Chapitre 2
Lorsqu'il arriva au club, Owen gara son pick-up à sa place habituelle, à deux pas de l'entrée et jeta un inévitable coup d'œil vers l'inscription qui ornait la porte d'entrée « Bromley Archery Club ». A peine eut-il poussé la porte qu'il se sentit chez lui, dans son élément. En plus de quatre ans, Owen avait réussi à créer un lieu spacieux et lumineux, pensé pour répondre aux besoins de tous les archers, qu'ils soient débutants ou expérimentés. Dès l'entrée, on était frappé par l'atmosphère à la fois sportive et conviviale qui régnait dans la grande salle principale.
Cette salle principale était l'épicentre du club, aménagée de manière à ce que chacun puisse s'entraîner dans de bonnes conditions. Le long du mur se trouvait des cibles placées à des distances variées pour les entraînements en salle. Elles étaient bien entretenues, entourées de filets de sécurité pour éviter que les flèches perdues n'abîment les murs où n'atterrissent sur la cible d'à côté.
A gauche de la salle, un espace était aménagé en zone d'échauffement, de musculation e tde motricité. On y trouvait des équipements simples mais essentiels pour renforcer les muscles nécessaires à un bon tir à l'arc ainsi que pour des exercices d'agilité, essentiels pour développer la coordination, la stabilité et la maitrise chez les archers.
En face de l'entrée, un escalier menait à l'étage où une salle d'entrainement supplémentaire, souvent plus calme, était utilisé par les adhérents les plus expérimentés.
Pour finir, sur la droite, une porte discrète menait à la pièce qui servait de stockage matériel : arcs, flèches, cibles, en nombre suffisant. Non loin, une autre porte vers laquelle Owen se dirigea. Ce n'était autre que son bureau, un petit espace personnel, bien que modeste, où il organisait ses cours, méditait sur ses compétitions passées, et planifiait l'avenir du club. Il salua les adhérents qu'il croisa avant d'entrer dans son sanctuaire.
Le bureau d'Owen était une pièce qui reflétait toute une vie dédiée à sa passion. La première chose que l'on remarquait en entrant, c'était la grande baie vitrée qui inondait l'espace d'une lumière douce et naturelle, donnant un visuel sur les deux grandes cibles extérieurs entourées de vastes étendues d'herbe. Elles permettaient aux tireurs d'ajuster leur précision sur de plus longues distances, avec la complexité supplémentaire des conditions climatiques.
Sur les murs, des photographies retraçaient son parcours. L'une des plus marquantes était une photo d'Owen, encore enfant, tenant fièrement un petit arc à la main, ses yeux brillants d'excitation. À côté de lui, son père, grand et imposant, posait une main protectrice sur son épaule. Dans une autre, un Owen adolescent tirait une flèche en compétition, concentré et déterminé, tandis que son père l'observait depuis la ligne de tir. Ces images étaient non seulement des souvenirs, mais aussi des rappels permanents de ce que le tir à l'arc avait toujours représenté pour lui : un lien familial et une passion dévorante.
Sous les photos, des vitrines contenaient des trophées de ses nombreuses victoires en compétition junior locale, des coupes d'un argent légèrement terni par le temps, mais encore fièrement exposées. À côté, des médailles d'or et d'argent étaient suspendues à des rubans colorés, chacune gravée avec la date d'un concours qu'Owen avait remporté. Quelques diplômes encadrés témoignaient de ses compétences en tant que professeur, certains portant l'inscription "Meilleur professeur" ou "Coach de l'année", obtenus grâce à son dévouement à enseigner aux jeunes et à transmettre son savoir.
Sur un présentoir en bois, en face de la grande fenêtre, deux arcs étaient disposés. Le premier était son tout premier arc, un modèle simple en bois, usé par les années, mais soigneusement conservé. C'était cet arc qu'il avait utilisé lorsqu'il avait appris à tirer, et malgré les signes évidents du temps, il tenait une place particulière dans son cœur. À côté, son arc actuel, un modèle moderne en fibre de carbone et en aluminium, était lisse et précis, brillant sous les rayons du soleil.
Au centre de la pièce, un bureau en bois massif dominait l'espace. Un léger désordre trahissait les nombreuses heures passées à travailler ici, à planifier des séances ou à organiser des événements pour le club. Sur un coin du bureau, bien en vue, une photo encadrée de Kathleen attirait l'attention. Elle souriait tendrement sur l'image, un souvenir de leurs premières balades le long de la Tamise. Owen jetait souvent un regard sur cette photo, comme pour se rappeler grâce à qui il était assis là, à vivre de sa passion. Sa présence dans ce bureau était une source de motivation.
Owen prit place sur sa chaise, et alluma son ordinateur. Une longue après-midi l'attendait : il avait toute cette paperasse à trier, un cours avec une classe du collège du quartier et son cours particulier avec Harper, pour après se rendre au match de Zoey. L'heure tournante, il mit directement le nez dans ses mails puis dans ses papiers. C'est seulement vers quinze heures qu'il en sortit pour changer de tenue et accueillir les collégiens dans la salle principale.
Accompagné de son ami et collègue Dan, ainsi que de Harry, un jeune retraité et bénévole qui adorait venir prêter main forte, Owen répartit les élèves à différents ateliers de préparation avant de s'installer, une fois bien échauffé, devant les cibles. Il passa une heure et demie avec ses jeunes, leur partageant toute sa passion et ses connaissances pour le plus grand intérêt de certains et certaines. Il était bien conscient que cette discipline ne pouvait pas plaire à tout le monde et heureusement. Comptant aujourd'hui une centaine de licenciés, tout âge confondu, il ne pouvait se permettre d'accueillir la ville entière. Par chance, cette ville accueillait absolument tous les sports, de quoi satisfaire tous les gouts.
L'après-midi se déroula à une vitesse folle. En un claquement de doigts, il était déjà dix-sept heures et, quand Owen sortit de son bureau, Harper était déjà à l'échauffement. Le soleil de mai illuminait toujours la salle, d'une lumière légèrement plus orangée, ce qui la rendait encore plus chaleureuse. Il passa par la pièce adjacente pour récupérer quelques flèches avant de se diriger vers la jeune archère.
— Salut Harper, dit-il en lui offrant un sourire encourageant. Comment va ton bras aujourd'hui ?
— Plutôt bien, j'ai eu ma dernière séance de kiné hier, répondit elle en terminant l'échauffement de ses poignets. Je suis prête à reprendre le tir, je crois.
— Parfait ! Une nouvelle étape de franchie.
Agée de seize ans, Harper était une jeune demoiselle ambitieuse et courageuse, tout aussi passionnée qu'Owen l'était à son âge. Son visage rayonnait et son regard noisette pétillaient dès qu'il croisait une flèche ou une cible. C'était l'une des premières adhérentes du club et il l'accompagnait en cours particuliers depuis maintenant deux ans.
Malheureusement, il y a plusieurs mois, elle avait été victime d'un accident de voiture qui lui avait provoqué une importante fracture du bras gauche. En fin de convalescence, elle revenait aujourd'hui pour son quatrième cours particulier depuis sa reprise la semaine passée. Mais après trois séances à effectuer des exercices de mobilité et de motricité fine, il était temps de reprendre l'arc à la main et elle en était ravie. L'impossibilité de pratiquer avait été dure à accepter pendant ces longs mois et ça, Owen en savait quelque chose. Lui-même victime d'un accident à vingt-et-un ans, bien que différent de celui de Harper mais finalement beaucoup plus grave, il avait mis un terme à son début de carrière d'archer pour se rétablir. Il était très admiratif de la détermination et le courage de cette fille qu'il souhaitait voir aller le plus loin possible.
L'échauffement terminé, Harper rejoignit Owen à la cible numéro deux, qu'il avait réservé pour l'heure. Ses cheveux bruns tirés en queue-de-cheval laissaient apparaitre une appréhension que l'archer repéra instantanément.
— Ça va aller, tu verras.
— Et si je n'y arrivais plus ? s'inquiéta Harper.
— Impossible, tu as le meilleur des professeurs.
La plaisanterie fonctionna, au grand soulagement de Owen qui, bien que confiant, n'était pas le meilleur pour remonter un moral au fin fond d'une chaussette. Il avait confiance en son élève, elle était capable et savait que la passion était plus fort que tout à ce moment-là. Il lui tendit un arc qu'elle attrapa, après hésitation, d'une ferme poigne.
— Ok, je suis prête.
Harper attrapa une flèche et prit position face à la cible. Elle installa la flèche sur son arc avant de tendre le bras. Juste derrière elle, Owen corrigea sa posture, insista sur sa respiration, et la façon dont chaque muscle devait être contrôlé. Il ajusta son pied ici, redressant son dos là, tout en lui parlant doucement, l'encourageant à retrouver confiance en elle.
— Souviens toi, Harper, tout commence avec l'équilibre, dit-il en l'aidant à ajuster son arc. Si tu te sens stable et calme, tout le reste suivra naturellement.
Elle acquiesça, concentrée, et tira une flèche. Elle atteignit la cible, non pas en plein centre, mais assez près pour que ses yeux s'illuminent de satisfaction. Owen lui sourit avec fierté.
— Bon retour parmi nous !
Heureuse, elle serra l'arc contre son cœur et sautilla sur place laissant exprimer sa joie, ce qui fit rire son professeur.
— Allez, on continue ! Je ne vais pas me contenter d'un tir à sept points, ajouta Owen en lui tendant une nouvelle flèche.
Au fur et à mesure que la session avançait, Harper commença à se détendre. Ses tirs devenaient plus précis, ses gestes plus fluides. Dans la discussion, elle se mit à reparler de ses rêves comme elle le faisait à ses débuts, notamment des Jeux Olympiques qu'elle espérait un jour atteindre. Une ambition qui faisait briller ses yeux d'une passion que Owen trouvait inspirante.
— Je veux représenter mon pays, dit-elle entre deux tirs, les yeux fixés sur la cible. Je sais que c'est un grand rêve que je garde dans un coin de ma tête depuis des années, mais c'est ce qui me pousse à continuer
Il l'écouta avec une attention bienveillante.
— Je pense sincèrement que tu as tout ce qu'il faut pour y arriver. Si tu continues à travailler aussi dur et sérieusement, rien ne pourra t'arrêter.
Les mots d'Owen semblèrent ravir Harper, qui reprit l'entraînement avec encore plus de détermination.
Le temps passant aussi vite que le reste de la journée, Owen plongea la main dans sa poche pour y sortir son téléphone mais ce qu'il y vit le fit pâlir en une fraction de seconde.
« 18h34 »
« 5 appels manqués : Kate ❦ »
Le match de Zoey avait commencé il y a plus de trente minutes, Owen était en retard. Très en retard.
— Merde !
Il rangea son téléphone et partit en courant vers son bureau tout en s'adressant à Harper, qui ne comprenait absolument pas ce qui était en train de se passer
— Je dois y aller, excuse-moi. On se revoit vendredi sans faute !
Il attrapa ses clés posées sur le bureau et se précipita à l'extérieur tout en se maudissant.
Sur la route vers le club de basket, il se maudissait encore. Kathleen avait eu raison de s'inquiéter, et lui n'avait pas été capable de tenir parole. En plus de se maudire, il se détestait. Zoey et Kate le détesteraient surement aussi.
— Owen Alan Hollmann, tu viens de signer ton arrêt de mort.
Quand il arriva enfin, les cris des spectateurs résonnaient déjà à travers le bâtiment. Owen se précipita à l'intérieur, il savait qu'il ne pouvait pas rattraper le temps perdu, mais il espérait arriver à temps pour montrer à Zoey qu'il se souciait d'elle, qu'il tenait à elle.
Le tableau d'affichage indiquait qu'il ne restait que cinq minutes avant la fin du match. Zoey était sur le terrain, concentrée. Elle jouait avec toute la détermination d'une jeune fille qui voulait prouver sa valeur, et l'équipe était à quelques points de la victoire. Owen ne pouvait détacher ses yeux d'elle, fasciné par sa ténacité, mais aussi envahi par une tristesse sourde de n'avoir pas été là plus tôt.
Temps mort, Owen en profita pour balayer la salle du regard et trouva Kathleen, assise non loin, concentrée sur le match. Il se glissa dans les gradins pour la rejoindre, essayant de se faire le plus discret possible mais elle l'aperçut immédiatement, et il put voir la lueur de reproche dans ses yeux. Il se sentit minuscule sous ce regard, la culpabilité le rongeant encore plus fort.
Le match reprit, il essaya de se concentrer sur Zoey, qui jouait avec une intensité remarquable. Elle marqua un panier, provoquant une explosion de joie dans les tribunes, mais l'archer sentit que sa présence tardive rendait l'instant pesant. Il avait tout raté.
Le coup de sifflet final retentit, et l'équipe de Zoey remporta la victoire. Les joueuses se précipitèrent les unes vers les autres, criant de joie, tandis que les supporters se levaient pour applaudir. Owen se leva et applaudit à son tour, arrivant tout juste à sourire. Il se maudissait toujours. Kathleen finit par briser le silence, d'une voix particulièrement sèche.
— Je lui ai dit que tu serais là. J'aurais peut-être dû lui préciser que ce serait à 2 minutes de la fin.
— Je suis désolé, Kate...
Il ne s'aventura pas dans des explications du pourquoi, ni du comment, sachant que c'était inutile à cet instant. Kathleen allait enchérir mais se tut en voyant Zoey s'avancer vers eux, les yeux brillants de satisfaction. La jeune fille s'arrêta net en apercevant Owen, son expression se fermant aussitôt. Elle ne dit rien, mais le message était clair. Owen sentit une boule se former dans sa gorge.
— Tu as été incroyable, Zoey, dit-il doucement, espérant une réponse, même brève.
Zoey haussa les épaules, l'air indifférent.
— Merci, répondit-elle avant de se tourner vers sa mère qui la prit dans ses bras pour la féliciter. Ne m'attends pas ici, je vais récupérer mes affaires aux vestiaires et je te rejoins dans la voiture.
Kathleen jeta un regard à Owen avant de regarder sa fille s'éloigner
— Très bien, je t'y attends, affirma-t-elle avant de se tourner vers Owen.
— On en reparlera à la maison.
Owen acquiesça, un nœud au ventre, sachant que la soirée n'était pas terminée, et que les conséquences de son retard seraient difficiles à affronter. Il laissa passer Kate avant de se rasseoir.
Il resta quelques instants dans le gymnase désormais presque vide, le poids de sa propre déception appuyant lourdement sur ses épaules. Les rires et les acclamations des supporters résonnaient encore dans ses oreilles, mais pour lui, ce bruit n'avait plus aucune chaleur. Il avait manqué un moment crucial, non seulement pour Zoey, mais aussi pour Kathleen.
Lorsqu'il sortit enfin, la nuit était tombée, et l'air frais du printemps semblait lui offrir un peu de répit. Mais rien ne pouvait effacer la lourdeur qui pesait sur son cœur. Il monta dans sa voiture et prit un instant pour se ressaisir avant de démarrer le moteur. Sur le chemin du retour, il essaya de trouver les mots pour expliquer son retard à Kate, mais rien ne lui paraissait suffisant. Il savait que les excuses ne répareraient pas ce qu'il avait manqué.
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