Camilion ne pouvait rien faire de plus pour aider Rayan. Ses brûlures étaient guéries mais lui avaient laissé des dessins comme des nuages blancs posés sur un ciel bleu, cependant, il n'en souffrait plus.

Il était passé par des jours de désespoir, ses yeux ne lui montrant plus aucune image. À peine, mais c'était déjà beaucoup aux dires du guérisseur, faisait-il la différence entre jour et nuit.
Il avait pleuré, crié, maudit le destin, invectivé le ciel, supplié les Forces Bonnes, mais rien ne s'était produit. Il était resté englué dans ce gris profond comme sa peine, enfermé chez Camilion, plusieurs semaines durant, claquemuré dans son angoisse de l'extérieur.
Jusqu'au jour où le guérisseur revint après une brève absence et le contraignit à faire une petite marche. Il lui avait fourni un bâton de buis afin qu'il puisse assurer son pas hésitant et détecter les obstacles.

— Tu dois sortir, Rayan, c'est pas possible que tu restes chez moi H24, tu vas devenir enragé et je n'ai pas envie de supporter ça.

— Je suis désolé...

— C'est pas ce que j'attends de toi. Je veux que tu réagisses, que tu te reprennes en main et que tu remontes de ce puits où tu stagnes !

— Camilion, je ne sais pas si tu peux comprendre, mais ma question est : qu'est-ce-que je vais devenir ? Je ne peux plus travailler comme les autres, je ne sais pas faire grand chose et je ne vais servir à rien...

— Et moi je ne t'ai pas soigné pour entendre ça. Il y a toujours quelque chose à tenter. Alors, on va commencer par du simple, tu vas apprendre à te diriger dans le village. Tu as réussi à le faire dans la maison, le principe est le même, c'est juste plus grand. Tu vas mémoriser chaque rue, chaque maison, croisement, marche, pente, etc. Tu n'es pas le premier homme à être confronté à cette épreuve et tu vas t'adapter.
Et Rayan commença à revivre. Il fit plusieurs chutes, se cogna parfois, croisa des gens et apprit à les reconnaître au son de leur voix. Il découvrit les fragrances de chacun, devina les présences discrètes. Il apprit...
Il commença à suivre ses intuitions, d'abord sur des choses simples et facilement vérifiables. Mais une question le tracassait au sujet de la vision des Chasseurs qu'il avait eue à son arrivée. Était-ce juste le résultat de ses craintes d'être repris et de devoir subir une seconde rééducation ? Ou un véritable avertissement ? Est-ce que la vision lui annonçait son « accident » ou un événement encore à venir ?
Question suivante : que s'était-il passé pour que ses vêtements et sa barbe s'embrasent ? Personne du village n'avait vu l'action dans la panique générale. Il ne se souvenait pas avoir entendu d'explosion et ce n'était pas un éclair, ni la foudre non plus.
Il attendit encore quelques jours et décida d'aller parler avec Adesha. Il demanda le chemin à Camilion et s'en fut, plan en tête et canne à la main.
Elle l'accueillit avec émotion et le serra dans ses bras.

— Rayan, je suis contente de te voir. Tu as enfin décidé de prendre le dessus !

Elle l'avait guidé jusqu'à la cheminée et lui désigna un siège en pianotant dessus.

— J'ai des questions sans réponse, Adesha. Et j'espère que vous pourrez m'aider.

—Tout dépend des questions.

— On avait commencé à en parler...

— Je me souviens.

— Alors, d'abord, quel est mon rôle dans votre Histoire ?

—Ton rôle... Disons que tu peux être le successeur d'Armel. Il était comme toi, ou tu es comme lui. Vous avez la capacité de « voyager » dans le temps, pas corporellement, mais en esprit. Ou de deviner ce qui pourrait arriver, ou ce qui arrivera. Il a été assassiné et sa famille avec lui par les Villains. Il savait trop de choses et surtout il renseignait les Campagnards sur leurs plans grâce à ses visions. Il était très fort mais comme pour bien des Différents, ses capacités ne fonctionnaient pas tout le temps. C'est ce qui lui a coûté la vie. Il n'a pas senti arriver le danger.

— D'accord. Je suis sensé deviner l'avenir. Ça m'arrive parfois, comme pour mes yeux.

— D'abord, es-tu d'accord pour nous aider ?

— Sur le principe, oui.

— Mais ?

— Est-ce que quelqu'un ici peut m'aider à progresser ?

— C'est une bonne question. Notre problème, c'est que les Voyants sont plutôt rares.

— Vous en connaissez ?

— … Non, Rayan. Aucun qui aie tes capacités. La seconde partie du problème c'est que les Villains veuillent essayer de t'éliminer. On ne sait pas comment ils ont été informés pour Armel... donc tu es potentiellement en danger.

Ils avaient, en effet un vrai problème...

Le destin a parfois des chemins tortueux, ainsi l'aveugle était sensé être un Voyant... Rayan en aurait presque souri si son esprit n'avait été si proche du précipice.