Inter-chapitre : Flashback
--------------------- 6 ans plus tôt ---------------------
Owen ajusta sa cravate devant le miroir fissuré de la salle de bain. Le nœud lui paraissait un peu trop serré, mais il n'avait pas l'habitude de porter ce genre d'accessoire formel. Il préférait de loin son uniforme d'agent de sécurité ou, encore mieux, sa tenue décontractée pour le sport et le tir à l'arc. Pourtant, ce soir-là, il n'était pas question de confort. Il s'agissait d'un enterrement de vie de garçon pour son meilleur ami, Tom, et cela signifiait que l'occasion méritait un effort particulier.
Le bruit du trafic londonien se faisait entendre par la fenêtre ouverte de son appartement à Bromley, un quartier qu'il connaissait bien. Il avait grandi ici, mais la ville avait changé depuis son départ pour Edimbourg dix ans auparavant. Revenir à ses racines n'avait pas été aussi simple qu'il l'avait espéré, mais ce soir, il avait l'intention de laisser de côté ses préoccupations et de profiter de la soirée.
En rejoignant ses amis dans le bar branché de Londres où la soirée avait lieu, Owen ressentit une certaine nostalgie mêlée à une excitation nerveuse. Tom était déjà là, entouré d'une foule d'amis et de connaissances, tous prêts à célébrer ses derniers jours de célibataire. Les rires résonnaient contre les murs de briques apparentes du bar, et Owen ne put s'empêcher de sourire en voyant son ami, habituellement si sérieux, arborer un large sourire et une couronne en plastique dorée sur la tête. Lui et Tom s'étaient côtoyés toute leur enfance à Bromley, un vrai duo inséparable, auteurs des 400 coups ! Malgré le déménagement de Owen en Ecosse, les deux amis avaient gardé contact et s'étaient revus lors d'occasions spéciales telles que les vacances ou les mariages d'amis communs. Aujourd'hui, Owen était de retour à Bromley pour une durée indéterminée, et avait retrouvé son meilleur ami et futur marié.
Il entra dans le bar et s'avança vers la bande, regroupée autour d'une grande table en bois. Le plafond bas et l'éclairage tamisé créaient une atmosphère intime, presque chaleureuse, malgré la foule. Les pintes s'empilaient déjà, et les conversations allaient dans tous les sens. Tom, le sourire large et l'air un peu éméché, leva son verre à son arrivée.
— Owen ! Tu es enfin là, mon vieux ! Il ne manquait plus que toi !
Owen répondit par un sourire et leva sa pinte en signe de salutation.
— Je ne pouvais pas rater ça. Dit-il en montrant la couronne de son ami.
Ils éclatèrent tous de rire, et Owen s'installa confortablement parmi ses amis, se laissant emporter par la bonne humeur ambiante.
Alors que la soirée avançait, les blagues et les anecdotes s'enchaînèrent, les rires devenant de plus en plus forts à mesure que l'alcool coulait. Owen se sentait bien, à sa place, entouré de ceux qui avaient partagé tant de souvenirs avec lui. Mais malgré tout, il y avait une part de lui qui restait en retrait, une part qui observait sans vraiment participer, qui réfléchissait.
C'est alors qu'il remarqua un visage familier s'approcher de Tom avant de l'entourer de ses bras. C'était Laura, la future femme de son meilleur ami. Il l'avait rencontré deux ou trois ans auparavant lors de vacances où les amis d'enfance s'étaient retrouvés en Italie. Tom chuchota à l'oreille de la jeune femme qui leva instantanément les yeux vers Owen.
— Owen ! Quel plaisir de te revoir, dut-elle crier pour qu'il l'entende
— Salut Laura ! Je ne savais pas que ton EVJF se déroulait ici aussi, répondit Owen dans une étreinte amicale.
— On trouvait plus sympa avec Tom de fêter ça au même endroit, je suis de l'autre côté du bar avec mes copines, indiqua-t-elle, satisfaite et comblée par le déroulé de la soirée
Owen jeta un œil à l'endroit indiqué par Laura. Elles étaient là, cinq femmes, tout aussi joyeuses et bruyantes que les hommes, célébrant visiblement un formidable enterrement de vie de jeune fille. L'une d'elles attira son attention. Elle riait avec une telle sincérité que cela détonnait presque avec le reste de l'ambiance. Ses cheveux blonds étaient tressés, retombant sur son épaule et quelques mèches encadraient son visage délicat. Elle portait une robe simple mais élégante, noire, qui contrastait joliment avec la vivacité de son sourire.
— Owen, tu es avec nous ou tu es déjà parti ailleurs ? demanda Tom en lui donnant un léger coup de coude.
Owen cligna des yeux, ramené à la réalité.
— Oui, pardon. J'étais juste... distrait. Profite bien de ta soirée Laura !
Celle-ci embrassa Tom avant de repartir avec ses amies, et les yeux d'Owen se redirigèrent instantanément vers la jolie blonde. Tom suivit son regard et un sourire entendu se dessina sur son visage.
— Ah, je vois. Je ne peux pas te blâmer, elle est ravissante. Tu devrais aller lui parler.
— C'est l'enterrement de vie de jeune fille de Laura et aussi le tiens accessoirement. Pas sûr que ce soit le meilleur moment pour -
— Justement, l'interrompit Tom. C'est le moment idéal. Personne ne se prend trop au sérieux ce soir. Va, amuse-toi un peu Hollmann.
Owen hésita. Ce n'était pas vraiment dans ses habitudes d'aborder une inconnue dans un bar, et encore moins dans un contexte aussi festif. Mais il y avait quelque chose chez cette femme qui le fascinait, une aura de chaleur et de vie qu'il avait rarement rencontrée. Avant même qu'il ne puisse vraiment réfléchir à ce qu'il faisait, il se retrouva debout, traversant la pièce pour rejoindre l'autre groupe, mais son chemin fut interrompu par Paul qui lui colla une nouvelle peinte entre les mains. Owen se ravisa et retourna trinquer avec ses amis, à la santé de Tom.
Cependant, il ne cessait de se retourner, plus ou moins discrètement, pour observer la ravissante jeune femme qui, par chance, finit par se rapprocher pour atteindre le bar. Cette fois, Owen se lança. Il posa son verre sur la table et se fraya un chemin jusqu'au bar, faisant mine de vouloir commander un verre.
— Bonsoir, dit Owen, sa voix plus assurée qu'il ne l'aurait cru.
Elle sourit, un sourire qui atteignit ses yeux d'un vert profond.
— Bonsoir, répondit-elle, d'une voix douce mais claire.
— Owen, se présenta-t-il en tendant la main. Je suis un ami de Tom, se permit-il d'ajouter en sachant qu'elle comprendrait.
— Oh ! Enchantée, je suis Kathleen, une amie de Laura.
Elle serra doucement la main d'Owen, et il ne put s'empêcher de remarquer la chaleur de son contact.
— C'est la première fois que je te vois en compagnie de Tom, avoua-t-elle, toujours souriante, mais avec une note d'intérêt sincère dans la voix.
— Je reviens tout juste d'Ecosse, ces imbéciles me manquaient trop, expliqua-t-il en désignant son groupe d'un mouvement de tête.
Kathleen sourit de plus belle, sublimant d'avantage son regard.
— Je comprends, je suis dans un cas similaire avec celles-ci. Je vis à Chester alors je suis en général présente que lors des grandes occasions.
— Chester ? s'étonna Owen. Ça fait une trotte jusqu'ici.
— Oui, acquiesça-t-elle, mais Londres a toujours eu un attrait particulier pour moi. C'est une ville où tout semble possible, où chaque coin de rue peut cacher une surprise. Et puis c'était l'occasion parfaite pour passer du temps avec mes amies.
Owen sentit une pointe de déception à l'idée qu'elle n'était que de passage, mais il chassa cette pensée. C'était sûrement ce qui rendait ce moment si particulier : peut-être ne la reverra-t-il jamais. Le barman arriva vers eux, Kathleen se commanda un cocktail sur le compte de l'EVJF de Laura.
— Et toi, tu es d'ici ? demanda Kathleen, le tirant de ses pensées.
— Plus ou moins, répondit-il en haussant les épaules. J'ai grandi à Bromley, dans le sud de Londres. Puis j'ai déménagé à Edimbourg où j'ai vécu dix ans avant de revenir à Bromley il y a deux mois pour le travail.
Kathleen sembla intéressée.
— Wow, en voilà un détour surprenant ! Tu travailles dans quel domaine ?
— Oh, rien de fou. Je suis agent de sécurité.
— Il n'y a pas de sot métier, ça ne doit pas être facile tous les jours. Tu travailles dans un musée ou dans quelque chose du genre ?
Owen sourit, jamais quelqu'un ne s'était intéressé à son métier, que lui-même prenait pour un simple gagne-pain.
— Non, pas exactement. Je travaille pour une société privée à Greenwich, surtout dans des événements ou des grandes entreprises. Ce n'est pas passionnant, mais c'est stable.
— C'est déjà beaucoup, dit-elle doucement. La stabilité, c'est important.
Il y avait dans sa voix une nuance qu'Owen ne pouvait pas ignorer. Quelque chose qui parlait de vécu, de responsabilité. Il réalisa qu'elle avait mentionné vivre à Chester, mais il n'en savait pas vraiment plus sur elle. Et pourtant, il sentait qu'il y avait beaucoup à découvrir.
— Et toi, que fais-tu à Chester ? demanda Owen, curieux.
Kathleen prit une gorgée de son verre qu'elle venait de recevoir avant de répondre.
— Je suis professeure des écoles. J'enseigne aux enfants de six à huit ans. C'est un métier qui demande beaucoup, mais qui est aussi extrêmement gratifiant. J'adore voir les enfants évoluer, apprendre, et grandir.
— Tu dois avoir beaucoup de patience, commenta Owen, impressionné.
— On apprend à en avoir, dit-elle en riant légèrement. Et puis ma fille m'aide beaucoup à ce niveau-là.
Owen cligna des yeux, surpris.
— Ta fille ?
Kathleen acquiesça, un sourire doux sur les lèvres.
— Elle a sept ans. Elle s'appelle Zoey !
Il ne put cacher sa surprise mêlée à une sorte de déception. Il paraissait pourtant évident qu'une jeune femme aussi charmante, gentille, souriante et charismatique avait déjà trouvé chaussure à son pied.
— Vous formez très certainement une superbe famille tous les trois.
La jeune femme s'étouffa presque avec une gorgée de son cocktail.
— Oh, non je- nous ne sommes que toutes les deux avec ma fille
Owen tomba des nues en entendant cette information.
— Tu es mère célibataire ?
Elle hocha la tête, mais sans tristesse ni amertume.
— Oui, ce n'est pas facile tous les jours, mais Zoey est vraiment une petite fille incroyable, sans vouloir me vanter.
Il y eut un moment de silence, non pas gênant, mais rempli d'une compréhension mutuelle. Owen admirait déjà cette femme pour sa force et sa détermination. Il ne pouvait qu'imaginer à quel point cela devait être difficile de jongler entre un travail prenant et l'éducation d'un enfant, seule. Mais Kathleen ne semblait pas s'en plaindre. Elle était simplement honnête, ouverte, et cela le touchait.
— Je n'en doute pas, tu as toute mon admiration ! finit-il par dire sincèrement.
Kathleen sourit, un peu gênée par le compliment.
— Merci, mais je fais ce que beaucoup de gens font. Je m'adapte et j'apprends.
— Ça n'enlève rien à ce que tu accomplis, rétorqua-t-il doucement.
Ils échangèrent un autre regard, et cette fois, Owen sentit une connexion se former, quelque chose de subtil mais puissant, une compréhension silencieuse. Il n'avait pas prévu cela en venant ce soir. Il s'attendait à une soirée entre amis, un peu de rire, beaucoup de bière, et une gueule de bois le lendemain. Mais il n'aurait jamais imaginé rencontrer quelqu'un comme Kathleen, quelqu'un qui, en l'espace de quelques minutes, avait réussi à piquer son intérêt d'une manière qu'il n'avait pas connue depuis longtemps.
La musique dans le bar changea, devenant plus douce, plus mélodieuse, et plusieurs couples se dirigèrent vers la piste de danse improvisée. Owen regarda Kathleen, une idée traversant son esprit.
— Ça te dirait de danser ? demanda-t-il, se surprenant même un peu lui-même.
Kathleen sembla hésiter une seconde, jetant un regard vers son groupe de copines, puis elle acquiesça, un sourire éclatant sur le visage.
— Pourquoi pas !
Accoudés au bar, ils se redressèrent ensemble, laissant derrière eux leurs groupes respectifs, et se dirigèrent vers la piste. Owen sentit une légère nervosité l'envahir, mais il la repoussa rapidement. Ce n'était qu'une danse, rien de plus. Mais il savait que cela signifiait bien plus que cela pour lui. C'était une chance de prolonger ce moment, d'apprendre encore un peu plus à connaître cette femme fascinante.
La musique était douce, une balade moderne qui incitait à se rapprocher. Ils commencèrent à danser, un peu maladroitement au début, mais rapidement, ils trouvèrent leur rythme. Kathleen était légère dans ses bras, et il fut surpris de se sentir si à l'aise, si naturel avec elle malgré les regards insistants de leurs amis. Heureusement, Tom et Laura s'étaient joints à la piste de danse pour détourner, avec un léger succès, l'attention des invités.
— Tu es bon danseur, remarqua-t-elle en souriant.
Owen haussa les épaules modestement.
— Je ne fais que te suivre.
Elle rit doucement, et le son de son rire réchauffa son cœur. Ils continuèrent à danser, leurs mouvements devenant de plus en plus synchronisés. Owen se surprit à apprécier chaque instant, à savourer la sensation de la main de Kathleen dans la sienne, la chaleur de son corps proche du sien, et la simplicité de cet échange. Tout cela en remerciant silencieusement sa grande sœur de l'avoir fait plus d'une fois virevolter dans le salon de leur maison d'enfance.
Alors qu'ils tournaient doucement sur la piste, Owen se laissa emporter par la musique, mais aussi par la présence de Kathleen. Il n'y avait pas d'inquiétude, pas de précipitation. Juste le plaisir de partager un moment unique avec quelqu'un qui, il en était de plus en plus sûr, avait déjà pris une place particulière dans son esprit.
Lorsque la chanson se termina, ils restèrent immobiles un moment, leurs regards toujours connectés, comme s'ils hésitaient à rompre le charme. Finalement, Kathleen recula légèrement, son sourire toujours présent, mais une lueur de réflexion dans ses yeux.
— C'était très agréable, dit-elle simplement.
— Oui, ça l'était, répondit Owen, sa voix plus grave qu'il ne l'avait voulu.
Tel un gentleman, il lui embrassa le dos de la main avant de la relâcher complètement. L'atmosphère avait changé. Ce qui n'était au départ qu'une rencontre fortuite avait évolué en quelque chose de plus significatif, de plus profond. Et bien que ni l'un ni l'autre ne l'ait exprimé à voix haute, il était clair que cette soirée, ce simple enterrement de vie de garçon et de jeune fille, avait pris une tournure inattendue.
De retour à leurs tables, ils se retrouvèrent une nouvelle fois entourés de leurs amis respectifs, mais Owen avait maintenant une seule personne en tête. Il ne savait pas où cela les mènerait, ni même s'ils se reverraient après ce soir, mais une chose était certaine : Kathleen avait marqué sa soirée d'une empreinte indélébile.
Alors qu'ils discutaient encore un peu, échangeant des anecdotes et des rires, Owen se surprit à imaginer ce que serait sa vie s'il avait la chance de la revoir, de continuer cette conversation, d'explorer ce qu'ils avaient commencé à effleurer ce soir. C'était une pensée imprévue, presque insensée, mais il ne pouvait s'empêcher de l'accueillir avec un sourire.
Il ne savait pas ce que l'avenir leur réservait, mais il savait que, ce soir, il avait rencontré quelqu'un de spécial. Et cela, il ne l'oublierait jamais.
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