Chapitre 6
Un cauchemar. Ça ne pouvait être qu'un cauchemar, Owen allait se réveiller. Mais le cri de douleur tout juste sorti de la bouche de Kate le ramena à la réalité.
— KATHLEEN ! hurla Owen en freinant une nouvelle fois brusquement.
La voiture s'arrêta en plein milieu de la route, mais tout ce qu'il voyait, c'était Kathleen, tremblante, portant une main à sa nuque, là où l'implant venait de la frapper. Elle haleta, les yeux grands ouverts de terreur, sentant l'implant commencer à se frayer un chemin sous sa peau, vers sa colonne vertébrale.
— Owen... Sa voix était faible, désespérée.
Lily, dans un état de choc, ne bougeait plus à l'arrière, ses yeux rivés sur sa mère. Elle semblait pétrifiée, incapable de faire un geste, de dire un mot. Owen sortit de la voiture et en fit le tour d'un bon par-dessus le capot. Il ouvrit la portière côté passager et observa la nuque de Kate. Le métal commençait déjà à se répandre.
— Non, non, non...
Owen essaya de retirer le métal, en vain. Kate se mit à trembler fortement, ses yeux viraient lentement d'une expression de panique à un vide effrayant. L'implant agissait trop rapidement. Il la tenait, impuissant, la regardant se battre contre cette chose qui prenait possession de son corps.
— Kathleen ! Reste avec moi ! Je t'en prie !
Mais elle ne répondait plus. Ses mouvements devinrent mécaniques, saccadés, ses yeux se vidaient peu à peu de toute émotion humaine. L'implant faisait son œuvre. Elle tenta de parler, mais sa bouche s'ouvrait et se fermait sans émettre de son. Puis, elle s'arrêta complètement, son corps se raidissant comme un automate. Son bras gauche était désormais fait de métal, ainsi que son cou et bientôt, une partie de son visage.
Owen recula, le souffle coupé. Le choc envahissait son esprit, une douleur insoutenable montait dans sa poitrine. Kathleen n'était plus là.
A l'arrière, Zoey sanglotait silencieusement, tétanisée, son visage blême, tremblant de la tête aux pieds.
— Maman ? Souffla-t-elle avant de réaliser. MAMAN !!
Elle se détacha et se faufila à l'avant du véhicule.
— Maman, c'est moi ! C'est Zoey ! Maman, s'il te plaît parle-moi !
Rien.
Owen, la mâchoire serrée, sentit sa rage et sa peur se mélanger dans un flot confus d'émotions. Il savait qu'il ne pouvait pas rester là. S'il restait trop longtemps, les cyborgs les repéreraient, et ils seraient tous les trois condamnés. Mais il ne pouvait pas non plus la laisser ainsi.
Une dernière fois, il regarda Kathleen, comme s'il espérait voir une étincelle d'humanité réapparaître dans ses yeux.
Toujours rien.
Elle était perdue. Immobile, sur le siège de la voiture, se transformant encore un peu.
— Kate, chérie...
Il posa une main sur la partie de son visage encore indemne, ses yeux se couvrant d'un voile humide. Il ne pouvait y croire. Pas elle.
— Owen, fais quelque chose ! sanglotait Zoey.
En une fraction de seconde, celle qui n'était plus que cyborg attrapa violemment le poignet de Owen. Tout en descendant de la voiture, de manière mécanique, elle le poussa, le serrant de plus en plus fort. Impressionné par sa force, il ne sut quoi faire.
— Kathleen, souffla-t-il de douleur, qu'est-ce que tu fais ? Lâche-moi ! Kate !
Elle le propulsa au sol tout en le lâchant, avant de se tourner vers Zoey qui criait de peur. Le regard qu'elle lança à sa fille, aussi vide que glacial, la terrorisa une nouvelle fois.
— Maman, c'est moi !
Owen se releva et, conscient que celle qui se trouvait devant lui n'était plus la femme qu'il aimait, lui tira le bras encore humain pour la faire basculer à son tour. Il profita de ces très courtes secondes pour sauter dans la voiture, fermer la porte et demanda à Zoey de mettre le contact pour déguerpir au plus vite.
— QUOI ?
— ZOEY FONCE !!
La jeune fille s'exécuta sans vraiment savoir ce qu'elle faisait, clairement guidé par son instinct et les deux ou trois tours de parking qu'elle avait pu ces derniers mois par amusement. Owen la guida sur quelques mètres avant qu'elle ne freine, dans une panique totale.
— Mais t'es complètement dingue !! Il est hors de question que je laisse ma mère là-bas !
Sans qu'Owen ne puisse avoir le temps de réagir, Zoey sortit de la voiture pour revenir sur ses pas et retrouver Kathleen. Owen se précipita pour la rattraper.
— Zoey, non !
Dans la cohue qu'étaient les rues, il finit par réussir à lui attraper le bras, mais elle ne se laissa pas faire, bien décider à rejoindre sa maman, robot ou non.
— Zoey, c'est trop dangereux...
— Dangereux ? On parle de ma mère !! Tu dis l'aimer et tu l'abandonnes ?
— Elle n'est plus ta mère, Zoey, elle... elle...
Une larme coula le long de sa joue, tandis que Zoey séchait celles qui coulaient déjà depuis de longues minutes. Les alarmes se mirent à sonner de plus belle, et la panique autour d'eux ne faisait qu'empirer. Il pouvait entendre au loin des tirs identiques à celui que Kate avait reçu ainsi que des cris de personnes effrayaient par les événements.
— Zoey, je t'en prie, on ne peut pas rester là.
— Je ne l'abandonnerai pas, répéta-t-elle.
— Je ne veux pas l'abandonner non plus. On la retrouvera plus tard, je te le promets, finit-il par murmurer
Zoey se défit de son emprise et reprit sa marche. Owen, après avoir été bousculé, la rattrapa encore.
— Zoey, je ne te perdrais pas toi aussi. S'il te plaît, fais moi confiance. Lança-t-il d'une voix brisée par l'émotion. On la retrouvera, on la sauvera. D'accord ?
Les épaules de Zoey s'affaissèrent, ses yeux fixés dans ceux d'Owen qui reflétait, pour une fois, la même émotion.
— Owen... C'est ma mère, je n'ai plus qu'elle et elle est...
Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'elle s'effondra de tristesse et de douleur. L'archer se baissa instantanément vers elle, posant une main qu'il espérait réconfortante, sur son dos.
— Je ne veux pas l'abandonner, pleura Zoey.
La mort dans l'âme, il porta doucement Zoey, sachant qu'elle serait incapable de se relever.
— Je te le promets... Quand tout ça sera fini, on la retrouvera.
Mais ces mots étaient aussi pour lui, une manière de supporter l'insoutenable douleur de voir l'amour de sa vie se transformer sous ses yeux et disparaître dans un avenir incertain. Il l'installa à l'arrière de la voiture et se mit ensuite au volant pour rentrer chez eux, se mettre à l'abri, en espérant ne pas croiser d'autre cyborg sur la route.
Owen et Zoey Lily rentrèrent chez eux en silence. La maison, qui avait toujours été un refuge de calme et de confort, semblait soudain terriblement vide, comme si elle avait perdu tout son sens sans Kathleen. Chaque pièce respirait encore sa présence : le doux parfum de ses fleurs préférées, les livres d'école ouverts sur la table de la cuisine, les vestiges d'une routine paisible qui paraissait désormais appartenir à une autre vie.
Dès qu'ils franchirent le seuil, Zoey monta les escaliers en courant, les larmes aux yeux, sans dire un mot. Owen la laissa faire. Il savait qu'elle avait besoin d'être seule, mais il avait l'impression de l'abandonner aussi. Il se sentait impuissant, incapable de la consoler, incapable de trouver les mots pour apaiser sa propre douleur. La porte de sa chambre claqua, puis le silence revint, encore plus pesant. Owen resta figé dans le couloir, ses mains tremblaient légèrement, le regard vide, incapable de bouger. Ses pensées étaient un tourbillon de colère, de tristesse et d'incrédulité. Kathleen... Comment tout avait pu basculer si vite ? Elle n'était plus là, elle avait été prise sous ses yeux, et il n'avait rien pu faire. Absolument rien.
Il marcha mécaniquement jusqu'au canapé et s'effondra, incapable de tenir debout plus longtemps. Sa gorge était sèche, et chaque battement de son cœur résonnait douloureusement dans sa poitrine. La réalité de ce qu'ils venaient de vivre, la perte de Kathleen, le chaos, l'effondrement de leur vie en l'espace de quelques instants, tout cela commençait à le submerger.
Soudain, son téléphone vibra dans sa poche, le faisant sursauter. Il le sortit machinalement, ses gestes lents et mécaniques. C'était Paloma, sa grande sœur.
— Paloma..., murmura-t-il en décrochant, sa voix rauque d'émotion.
— Owen ! Mon Dieu, je suis tellement soulagée ! La voix de sa sœur, d'ordinaire calme et rassurante, était tremblante. Ça fait des heures qu'on essaie de te joindre ! Papa et maman n'arrivent pas à avoir de nouvelles de toi, ils sont morts d'inquiétude en France. Qu'est-ce qu'il se passe à Londres ? Comment tu vas ? Les infos sont confuses ici, et...
Owen ferma les yeux, les larmes roulant enfin sur ses joues. Il s'efforça de parler, mais aucun son ne sortit. Il serra le téléphone contre son oreille, cherchant une ancre, un point de repère dans cette tempête émotionnelle.
— Owen, tu es là ? La voix de Paloma devint plus inquiète, plus pressante.
Il essaya de reprendre son souffle, son cœur battant à tout rompre, mais les mots restaient coincés dans sa gorge. Après un instant qui parut une éternité, il réussit à balbutier, la voix brisée par l'émotion.
— Paloma... Kathleen est... elle est... Il inspira profondément, les larmes coulant librement maintenant. Elle a reçu un implant. Un de ces... ces trucs.
Le silence qui suivit au bout de la ligne était assourdissant. Paloma ne répondit pas tout de suite, mais Owen pouvait sentir son choc à travers le téléphone.
— Oh non, non... Owen... Je vais me réveiller, c'est un cauchemar... Murmura-t-elle, sa voix pleine de tristesse et de sympathie.
Owen passa une main tremblante dans ses cheveux, essayant de reprendre ses esprits.
— Je n'ai pas réussi à la sauver... Sa voix se brisa à nouveau, et il fut incapable de continuer.
— Owen, écoute-moi. Tu n'es pas seul, je suis là, nous sommes là ! Et Zoey- Oh merde... Zoey... Comment elle-
— Je ne sais plus quoi faire, Paloma, la coupa-t-il, la voix étranglée par le chagrin. Je... je l'ai perdue. Sous mes yeux, sous les yeux de Zoey... et je n'ai rien pu faire...
— Ne dis pas ça, répliqua doucement la grande sœur. Tu as fait ce que tu pouvais. Maintenant, il faut penser à Zoey et à ta propre sécurité. Tu es fort, Owen. Vous pouvez surmonter ça tous les deux.
Owen renifla, essayant de calmer ses sanglots, mais il se sentait vide, comme si le sol s'était dérobé sous lui. Il n'était pas sûr d'être à la hauteur, pas après tout ce qui venait de se passer. Kathleen avait été son pilier, et maintenant qu'elle était partie, il se sentait complètement perdu.
— Je... je vais voir... comment faire, finit-il par dire d'une voix basse, brisée.
— Prends ton temps, mais ne reste pas à Londres, c'est trop dangereux. Trouve une solution, et dès que tu peux, rejoins-moi. Il y a de la place ici, et on pourra vous protéger. Je t'aime, Owen. Tiens bon, pour toi, pour Zoey et pour Kathleen.
Owen hocha la tête, même si Paloma ne pouvait pas le voir. Il voulait lui dire qu'il l'aimait aussi, qu'il était reconnaissant pour ses paroles, mais il n'en trouvait pas la force. La conversation prit fin, et Owen resta assis là, le téléphone toujours contre son oreille, se sentant plus perdu que jamais.
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