Pax Romana - Hickman
Ne nous leurrons pas, lorsque je suis tombé sur Pax Romana en librairie, je me suis attardé sur le comics pour deux raisons, tout d’abords son prix étonnamment bas même pour Giebert Joseph qui m’offrait ainsi un long moment de lecture pour le prix d’un fascicule Panini, et le nom de Hickman que j’avais déjà croisé à plusieurs reprises dans des reviews de blogs dithyrambique qui présentait le monsieur comme le nouvel Alan Moore… rien que ça. Assez curieux et de toute façon amoureux des histoires étranges, semi courte et semi roman graphique, j’ai donc regardé le résumé. Je vous le laisse ici, je pense que je ne suis pas le seul qu’il va laisser perplexe :
2045. Alors que l'Islam est devenu la religion dominante en Europe et que l'Ouest rejette le monothéisme, les laboratoires du CERN découvrent la possibilité du voyage dans le temps. Le Pape ordonne alors la création d'une armée privée qu'il envoie en 312 après J.-C., au temps du règne du premier empereur chrétien, Constantin. Arrivés à destination, les paradoxes temporels, idéologiques et personnels des mercenaires du Vatican entrent alors en collision, menaçant leur mission : changer le passé pour sauver le futur
L’uchronie est osée, audacieuse, en feuilletant rapidement le bouquin en librairie (urban indies, 144p, 2014), je me rends compte qu’il faut de solide connaissance historique pour suivre l’histoire tant les allusions, les détails et l’histoire jouent avec la réalité de ce qui a été pour en faire ce qui doit être. Et je confesse que malgré une licence d’histoire et un master en relations internationales, j’ai parfois dû racler le fond de mes neurones pour assimiler et assembler certaines allusions et détails de l’histoire.
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L’histoire commence donc avec Le pape génétique (qui se présente lui-même comme étant à la fois « l’agrégat illuminé d’un millier de Saints-Hommes. l’Évêque de Rome, le Panchen Lama, le Pratyekabouddha, le Dernier Calife, le Prêtre Éternel d’Amon-Ra, le Rabbin Noir et le Shaman Blanc... le Vicaire du Christ. ») qui demande à voir un enfant roi qui a du mal à dormir pour lui raconter l’histoire de son monde. Une histoire orale en l’an 1421qui se raconte entre les trois rois du monde unifié le roi d’Afrique, le pape génétique, et l’enfant roi. Dès le début on est donc surpris et on suit ainsi le récit coloré du changement du monde inité par le Vatican avec la complicité du CERN qui a envoyé une armée (une grosse et pas des moins sympathique avec le complet hélicoptères, char d’assaut, ogives nucléaires…) pour aider Constantin à dominer le monde, assassiner Mahomet à la naissance, annihiler Attila d’une bombe nucléaire et phagocyter toutes les autres religions sous l’égide de l’Eglise. L’armée est ainsi constituée de mercenaires, de visionnaires, d’hommes d’églises, tous sont internationaux et augmenté génétiquement pour vivre suffisamment longtemps.
On suit ainsi les tribulations de cette armée entre manipulation historique, trahisons de toute part, création d’un idéal politique (le discours politique est brillant, j’en veux pour exemple cette citation vraiment lumineuse de satyre, de cynisme et de pragmatisme)
Dans le futur d’où nous venons, la véritable continuation de a République s’appelait Démocratie. Deux autres mouvements politiques ont tenté de défier son avènement : le Fascisme et le Communisme. Nous avons décidé d’utiliser les points fort de ces deux mouvements pour provoquer des changements sociopolitiques radicaux puis d’utiliser leur point faible pour y substituer progressivement de meilleurs systèmes. Toutes les trois ou cinq générations, nous changerons le gouvernement de Rome jusqu’à ce que la République ultime soit accessible. Révolution, puis Stabilisation, puis Consolidation.
[…]
Après l’Etat Fasciste, ce sera le tour d’une forme de Communisme, de pseudo-socialisme […] c’est une forme de gouvernement où toutes les institutions sont la propriété et l’outil de l’Etat. Une forme d’utopie ridicule, contraire à la nature humaine, mais qui a pour avantage, en raison de son économie centralisée, de rendre possible et rapide une révolution industrielle interne.
La narration est donc acerbe, amusé de ce que le monde aurait pu être s’il avait eu la connaissance idoine de son futur et qu’il choisissait ainsi d’optimiser son évolution, c’est donc une fresque historique, où la religion sert plus de prétexte que de cause, elle est réduite à sa définition marxiste, c’est-à-dire un liant sociétale qui rassemble une communauté autour d’un but commun, autrement dit, un simple ciment pour permettre au monde de fermenter et d’offrir ses plus grandes réussites.
En ce qui concerne la forme en elle-même, elle est surprenante, particulièrement ambitieuse du haut de ces 144 pages, le livre nous offre pourtant un récit complet qui joue avec les codes du genre. On trouve ainsi par exemple de long passage qui retranscrive simplement les discussions, comme un enregistrement papier sobre et sans fioriture de ce qui fut dit. Permettant ainsi de gagner des pages et d’offrir une pensée assez touffu, inhabituelle (sans être pour autant révolutionnaire) pour le genre des comics.
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(je prends les images sur google images parce que mon scanner est rétif aujourd’hui, donc c’est des exemples en anglais là, navré pour les anglophobes, comme d'ordinaire, je vous invite à copier les liens)
Le dessin est quant à lui proprement magnifique, encore une fois les codes du genre sont bousculés, il y a une profusion de blanc sur les planches permettant au récit d’avoir des aérations réelles dans sa mythologie profuse et fascinante.
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Le travail sur les couleurs, le trait, offre aussi une œuvre à part entière, à l’identité caractéristique et particulièrement agréable pour l’œil, je laisse quelques planches illustrer mon propos
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http://www.readaboutcomics.com/images/2008/022908_paxromana02.jpg
Avant de conclure, je vais distiller quelques citations, le verbe étant particulièrement important dans ce récit, il me parait honnête de le mettre un peu à l’honneur afin de vous aider à vous faire un avis final.
Ce n'est qu'au XXe siècle que sont apparus les moyens techniques d'annihiler toute une catégorie de personnes. Nous avons amené avec nous un tel pouvoir. Je n'hésiterai pas à en user contre les animaux qui s'opposeront à la marche du progrès humain. Qu'ils viennent, les Huns ! Qu'ils viennent, ceux qui voudraient faire de nos gens des esclaves, raser nos villes ou brûler nos bibliothèques. Et qu'ils apprennent, une bonne fois pour toutes, cette leçon : cette fois, le progrès social ne sera pas arrêté. Il n'y aura pas de Moyen Âge, pas de longue nuit avant la Renaissance et les Lumières. La vieille Histoire, nous allons la défier.
***
- Ton plan... votre plan... es-tu assuré de son succès? Penses-tu que votre échec est impossible?
- Non. Pas impossible.
- Quoi?!?
- Constantion, il y a trop de variables. Plus nous refaisons le monde plus le modèle qui nous guidait, l'ancienne histoire, devient inutile. Bientôt...très bientôt, nous naviguerons à vue. A ce moment, tout ne dépendra plus que de la qualité des hommes que j'ai choisis.
- Et tu...Koff... doutes de ceux-ci?
- ... qui peut connaître le coeur des hommes?
***
Alors, il va vraiment falloir que je le dise? Die Weltgeschichte ist das Weltgericht. L'Histoire du monde est le tribunal du monde.
***
- J'ai fait une promesse.
- Nous avions fait un serment.
***
Je suis l’agrégat illuminé d’un millier de Saints-Hommes. Je suis l’Évêque de Rome, le Panchen Lama, le Pratyekabouddha, le Dernier Calife, le Prêtre Éternel d’Amon-Ra, le Rabbin Noir et le Shaman Blanc... je suis le Vicaire du Christ. Je suis le Pape Génétique.
***
Ce que l’on aime bien diffère souvent de ce dont on a besoin.
Alors qu’en penser ? J’ai au début cru qu’il s’agirait d’un étrange mariage entre Soumission de Houellbecq en Uchronie avec le propos d’un Watchmen et en fait… non. C’est une histoire qui a assez peu de pareil, le propos politique est particulièrement travaillé, la réflexion sur la violence également, on trouvera des références historiques à foison et le récit ne manque pas de piquant croquant assez bien le cœur des hommes qui se sont investi dans une mission et qui perdent parfois leurs repères où troquent une vision contre une autre. Les férus d’histoire et de philosophie seront ainsi ravi, on peut ainsi dénicher tant des allusions à Socrate et à Hobbes que des détails historiques obscur connu de peu. Ce comics est clairement l’aboutissement d’un travail de titan.
Et c’est probablement tant sa principale qualité que son défaut le plus immanent, le récit est dense et peut-être trop pour certains lecteurs. Sans bagage culturelle un peu massif le livre peut perdre son lecteur dans ses considérations sur les acteurs de l’époque où sur l’utilité d’une telle utilisation politique à un tel moment. Le second défaut sera la violence, inhérente au genre en soit, mais parfois moins graphique que viscérale et qui peut se révéler profondément dérangeante suivant les moments.
Mais pour ceux qui ont aimé Watchmen, c’est en soit un must-read, une leçon de cynique historique qui prend aux tripes et qui offre une réflexion surprenante sur le monde et les sacrifices à faire pour le sauver d’un danger fantôme.
J’espère vous avoir donner envie de le lire.
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