Chapitre 5
Le lendemain matin, une étrange lourdeur flottait dans l'air. Le soleil perçait à peine les rideaux de la cuisine, et pourtant, le jour semblait déjà teinté de quelque chose de sombre, d'indéfinissable. Owen se réveilla plus tôt que d'habitude, le sommeil agité par les images de la veille et cette sourde inquiétude qui refusait de le quitter. Kathleen était déjà en bas, préparant le café. L'odeur familière flottait dans la maison, un parfum réconfortant qui lui réchauffait le cœur.
En entrant dans la cuisine, Owen la trouva debout devant la fenêtre, une tasse à la main. Elle observait silencieusement la rue, les personnes qui y passaient, perdue dans ses pensées. Il s'approcha et l'enlaça doucement.
— Bonjour, murmura-t-il en cherchant à capter son regard.
Kathleen hocha la tête en retour, son visage toujours marqué par la fatigue.
— Bonjour, répondit-elle doucement, ses yeux tournés vers lui. Tu as bien dormi ?
Owen haussa les épaules.
— Pas vraiment... Et toi ?
Kathleen souffla délicatement dans sa tasse avant de s'asseoir sur une chaise haute de l'îlot central.
— Moi non plus. Toute cette histoire... Elle s'interrompit, cherchant ses mots. Ça semble irréel, non ?
Owen hocha la tête à son tour. Il prit place en face d'elle, attrapant une tasse et versant du café sans trop y penser.
— Malheureusement, ça semble bien être réel. Il marqua une pause, fixant le liquide noir dans sa tasse. Je commence à craindre la suite.
Kathleen croisa les bras, le regard baissé.
— Tu crois vraiment qu'on pourrait être touchés ? Je veux dire, Londres... C'est loin de tout ça, non ? Peut-être qu'on panique pour rien.
— J'espère que c'est assez loin, oui. Je ne veux pas céder à la panique, soupira Owen.
Un silence s'installa. Le léger cliquetis de la cuillère de Kathleen, tournant dans sa tasse, résonnait dans la cuisine.
— Alors on ne cédera pas. On ne s'arrête pas de vivre et on réévalue la situation chaque jour, répondit Kate sous forme de proposition.
— On ne cède pas, lui sourit-il comme réponse positive.
En fin de journée, les informations diffusaient à la télévision ne faisait que confirmer leur choix.
"Bien que les attaques de cyborgs s'intensifient à travers plusieurs villes irlandaises, les autorités affirment que la situation est sous contrôle et qu'il n'y a aucune menace immédiate pour le Royaume-Uni."
C'est alors que Kathleen se leva, un éclat de détermination dans le regard. Contre toute attente, elle se dirigea vers la télévision et l'éteignit d'un geste ferme. Le silence qui suivit fut surprenant, presque apaisant après un week-end aussi stressant.
— On a besoin d'un moment de répit, dit-elle doucement, mais avec une conviction qui surprit Owen. Et si on jouait à un jeu de société ?
Zoey et Owen échangèrent un regard, surpris par cette proposition inattendue. Kathleen continua, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.
— Je sais que ça peut sembler fou, mais... j'ai besoin de quelque chose de normal, de familier. Juste un moment pour nous, pour oublier ce qui se passe dehors.
Zoey, d'abord perplexe, hocha finalement la tête.
— Heu... Ok ?!
Owen resta silencieux un instant, mais voyant le regard suppliant de Kate, il sourit et acquiesça.
— D'accord, va pour un jeu de société.
Ils se rassemblèrent autour de la table du salon, Kathleen sortit un vieux jeu qu'ils avaient l'habitude de jouer ensemble les rares soirs où ils se retrouvaient tous les trois. Le simple fait de sortir les pions et de lire les règles apporta une sorte de réconfort, une routine rassurante dans un monde devenu imprévisible. Ils commencèrent à jouer, essayant tant bien que mal de retrouver un semblant de normalité. Les rires étaient rares, les sourires timides, mais ce moment suspendu hors du temps leur permit de se ressourcer, de trouver un peu de force pour affronter la dure réalité.
Le jeu avait à peine commencé que Zoey, les sourcils froncés, accusa soudain Owen de triche.
— Tu ne peux pas faire ça, tu triches, lança-t-elle, la voix plus accusatrice que légère.
Owen, surpris par l'accusation, la regarda d'abord incrédule, puis s'apprêta à répondre, mais Kathleen intervint aussitôt.
— Zoey, s'il te plaît, pas ce soir, dit-elle, sa voix douce mais ferme.
Zoey soupira, détournant les yeux. Le jeu continua dans un silence un peu tendu, mais malgré son désir de maintenir l'harmonie, Owen sentait un poids sur son cœur. Il voyait bien que quelque chose troublait Zoey, au-delà de la simple accusation de triche. Finalement, après quelques tours de jeu, elle regarda Owen, les yeux légèrement baissés, comme si elle hésitait à parler.
— Je suis désolée d'avoir été aussi dure avec toi ces derniers temps, murmura-t-elle finalement, rompant le silence qui s'était installé. Ses mots étaient hésitants, mais sincères.
Owen leva les yeux vers elle, surpris par cette soudaine confession. Il prit une profonde inspiration avant de répondre, choisissant ses mots avec soin.
— Zoey, je sais que ce n'est pas facile. Mais je suis là, et je veux que tu saches que je ferai toujours de mon mieux pour toi, pour nous.
Il la regarda, espérant qu'elle puisse sentir la sincérité dans ses paroles. Zoey hocha doucement la tête, ses yeux brillants d'une émotion qu'elle ne laissait pas souvent voir.
— Merci, Owen, dit-elle simplement, avant de détourner les yeux, un peu gênée par ce moment d'intimité.
Kathleen, qui avait observé toute la scène en silence, sourit avec douceur. Elle ressentait un mélange de soulagement et de fierté. Ce moment, aussi difficile soit-il, était un pas en avant pour leur famille, une petite victoire dans ce monde devenu incertain.
La soirée continua, le jeu reprit, mais quelque chose avait changé. L'atmosphère était plus légère, moins tendue. Pour un bref instant, ils réussirent à oublier le chaos extérieur, à se concentrer sur ce petit moment de paix qu'ils partageaient ensemble.
Malheureusement, le sentiment de paix ne dura pas. Deux jours plus tard, la situation en Angleterre bascula brusquement dans l'horreur. Ce matin-là, Owen était en pleine démonstration de tir à l'arc avec un groupe de collégiens. Concentré sur son explication, il montrait aux élèves comment ajuster leur posture pour tirer avec précision, mais fut interrompu par l'un de ses collègues, son visage marqué par l'angoisse.
— Owen, il faut que tu voies ça, tout de suite ! dit-il, la voix tremblante.
Owen se retourna, les yeux plissés de confusion. Il posa l'arc qu'il tenait et s'avança vers son collègue.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Liverpool et Birmingham... ils viennent d'être attaqués. On dit que c'est le même genre de truc que ce qui s'est passé en Irlande.
Les mots tombèrent comme une pierre dans l'estomac d'Owen. Le sang quitta son visage, et pendant une fraction de seconde, le monde sembla s'arrêter. Puis, son instinct de survie prit le dessus. Il jeta un coup d'œil aux élèves, qui commençaient à sentir que quelque chose n'allait pas. L'enseignant du groupe, comprenant immédiatement la gravité de la situation, prit une décision rapide.
— Nous devons rentrer à l'école, immédiatement.
Sa voix était ferme, mais il ne pouvait dissimuler l'inquiétude qui perçait dans son ton. Owen hocha la tête, ses pensées déjà tournées vers Kathleen et Zoey.
— D'accord, je vais renvoyer tout le monde et fermer le club. Tu peux les raccompagner au collège avec leur professeur ? demanda-t-il à son collègue
— Oui bien sûr !
L'archer le remercia et se précipita à l'étage pour prévenir les quelques adhérents présents de la situation, sans pour autant créer un mouvement de panique.
Une fois le club vide, il se précipita pour le fermer, ses mains tremblant légèrement alors qu'il verrouillait les portes. En sortant son téléphone de sa poche, il composa le numéro d'Kathleen d'une main fébrile. Elle décrocha presque immédiatement.
— Owen ? Sa voix était tendue, comme si elle savait déjà ce qu'il allait dire.
— Kate, tu as entendu les nouvelles ? demanda Owen, son cœur battant à tout rompre.
— Oui, j'ai eu l'ordre de renvoyer les élèves chez eux. C'est la panique ici, les parents arrivent en masse pour récupérer leurs enfants.
Owen inspira profondément.
— Je vais chercher Zoey au lycée. On se rappelle juste après, d'accord ?
— D'accord, répondit la professeure, rassurée.
— Sois prudente, dit-il avant de vouloir raccrocher.
— Owen, attends !
Un court silence s'installa, voulant dire beaucoup de choses qu'il pouvait comprendre.
— Je t'aime aussi, Kathleen.
Owen raccrocha et se mit à courir vers sa voiture, garée juste à côté de l'entrée. Le trajet vers le lycée de Zoey, bien que court, lui sembla interminable. Les rues étaient déjà encombrées, les gens paniqués tentaient de rejoindre leurs proches ou de quitter la ville, craignant que le chaos ne s'étende.
Arrivé au lycée, Owen fut accueilli par une scène de confusion totale. Les parents, inquiets et pressés, se bousculaient devant l'entrée, tentant de récupérer leurs enfants au plus vite. Les agents de sécurité et le personnel du lycée, débordés, tentaient de maintenir l'ordre tant bien que mal.
Owen se fraya un chemin à travers la foule, son visage déterminé. Lorsqu'il arriva enfin devant l'un des responsables, il déclara d'un ton ferme
— Laissez-nous entrer !
L'homme en face de lui secoua la tête, les yeux fatigués.
— Nous avons des procédures en place, monsieur. Vous devez attendre que...
— Écoutez, le coupa Owen, la voix empreinte d'une urgence qu'il ne cherchait même plus à dissimuler. Je comprends les procédures, mais le bon sens doit primer ! Vous avez certainement une famille à rejoindre également, alors laissez-nous entrer ! Et, croyez-moi que si dans les cinq prochaines minutes je n'ai pas récupéré MA fille, je forcerai la grille.
Owen n'avait pas pour habitude d'être menaçant, mais le contexte était exceptionnel. Autour de lui, d'autres parents protestaient, certains avec des cris, d'autres avec des implorations. La tension montait, et la situation menaçait de dégénérer. Finalement, après ce qui sembla être une éternité, le responsable céda.
— Très bien, soupira-t-il, cédant sous la pression. Allez dans la cour, nous sommes en train de rassembler toutes les classes dans le réfectoire.
Quelques minutes plus tard, Zoey apparut dans son champ de vision, son visage pâle trahissant sa peur. Une lueur de soulagement traversa son regard quand elle aperçut son beau-père qu'elle s'empressa de rejoindre.
— Owen ! Où est maman ? souffla-t-elle, totalement paniqué
Il dut se retenir de la serrer dans ses bras et se contenta de lui embrasser le haut du crâne.
— Appelle-la, on rentre à la maison.
Alors qu'ils quittaient le lycée, les sirènes retentissaient au loin, une bande son sinistre pour une journée qui avait tourné au cauchemar. Cela n'annonçait rien de bon.
— Ils sont à Londres, prononça Zoey la voix tremblante, terrorisée par l'alarme. C'est ça ?
— Ça va aller. Appelle ta mère s'il te plaît. Demande-lui où elle en est.
Zoey s'exécuta tout en montant dans la voiture. Owen démarra en trombe et reprit le chemin de la maison.
— Maman ? Maman, je suis avec Owen, ça va ? – D'accord. – Oui, on est sur la route, on va bien ! On va venir te récupérer, attends-nous. – Maman, fait attention à toi, on se dépêche ! Puis elle raccrocha.
Owen la regarda, attendant de savoir ce que Kathleen venait de dire.
— Elle n'a pas de voiture, on doit aller la récupérer. Owen...tu crois vraiment qu'ils sont à Londres ?
— J'en ai bien l'impression, lui répond-il après hésitation.
Dans la panique, Owen avait effectivement oublié que Kathleen avait fait du covoiturage ce matin et qu'il était bien dans la voiture de cette dernière et non dans son pick-up. D'un coup de volant, il modifia son itinéraire pour aller vers l'école primaire où travaillait Kathleen. Le reste du trajet se fit en silence, chacun étant perdu dans ses pensées sombres.
Les bouchons ayant été importants, ils arrivèrent enfin aux alentours de l'école, complètement inaccessibles en voiture. Les klaxons rendaient le tout encore plus stressant et angoissant, dans cette vague de panique irréelle. Ils garèrent la voiture un peu plus loin et coururent jusqu'à l'école, où ils retrouvèrent rapidement Kathleen.
Zoey se jeta dans ses bras, heureuse de la retrouver. D'un geste doux et bienveillant, Owen s'assura que sa conjointe allait bien, rassuré d'être enfin réunis.
— Tous mes élèves sont reparties, j'ai eu l'autorisation de rentrer. Partons vite d'ici.
Owen acquiesça et lui attrapa la main qu'il serra dans la sienne. Ensemble, ils réussirent à tracer leur route vers la voiture, en contournant les parents, les enfants, ainsi que les vélos, motos et voitures qui les entouraient.
Quand ils atteignirent la voiture, ils y montèrent, essoufflés, mais soulagés.
— Quel enfer ! s'exclama Kathleen.
— Fonce à la maison s'il te plaît, je ne me sens vraiment pas en sécurité ici, ajouta Zoey.
Dehors, le bruit des sirènes résonnait toujours au loin, des hélicoptères survolaient la ville, et les informations diffusées à la radio ne faisaient qu'amplifier leur angoisse. Les attaques des cyborgs s'intensifiaient et se répandaient beaucoup plus vite qu'en Irlande, et même si Owen essayait de garder son calme, il sentait la panique monter en lui.
— Tout va bien se passer, on y est presque, marmonna-t-il, plus pour lui-même que pour rassurer Kathleen et Zoey à l'arrière.
Kathleen, assise à côté de lui, tenait son téléphone, le visage pâle.
— On ne va pas pouvoir rester à Londres, Owen... J'y ai réfléchi cette nuit déjà et je pense qu'on devrait peut-être remonter le pays pour-
— Allez chez ma sœur, termina-t-il. J'y ai pensé aussi.
Il la regarda, espérant trouver la bonne solution dans ses yeux. Mais tout ce qu'il pouvait voir été de la peur. Il posa une main sur la sienne. A cet instant, l'instinct de survie était devenu leur seul et unique guide.
— On en reparlera à la maison, je... Je n'arrive plus à réfléchir.
Soudain, un bruit sourd retentit, Owen freina aussi fort que possible. Quelque chose venait de briser la vitre côté passager, ce qui fit hurler les filles de peur. Owen, qui s'était protégé le visage de son bras, se redressa pour vérifier que tout le monde allait bien. Mais ce qu'il vit ne le rassura pas.
Un de ces robots-cyborgs se tenait à quelques mètres, le bras tendu vers eux. Il accéléra brutalement, essayant de s'échapper, mais c'était trop tard. Un projectile métallique, plus rapide qu'il ne pouvait l'anticiper, traversa la brèche dans la vitre brisée.
Avant qu'Owen ne réalise ce qui se passait, Kathleen poussa un cri de douleur, une lueur argentée s'enfonçant dans sa nuque.
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