SOUVENIRS DU MONDE PERDU et poème
Le printemps bien installé, Serena était allée jusqu'au Bézu*, à la recherche de plantes destinées aux soins courants. La chaleur desséchait déjà le paysage et elle était entrée dans la chapelle pour se reposer. Il fait toujours frais dans les églises.
Elle eut la triste surprise d'y découvrir les restes d'un corps humain sur le dallage dont les animaux étaient venus se nourrir par la porte brisée. Elle frissonna et jetant un coup d'oeil prudent autour d'elle.
Tout contrastait avec ce squelette sans sépulture. Le calme, la lumière à travers les vitraux projetait leurs lueurs vives. Des oiseaux avaient élu domicile dans le saint lieu, entrant par une des couleurs brisées et virevoltaient dans la nef en pépiant gaiement.
Elle ne ressentait pas de peur, son instinct ne lui ayant signalé aucun danger. Pas de peine, non plus, juste un doux sentiment de compassion. Elle murmura quelques mots pour souhaiter à cette âme de trouver son chemin vers l'Ailleurs, fit le tour de la chapelle, observa, écouta et finit par s'assoir sur un des bancs qui n'avait pas été brûlé et ferma les yeux en soupirant. Le trajet était rude et elle n'avait plus vingt ans...
Quand elle les rouvrit, la première chose qu'elle vit fut une besace suspendue à un dossier. Un sac de toile épaisse légèrement bombé, couvert de poussière, qu'elle n'avait pas remarqué en entrant. Elle l'ouvrit avec une curiosité hésitante et en sortit le contenu qu'elle posa sur le siège.
Un couteau de bonne qualité, des lunettes de soleil dont une des branches tenait avec du ruban adhésif, un paquet de mouchoirs jetables, un porte plume en argent, un carnet et une pièce d'identité qu'elle examina à la recherche d'un nom.
Le document ( Depuis combien de temps n'en a-t-on plus besoin ? ) était au nom de Saurat Annie, résidant à Saint-Just et Le-Bézu.
Elle regarda la photo... Souvenirs du Temps d'Avant, si proche et si lointain...
Il y avait aussi une lettre et un poème d'un nommé Martin et un petit calepin contenant des notes signées Annie, que Serena prit le temps de lire.
Poème signé Martin :
SOUVENIRS DU MONDE PERDU
Il y avait l'énergie de la musique
Qui faisait vibrer l'air surchauffé,
Plein du parfum des belles gaufres,
Et l'odeur lourde des patates frites.
Il y avait les mots des conversations
Qui rebondissaient sur les murs,
Et les arbres du parc municipal,
Aux verts messages ondulants.
Je me souviens des éclats de rire
Des enfants sur le champ de foire,
Et du chant des rossignols joyeux,
Et de toutes ces lumières festives.
Je pourrais presque sentir encore
L'ambre liquide aux bulles dorées
D'une bière fraîche et moussue,
Dans son verre brillant de rosée.
Mais ce ne sont que souvenirs.
Notre monde a volé en éclats,
Emportant la joie des fêtes d'été,
L'entrain des glissades neigeuses.
La senteur sucrée d'un gâteau au chocolat,
Les effluves toniques du café,
J'ai oublié bien des choses, mais,
Tout ça m'est resté comme un trésor.
J'ai eu détesté cette civilisation,
Qui avait abusé de ses droits,
Réduit les autres espèces en esclavage,
Et pourri chaque centimètre d'espace.
J'ai bien des fois prié,
Demandant à la Terre Mère
De détruire ce monde,
Mais à présent,
Il me manque...
Dernières pages lisibles du calepin d'Annie qui semble avoir pris l'eau :
https://www.scribay.com/text/1571292402/--la-chanson-d-apres---/chapter/504375
Tristesse, désarroi, solitude, peur...
Secouée par ce qu'elle ressentait, Serena remit le tout dans le sac et le sac à sa place, ressortit sous le soleil de plomb, un immense vide dans son coeur et son esprit. Elle s'éloigna et se fondit dans le paysage.
* Le château du Bézu, Aude : http://www.templiers.org/bezu.php
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