Chapitre 1
Un matin de printemps, le soleil brillait avec une intensité presque inhabituelle pour un jour de mai à Bromley au sud de Londres. Le quartier, ordinairement animé par un centre-ville très commercial, une gare et des restaurants, était baigné dans une lumière dorée, les rayons du soleil glissant le long des maisons en rangée et des jardins soigneusement entretenus. L'air était encore frais, mais portait déjà la promesse d'une chaude journée.
Au nord de la ville, un homme avançait d'un pas léger le long des rues bordées d'arbres en fleurs. Sa silhouette athlétique se détachait sous un t-shirt blanc simple et un pantalon en lin beige. Le bouquet de roses rouges qu'il tenait à la main, fermement mais avec une tendresse palpable, ajoutait une touche éclatante à son ensemble. Il avait pris soin de choisir chacune de ces roses avec attention, chaque pétale semblant incarner un moment partagé, un souvenir chéri.
Cet homme s'appelait Owen Hollmann. Agé de trente-quatre ans, cet enfant de Bromley était depuis bientôt cinq ans le responsable d'un club de tir à l'arc qu'il avait ouvert en ville. Il y exerçait également le métier de coach, ou professeur selon le vocabulaire de chacun, pour des groupes scolaires en découverte ou en cours particulier. En ce jour spécial, il avait profité de sa pause déjeuner pour faire une petite surprise à sa moitié.
Il arriva devant l'école primaire « Burnt Ash Primary School », un bâtiment aux murs de briques rouges qui respirait l'histoire et la quiétude d'une journée scolaire. Les cris joyeux des enfants résonnaient en écho lointain tandis qu'il se dirigeait vers l'interphone à gauche du portail. Il y sonna avant de recoiffer sa courte chevelure brune d'un coup de main vers l'arrière et de vérifier, avec le reflet de la caméra, que sa barbe de trois jours ne cachait pas une miette de cookie qu'il venait de déguster. Cookie amicalement offert par la fleuriste du centre-ville.
— Owen ! Lança une voix féminine familière venue de l'interphone.
— Bonjour Madame Taylor, sourit le gentleman. Petite surprise...
Il montra les roses à la caméra qui déclencha une joyeuse exclamation à son interlocutrice.
— Je t'ouvre immédiatement
Un bruit à consonnance électrique indiqua à Owen que la porte était déverrouillée. Il entra en prenant soin de refermer derrière lui et traversa la première cour déserte jusqu'à la grande porte en bois, déjà entrouverte. Une fois dans le bâtiment, il aperçut les enfants dans la seconde cour, riaient et jouaient, insouciants sous le regard bienveillant des enseignants. Cette école, il la connaissait par cœur. Il y avait couru enfant, gravi ses marches usées, et franchi ses couloirs tapissés de dessins colorés de ses six à ses onze ans. Il se souvenait des après-midis passés à rêvasser dans la classe, de l'odeur de la craie et du bruit de la cloche qui, en trente ans, n'avait pas changé. Aujourd'hui tout semblait à la fois familier et différent, comme si le temps avait laissé une empreinte délicate mais indélébile sur ce lieu de son enfance.
Owen passa la tête au premier bureau de ce couloir principal, celui de Madame Penny Taylor, la directrice de l'école d'une cinquantaine d'année qu'il avait lui-même connu en tant que professeure quand il était élève. Lunettes sur le nez, un sourire illumina son visage à la vue de son ancien élève qui semblait venir ici beaucoup trop souvent.
— Il va vraiment falloir que tu apprennes ce genre d'attention à mon vieil époux. En trente-cinq ans, ni ma classe, ni ce bureau n'ont reçu d'aussi belles fleurs ! avoua-t-elle.
— C'est promis, lui sourit-il.
— Elle prend sa pause déjeuner dans sa classe, tu connais le chemin.
— Vous êtes la meilleure Madame Taylor, merci !
D'un clin œil, il s'échappa du bureau et se dirigea vers le fond du couloir pour accéder à l'étage. Il passa devant l'unique mur qui n'avait pas changé depuis toutes ses années. Bien qu'il ait été repeint comme les autres, c'était le seul rempli d'une centaine de dessins d'enfants. Selon Penny, il s'y cachait un dessin signé 'Owen H, 7ans' qu'elle avait gardé de l'époque, mais il n'avait jamais eu le courage de le retrouver dans toutes ces œuvres d'arts. Il monta deux à deux les marches de l'escalier sur sa gauche qui l'amena directement face à la porte de la classe de Madame Kathleen Dekker, la plus colorée du bâtiment. Il inspira profondément, cherchant à calmer les battements de son cœur, puis frappa doucement.
Un instant plus tard, la porte s'ouvrit sur une jeune femme d'une élégance simple. Elle portait une robe légère à motifs floraux qui reflétait parfaitement la journée printanière du jour et ses cheveux blonds, relevés en un chignon lâche, laissaient échapper quelques mèches qui encadraient son visage. Ses yeux s'écarquillèrent de surprise et ses lèvres s'étirèrent en un sourire qui illumina son regard.
— Owen ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
Il leva le bouquet de roses entre eux, un sourire tendre sur les lèvres.
— Joyeux anniversaire de rencontre, chérie !
Un éclat de rire charmeur et charmé résonna dans la pièce, Kathleen attrapa le bouquet avant de se jeter dans ses bras, serrant Owen contre elle avec une force qui trahissait toute la joie et l'amour qu'elle ressentait.
— Tu es le plus adorable des idiots, murmura-t-elle contre son épaule
— Pardon ? s'étonna Owen en relâchant légèrement Kathleen pour la regarder. Un idiot n'aurait jamais acheté d'aussi belles fleurs !
— C'est vendredi notre anniversaire...
Owen soupira en laissant tomber sa tête en arrière. « Crétin... » pensa-t-il. Il se reprit avec un sourire en glissant ses mains sur les hanches de sa compagne. Il pensait à cette surprise depuis tellement de temps... Se tromper de date en était presque improbable. Il fallait croire qu'après ces belles années, Owen restait un homme plein de surprise.
— Après six ans, nous ne sommes plus à quelques jours près .
— Après six ans, c'est un anniversaire de mariage qu'on devrait fêter, lança fièrement la blonde.
— Toujours plus... Estime toi heureuse d'avoir un homme aussi attentionné sans bague au doigt, Kathleen Dekker.
Elle le prit dans un rire joyeux, le visage rayonnant.
— Elles sont magnifiques, merci Owen Hollmann.
Kathleen porta les roses à son nez, en inspira profondément leur parfum, puis leva les yeux vers lui. Un regard vert pétillant de tendresse comme au premier jour, dans ce bar du centre de Londres pour l'enterrement de vie de jeune fille et garçon d'amis communs. Agés tous les deux de vingt-huit ans lors de l'évènement, ils en avaient délaissé une partie de la soirée pour faire connaissance et partager une danse. Owen ne put résister une seconde de plus et attrapa ses lèvres dans un baiser plus amoureux que jamais.
— Six ans, déjà.
Ils restèrent ainsi, enlacés, dans cette classe qui avait vu tant de générations passer, comme si le monde autour d'eux s'était arrêté. Pour Owen, il n'y avait rien d'autre que la chaleur des bras de Kathleen, le parfum des roses, et la certitude que ces six années n'étaient que le début d'une vie qu'il voulait passer à ses côtés, dans ce lieu qui avait vu naître son passé, et qui, aujourd'hui, était témoin de son futur.
Jamais Owen n'avait aimé comme il aimait Kathleen. Il avait eu des amourettes et des relations qu'il pensait sérieuses dans son passé mais depuis que ce regard avait croisé le sien, toutes ses idées sur l'amour s'étaient rendues à l'était de ridicule. Depuis, sa vie n'était que bonheur et plaisir, il travaillait enfin dans le domaine qu'il avait toujours désiré, il habitait dans la ville qu'il aimait et partageait tous ces moments avec une femme que personne ne pouvait égaler.
L'amour qu'il ressentait à cet instant commençait à l'enivrer. Il attrapa une nouvelle fois les lèvres de Kathleen, cette fois plus passionnément, en laissant ses mains se balader dans le creux de son dos et le haut de ses fesses, ce qui amusa la jeune femme qui ne pouvait s'empêcher de sourire sous les baisers d'Owen.
— Pas ici, c’est beaucoup trop risqué, dut-elle se forcer à avouer, les fleurs toujours à la main
— Où est ton gout de l'insolite ? répond-il, enjôleur.
— Tu l'as raté à quelques jours près
Owen éclata de rire, victime de la répartie subtile de sa moitié. Il l'avait bien mérité.
Un dernier baiser et les deux amants finirent par se lâcher. Kathleen en profita pour sortir un vase, très certainement issu d'une activité pâte à sel et peinture, d'une armoire et de le remplir d'eau pour y plonger le bouquet. Owen, quant à lui, avait déjà repéré le paquet de biscuit entamé sur le bureau de Kate et n'hésita pas à se servir. Ayant dédié sa pause déjeuner à sa surprise, il n'avait pas pris le temps de manger et son estomac, dont seul un cookie essayait de combler, le lui faisait comprendre.
— Comment ça se fait- que tu ne déjeunes pas- avec les autres ? marmonna-t-il la bouche occupé par ces biscuits
— J'avais deux-trois petites choses à terminer pour être certaine de partir à l'heure ce soir. Zoey doit être à dix-sept heures au terrain pour son match
Zoey était la fille de Kathleen qu'elle avait élevée seule, avec l'aide partielle de ses parents. Agée de quinze ans aujourd'hui, elle faisait partie d'une équipe de basket et excellait dans ce sport en dehors de son cursus scolaire. Discrète, intelligente et déterminée, elle avait un peu moins de dix ans quand Kathleen et Owen s'étaient rencontrés. Le courant n'était jamais vraiment bien passé entre elle et son nouveau beau-père. Possessive, elle avait toujours cru qu'elle et sa mère pouvaient s'en sortir seules, sans Owen ou un autre. Depuis, tout sujet avait plus de chance de finir en désaccord qu'en joyeuse discussion et bon souvenir, surtout depuis son adolescence.
— Le match ? Owen déglutit à s'en étouffer. C'est ce soir ?
— Owen..., le ton de Kate changea, Tu as oublié ? Tu dois y être, ça ferait vraiment plaisir à Zoey. C'est le match le plus important de la saison !
L'archer se gratta l'arrière du crâne. Il était en effet possible que l'information lui fût sortie de la tête.
— Je vais m'organiser pour-
— Je déteste dire ça mais tu n'as pas le choix.
— J'ai promis à Harper de lui faire une séance au tir, elle commence tout juste à retrouver ses-
— Ses capacités, le coupa-t-elle, oui je sais mais tu ne penses pas que faire plaisir à Zoey est plus important aujourd'hui ?
— Je vais m'organiser pour faire les deux, d'accord ?
Kathleen tiqua et s'essaya sur une table d'élève, les bras croisés sur la poitrine . Elle savait que le travail d'Owen au club de tir à l'arc était important pour lui mais son actuelle relation avec Zoey était loin d’être joyeuse.
— Tu as intérêt. Je ne veux pas d'un nouveau drame à la maison...
La cloque de l'école retentit, signifiant que la pause était terminée et que les classes allaient reprendre. Owen s'avança vers Kathleen pour l'embrasser une nouvelle fois et permettre à celle-ci de se détendre.
— A ce soir, bon courage avec les petits monstres.
— Les pires, sourit-elle
Owen piqua un dernier biscuit avant de sortir de la classe. Il s'engagea dans le couloir, son esprit déjà tourné vers la manière dont il pourrait organiser son temps. Chaque pas qu'il faisait le ramenait à sa réalité quotidienne, celle d'un coach et professeur dévoué qui voulait faire la différence pour ses jeunes passionnés et celle d'un beau-père en quête d'une vraie relation père-fille avec Zoey.
Lorsqu'il sortit de l'école, l'air frais du printemps l'accueillit, et il respira profondément pour chasser les doutes qui commençaient à l'envahir. Ce soir, il devrait jongler entre ces deux réalités, et il n'avait pas le droit à l'erreur.
Annotations