Les Justes - Albert Camus
Pendant très longtemps, je me suis posé une question. A partir de combien de pages une œuvre est une œuvre? Certes un poème change parfois la vie d'un humain (un jour, je vous parlerais de la poésie néostoïque et des baffes que c'est pour moi), mais une œuvre de fiction, une histoire doit-elle être immense pour nous conquérir?
J'ai eu la réponse à l'adolescence. Silenuse va s'étouffer sur la phrase suivante, mais je le confesse, j'ai toujours été rétif au théâtre. C'était pour moi une littérature étrange inlisable, on devait la jouer où la voir. Il fallait une action pour que le théâtre soit théâtre. Et les lectures de Molière, Beaumarchais ou même Reza font parti de mes souvenirs sombres.
Pourtant un jour en seconde, ma prof de français me tendit un livre. C'était un cadeau pour l'élève que j'étais, le grand sans ami qui passait son temps perdu dans un bouquin. C'était une petite femme, toujours joyeuse, avec des yeux profonds qui semblaient pouvoir sonder une âme en un regard. Elle passait de longs moments à me parler, ce fut la première qui me lut, et qui m'encouragea à poursuivre dans ma quête des mots. Elle avait décelé en moi une perte de sens et de vie, et au milieu de l'aide qu'elle essaya de m'apporter, il y eut ce petit livre. Moins de cent pages, en théâtre, surpris, je l'ai lu. Et il m'a transformé. Ce fut mon premier rapport à Camus.
Camus a une obsession que je partage : Pourquoi vivre ? Pourquoi s'entêter à vivre quand mourir ne change rien ? Dans le mythe de Sisyphe il énonce ainsi brillamment que pour comprendre le sens de la vie, il faut saisir celui du suicide.
Dans les justes, il explore cette pensée autrement. Pourquoi mourir pour une idée? Jusqu'où doit-on aller par idéologie?
J'ai lu le livre en une heure. Je crois qu'il m'a fallu un mois pour vraiment finir de le digérer. J'ai acheter et lu tout Camus dans la foulée.
Bon, ok, ma vie c'est bien joli, mais de quoi ça parle ce livre? Le résumé de Babelio va vous aider à bien le comprendre :D
Ne pleurez pas. Non, non, ne pleurez pas ! Vous voyez bien que c'est le jour de la justification. Quelque chose s'élève à cette heure qui est notre témoignage à nous autres révoltés : Yanek n'est plus un meurtrier. Un bruit terrible ! Il a suffi d'un bruit terrible et le voilà retourné à la joie de l'enfance.
... Ok, on va prendre celui de wikipédia
À Moscou, en 1905, un groupe de socialistes révolutionnaires projette d'assassiner le grand-duc Serge, qui gouverne la ville en despote, afin de lutter contre la tyrannie exercée sur eux. Kaliayev, un jeune terroriste, lancera la bombe. Dora restera en arrière, mais c'est elle qui a fabriqué les bombes servant à l'attentat. Dora et Kaliayev sont amants. Kaliayev est emprisonné, la grande-duchesse Élisabeth lui propose d'être gracié, il refuse et il est pendu. Dora, à la fin, s'apprête à faire le prochain attentat et peut ainsi rejoindre Kaliayev.
Les justes, c'est une histoire de révolution, c'est une histoire d'hommes qui choisissent la mort plutôt que l'indignité, le meurtre plutôt que le silence. C'est une œuvre qui n'a pas changé le monde, mais qui change ses lecteurs. Pourquoi prendriez-vous une balle? Pour quelle valeur vous tomberez? En ces heures où le monde se laisse aller dans un romantisme révolutionnaire de plus en plus radicale, c'est une pièce à redécouvrir de toute urgence. Quelques extraits pour finir de vous convaincre.
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Je sais maintenant qu'il n'y a pas de bonheur dans la haine.
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La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la terre.
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DORA
Ouvre les yeux et comprends que l'Organisation perdrait ses pouvoirs et son influence si elle tolérait, un seul moment, que des enfants fussent broyés par nos bombes.
STEPAN
Je n'ai pas assez de coeur pour ces niaiseries. Quand nous nous déciderons à oublier les enfants, ce jour-là, nous serons les maîtres du monde et la révolution triomphera.
DORA
Ce jour-là, la révolution sera haïe de l'humanité entière.
STEPAN
Qu'importe si nous l'aimons assez fort pour l'imposer à l'humanité entière et la sauver d'elle-même et de son esclavage.
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STEPAN
Je n'aime pas la vie, mais la justice qui est au-dessus de la vie.
KALIAYEV
Chacun sert la justice comme il peut. Il faut accepter que nous soyons différents. Il faut nous aimer, si nous le pouvons.
STEPAN
Nous ne le pouvons pas.
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Et si l'humanité entière rejette la révolution ? Et si le peuple entier, pour qui tu luttes, refuse que ses enfants soient tués ? Faudra-t-il le frapper aussi ?
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C'est cela l'amour, tout donner, tout sacrifier sans espoir de retour.
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J'ai accepté de tuer pour renverser le despotisme. Mais derrière ce que tu dis, je vois s'annoncer un despotisme qui, s'il s'installe jamais, fera de moi un assassin alors que j'essaie d'être un justicier.
Voilà, les justes, c'est une pièce tragique et absurde, qui rappelle que la mort ne vaut rien, qu'on vit pour une grandeur ou qu'on se contente de survivre en ayant renoncer. C'est un livre de romantique plus qu'un livre de révolutionnaire. C'est l'histoire du monde en quelque jours, une histoire qui se répétera chaque siècles. Et ce livre est là pour nous rappeler que ceux que nous nommons terroriste eux, se voient sauveurs
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