LE TEMPS FAIT SON TRAVAIL

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Azalée passait parfois rendre visite à Zohra, lui amenant des fruits, quelques objets récupérés ici et là, discutant un moment. De temps en temps, Zohra lui massait les épaules ou le dos. Elles prirent quelques habitudes, s'appréciant mutuellement, même dans leurs silences. La fille de Guilhem reprit des couleurs, lentement, son regard perdit de sa vacuité. Son père la voyait revenir à la vie, et lui aussi revivait.

Ce fut une période bénéfique pour tous. Les « Visiteurs » discrets n'étaient pas repassés ou n'avaient pas laissé de traces. Les sentinelles avaient cependant été maintenues jour et nuit. C'était, de l'avis de Mickaël et ses collègues, une bonne habitude à garder. L'entraînement systématique de tous à la défense fut accru, à la fois nécessaire et rassurant, faisant baisser l'angoisse.
Des sessions d'apprentissage aux bases scolaires pour les plus jeunes et plus poussées pour ceux qui le voulaient, ciblées sur des thèmes pratiques furent organisées. Ils récupérèrent des tableaux et des ardoises afin d'économiser le papier. Tout ça devait aussi permettre d'occuper les journées passées à l'abri et de distribuer les connaissances. Une idée d'Annabelle.

Ce troisième hiver fut rude, on avait moins de matériel de l'ancien monde, moins de conserves, plus de bouteilles de gaz du tout. La faim montra le bout de son nez.
On se regroupa dans les habitations pour économiser le bois de chauffe. Et puis Dame Nature poursuivit son œuvre, on dormit encore beaucoup, comme l'avait pensé Séréna, ici et ailleurs aussi, on le sut plus tard.

« — Je vous attends au tournant, chantonna La Rumeur. »

Mais ce ne fut malgré tout pas si terrible : deux malades qui se rétablirent grâce aux soins de Séréna et d'Alba, mais un décès chez Guilhem, un jeune qui s'était égaré et avait péri de froid dans la neige. La leçon fut brutale et claire, restez en groupe et à l'abri !
Chacun s'habituait à cette nouvelle vie au rythme proche de la nature. La fête du printemps fut une explosion de bonheur et d'espérance. On chanta, dansa. Il y eut les semis et autres plantations. Quelques brebis agnelèrent et ce fut une joie de plus car la laine allait devenir précieuse. Puis, après mûre réflexion, Guilhem ramena à sa fille son carnet de voyage.

« — Papa, je suis désolée... Je ne sais pas quoi te dire quand on se voit... Je ne suis plus la jeune fille que tu connaissais. »

Silence.

« — Je le vois. Tu as changé. Mais dans mon cœur, tu es toujours mon enfant. Et je suis toujours ton père. »

Ils prirent coutume de se retrouver une fois par lunaison, prenant parfois un repas ensemble, allant marcher, explorer. Ils s'entraînaient aussi certains jours ensemble. Guilhem avait été l'initiateur de ce fait. Et puis un jour, Azalée lui dit :

« — Ça me fait bizarre, papa, de... d'être aussi près d'un homme...

— Tu dois apprendre à te défendre d'eux, Azalée. Je ne t'avais pas suffisamment préparée. Et tout ce qui t'est arrivé est de ma responsabilité. Je ne veux pas que ça se reproduise. Je peux t'en donner les moyens. »

Alors, serrant les dents, passant au dessus de son aversion, elle s'entraîna de plus en plus souvent avec lui et l'équipe masculine, progressant rapidement. Dans le même temps, elle se rapprocha de Zohra. Père et fille s'affrontèrent régulièrement, avec l'énergie de l'Amour et du désespoir, chacun amenant l'autre à repousser ses limites.

Jusqu'au jour où elle parvint à le faire chuter et à le bloquer, le tenant à sa merci. Elle poussa alors un cri terrible, de rage, de victoire, le même que celui qu'elle avait jeté au ciel, après avoir tué son premier homme, le jour où elle avait pu s'évader de ce bagne ignoble. Et elle fondit en larmes, jeta au loin la pierre avec laquelle elle avait bien failli exécuter son adversaire, son père, et faire basculer sa raison. Ils se relevèrent en silence sous le regard surpris des autres et s'éloignèrent. Plus tard, après une bonne douche et un repas rapide, après avoir été vérifier que les agneaux étaient en santé, elle le rejoignit et s'excusa avant d'ajouter :

« — Je suis désolée, papa, je préfère ne plus m'entraîner avec toi. J'ai encore trop de colère... Je ne veux pas te faire de mal...

— Tu continueras avec d'autres, maintenant. Nous avons appris ce que nous devions : pour moi : tu n'es plus une petite fille et tu es libre de tes choix, n'oublie jamais ça. Et moi, j'ai été reconnu comme ton père par ton coeur juste avant que tu ne me donnes la mort avec cette pierre. Nous pouvons passer à la suite de nos vies. » Ils se donnèrent une accolade où renaissait un sentiment qui initia leur réenchantement et la renaissance de leur famille.

Et ce soir là, dans la chaleur de leur tendresse, Azalée et Zohra s'aimèrent charnellement pour la première fois.

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