moment. Cette partie de chasse m'a fatiguée et il va tenir longtemps. Fais-moi appeler quand il sera prêt pour le second acte.
— Je vais remonter, moi aussi. J'ai quelques affaires à régler. Mais avant, je veux dire quelque chose à notre invité. Écoute-moi bien, Musicien ! J'ai de sérieuses raisons de penser qu'une coalition de clans a décidé d'engager une action contre nous. Et j'ai également de sérieuses raisons de penser que tu y participes en te faisant leur messager.
Il marqua un temps d'arrêt, observant attentivement son prisonnier puis reprit :
— Je veux savoir quelles informations tu transportes.
— Sérieusement, tu crois vraiment qu'ils confieraient une telle mission à un simple musicien vagabond ?
— Ça s'est fait en d'autres temps, Arkan de Montalba... Non ?
Arkan tressaillit. Ses parents avaient accompli bien des périples, pour les même raisons, et cela leur avait coûté la vie. Et Thorian devait savoir qui les avait tués. Il le ressentait dans l'énergie, la jubilation malsaine qu'il dégageait.
— On t'a vu entrer dans la grotte où se tenait le conseil. Tu y es resté environ une heure. Et, si ce n'était pas pour te donner une mission, de quoi avez-vous donc parlé ?
— Ils voulaient mon avis sur la succession du conseil.
Arkan avait répondu le souffle court. Sueur froide... Nouveau silence. Thorian se rapprocha jusqu'à être quasi torse contre torse, sourit et dit :
— Tu mens, Musicien, et ça se voit ! Qu'en penses-tu, Saphira ?
— Je suis d'accord !
— Mais il va vite se rendre compte de son erreur. Voilà ce que je te propose, Musicien : je veux savoir tout ce qui se trame, dans les moindres détails : les dates, les clans, vos plans, vos caches et toutes vos sales petites astuces.
Tout ! Je veux tout savoir ! Si tu me donnes ce que je veux, tu seras libre de disparaître. Mais si tu refuses, nous t'arracherons chaque pensée, chaque mot par la force. »
Arkan baissa la tête, tremblant. Comment avaient-ils pu savoir pour la réunion ? Personne ne devait être au courant sauf les participants... Thorian toisa le prisonnier puis, offrant son bras à sa femme, lança joyeusement :
— Prenez soin de lui ! Nous reviendrons pour la seconde partie. Razel, tu nous préviendras ! Et toi, Barral, tiens toi prêt !
— Je suis prêt, impatient même.
— Parfait, à plus tard.
Ils s'éloignèrent, se tenant par la taille, tandis que les gardes entamaient une sinistre ronde autour de ce corps qu'ils devaient épuiser. Arkan ferma les yeux. L'angoisse lui nouait le ventre. De nouveau, il pria. Tous ses sens, hyper-sensibles, étaient saturés par les vibrations hargneuses aux couleurs de putréfaction de la violence et de la folie qui régnaient dans ces lieux, par l'odeur de la peur, celle de la souffrance. Les gardes étaient à la fête. Il abordait l'effroi.
— Qu'est-ce que tu espères ?
— Personne ne te sortira d'ici. Et nous, on va continuer notre boulot.
— ( Forces Bonnes, donnez-moi le courage ! )
— Tu finiras par craquer !
— C'est toujours comme ça !
— Ce n'est que le début... » murmura Arkan.
La violence lui soutirait de sourdes plaintes, en un scénario,
( Forces Bonnes, donnez-moi le courage ! ),
maintes fois rejoué, pause après pause,
( Forces Bonnes, donnez-moi le courage ! ).
Rires. Peur.
Douleur. Prière.
Douleur. Humiliation.
Douleur. Prière.
Douleur. Douleur. Douleur...
Quand il fut incapable de se relever, ils continuèrent à coups de bottes. Les gardes s'échauffaient. C'était à qui le ferait le mieux « chanter », au milieu des plaisanteries lourdes et des insultes.
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