Chapitre 7
Owen resta des heures assis dans le salon, les coudes posés sur ses genoux, le regard fixé dans le vide. Tout tournait dans sa tête, comme une roue impossible à arrêter. Devait-il rester ici à Londres, au milieu du chaos, à attendre l’improbable ? Retrouver Kathleen, même sans savoir si elle était encore vivante, bien que transformée ? Ou fuir en Écosse, chez Paloma, avec Zoey, loin du danger immédiat ?
L’idée de partir semblait être la plus raisonnable, il le savait. A Edinbourg, la maison de Paloma serait un refuge sûr, une garantie de survie. Mais le problème n’était plus aussi simple. Le danger était déjà là, partout. Fuir ne garantissait rien. Et Owen savait qu’il ne pourrait jamais vivre avec lui-même s’il quittait Londres sans avoir fait tout son possible pour chercher Kathleen.
Après de longues minutes d’introspection, il changea d’approche. Peut-être que penser à échapper au problème n’était pas la solution. Et s’il prenait les devants ? Il n’avait aucun moyen de savoir où Kathleen se trouvait, ni de combien de temps ils disposaient avant une nouvelle attaque massive des cyborgs. Mais une chose était claire : il devait se préparer. Pour protéger Zoey, pour se défendre, et pour avoir une chance de survivre à ce qui allait venir.
Son objectif immédiat : s’armer. Il ne pouvait rien faire tant qu’il était vulnérable. Le club de tir à l’arc était l’endroit idéal pour se fournir. Son arc et ses flèches, soigneusement rangés là-bas, seraient des alliés précieux. Owen se leva pour aller à l’étage, trouver Zoey. Il monta doucement les marches et toqua à la porte, sans réponse. Entrouverte, il la poussa légèrement et vit Zoey dans son lit, endormie après des heures de tension, ses écouteurs encore dans les oreilles et la couverture à moitié tirée sur elle. Il s’agenouilla brièvement à ses côtés, une tendresse douloureuse nouant sa poitrine. Sa respiration était calme et régulière, il caressa doucement ses cheveux, lui promettant intérieurement de tout faire pour les sauver.
Il ne voulait pas se rendre au club sans elle mais la réveiller n’était pas une option. Il descendit silencieusement les escaliers, attrapa sa veste, et sortit dans l’air frais de fin de journée. Il marcha rapidement jusqu’à la maison voisine et frappa doucement à la porte. Après quelques secondes, la lumière du couloir s’alluma, et la porte s’entrouvrit. Une femme aux cheveux courts et au regard curieux apparut. C’était Amanda, la voisine, qu’Owen connaissait bien. Elle avait toujours été serviable, une amie de confiance. En voyant son visage inquiet, elle fronça légèrement les sourcils.
— Owen ? Tout va bien ? demanda-t-elle doucement.
— J’ai besoin d’un service, répondit-il à voix basse, jetant un coup d’œil nerveux autour de lui. Zoey dort à la maison. Je dois m’absenter une heure. Tu peux rester avec elle ? Juste pour veiller qu’elle ne se réveille pas seule.
Amanda scruta son visage, comprenant que quelque chose de grave se tramait, mais elle ne posa pas de questions. Elle hocha simplement la tête.
— Bien sûr. J’arrive tout de suite.
Quelques instants plus tard, Amanda était prête et suivit Owen jusqu’à sa maison. Elle lui lança un dernier regard avant d’entrer et refermer la porte derrière elle. Owen lui murmura un merci avant de tourner les talons jusque la voiture.
La route jusqu’au club de tir à l’arc était étrangement calme. La ville, semblait avoir été figée dans une torpeur inquiétante. Il dût contourner quelques voitures sans conducteur laissées en plein milieu de la route et croisa quelques rares passants se pressaient sur les trottoirs, l’air anxieux. Son regard scrutait le moindre mouvement, cherchant des signes de danger ou, quelque part dans la pénombre, une trace de Kathleen.
Mais il ne trouva rien. Juste un silence pesant et un paysage de catastrophe. Ce n’est que quelques minutes plus tard qu’il tomba sur un petit groupe de cyborgs errants. Ils étaient immobiles, plantés au milieu du trottoir comme des statues abandonnées. Leur visage a moitié couvert de métal témoignaient de l’implant qui les contrôlait. Mais ils ne semblaient pas hostiles. Inoffensifs, du moins pour le moment. Owen se crispa instinctivement, et ralentit son allure comme si cela le rendrait invisible, mais les cyborgs ne bougèrent pas. Ils restaient là, leurs têtes inclinées légèrement vers le bas, comme des marionnettes sans maître.
Il les observa un instant, espérant contre toute logique y reconnaître le visage de Kathleen. Elle était quelque part dans cette ville, il en était persuadé. Mais pas ici. Pas parmi eux.
Quand il arriva enfin au club de tir à l’arc, il se sentit envahi par un étrange mélange de nostalgie et de soulagement. Ce lieu, avec son odeur familière de bois ciré et de cuir usé, était une oasis de stabilité dans un monde qui semblait s’effondrer. Owen déverrouilla la porte avec sa clé, fit glisser la serrure en silence, et entra dans la salle principale. L’adrénaline battait dans ses tempes, mais ses gestes restaient précis et efficaces. Pas de temps à perdre.
Il fila directement vers la réserve, ouvrit l’armoire métallique en grand et saisit un arc qu’il vérifia rapidement d’un coup d’œil : souple, précis, prêt à l’emploi. Ensuite, il attrapa autant de flèches que ses carquois pouvaient contenir. Il chargea quatre carquois complets, sangla les deux premiers autour de sa ceinture et enfila les deux autres sur son dos.
Il ressortit rapidement de la réserve et se dirigea dans son bureau pour récupérer son arc personnel, rangé sur son présentoir. Cet arc représentait tout pour lui, témoin de ses années de pratique, de ses espoirs brisés, et aujourd’hui, de son besoin de survie. Il le saisit délicatement, vérifia une dernière fois la corde avant de l’empoigner fermement.
C’est alors que ses yeux tombèrent sur la photo de Kathleen posée sur son bureau. Elle était là, souriante, capturée dans un moment de bonheur qui semblait maintenant appartenir à une autre vie. Owen sentit une bouffée de tristesse l’envahir. Il espérait tellement la retrouver au détour d’une rue, vivante et débarrassé de son implant. Chaque instant passé sans elle ressemblait à une agonie silencieuse. Il approcha la main de la photo, caressant du bout des doigts le bord du cadre.
— Je vais te retrouver, murmura-t-il, la voix lourde d’émotion. Je te le promets, Kathleen.
Il ferma brièvement les yeux pour retenir une larme, mais il n’avait pas le luxe de s’apitoyer sur son sort. Zoey avait besoin de lui. Il se tourna vers la sortie, prêt à retourner chez lui. Mais alors qu’il atteignait la porte du club, un bruit léger résonna : la porte venait de s’ouvrir.
Owen se figea. En un éclair, son instinct prit le dessus. D’un geste fluide et rapide comme l’éclair, il dégaina une flèche de son carquois et la plaça sur la corde de son arc. En un battement de cils, il était prêt à tirer sur l’intrus. Sa respiration était contrôlée, son regard fixé sur l’ombre qui se découpait dans l’encadrement de la porte.
— Ne bouge pas ! lança-t-il, sa voix dure et tranchante.
La silhouette s’immobilisa, et Owen plissa les yeux. C’était une adolescente. Pas une cyborg. Harper.
— Owen ? Trembla une petite voix féminine.
— Harper ? souffla Owen, relâchant légèrement la tension de son arc, mais sans baisser complètement son arme.
La jeune fille leva immédiatement les mains en signe de reddition. Elle semblait nerveuse, son regard passant rapidement de l’arc pointé sur elle aux yeux perçants d’Owen.
— Je… je suis désolée, balbutia-t-elle, la voix tremblante. Je voulais juste… récupérer quelques flèches. Je pensais que tu ne serais pas là, je…
Owen soupira, abaissant enfin son arc. L’adrénaline retombait, mais son cœur battait toujours à un rythme effréné. Il passa une main sur son visage, soulagé qu’il ne se soit agi que d’elle.
— Tu voulais me voler ? demanda-t-il. Et toute seule ?
Harper hocha la tête, honteuse. Son arc personnel pendait sur son épaule, et elle tenait déjà quelques flèches supplémentaires dans la main.
— C’était une mauvaise idée, je sais. Mais je voulais juste être prête… au cas où.
Owen la regarda un instant, son expression adoucie. Il ne pouvait pas lui en vouloir. En réalité, il était plutôt fier d’elle. Elle avait pris l’initiative, tout comme il le faisait lui-même.
— Tu as bien fait de venir, dit-il finalement. Tu vas bien ?
— Oui… Oui je crois…
— Prends ce dont tu as besoin, mais s’il te plait, fais très attention à toi. Ne prends plus de risque à sortir seule comme ça. Reste à l’abri avec tes parents, d’accord ? Et si jamais tu as le moindre problème, tu m’appelles immédiatement.
Harper lui offrit un faible sourire, visiblement soulagée qu’il ne soit pas en colère.
— Promis, répondit-elle.
Contre toute attente, elle se jeta dans les bras de son coach. Etreinte qu’il lui rendit, soulagé de la savoir saine et sauve.
— Allez, va chercher ce dont tu as besoin. Je vais te redéposer chez toi.
—Merci, Owen.
Ils échangèrent un bref regard de compréhension avant qu’elle ne prenne quelques flèches supplémentaires et ressortit pour monter dans la voiture de l’archer. Owen referma le club et ne perdit pas une minute avant de raccompagner Harper. Le monde avait changé, et même ses élèves devaient désormais penser à leur survie.
Quand il rentra enfin chez lui, le soulagement fut de courte durée. À peine eut-il franchi la porte que Zoey surgit dans le salon, le regard brillant de rage et de panique.
— Où est-ce que tu étais ?! hurla-t-elle, sa voix brisée par l’émotion.
Owen resta figé, incapable de réagir immédiatement. La colère de Zoey le frappait comme une vague violente, mais derrière cette colère, il pouvait voir autre chose : la peur.
Amanda, la voisine, se tenait maladroitement dans l’encadrement de la porte, visiblement dépassée par la situation.
— Elle s’est réveillée peu de temps après ton départ, murmura Amanda, un peu embarrassée. Je suis désolée, je n’ai pas réussi à la calmer.
Owen hocha doucement la tête, un sourire triste sur les lèvres.
— Merci beaucoup, Amanda, dit-il avec sincérité. Je te suis infiniment reconnaissant.
La voisine lui offrit un sourire compréhensif et quitta la maison en silence, le laissant seul avec Zoey. Un silence lourd s’abattit dans la pièce, brisé seulement par le souffle agité de la jeune fille.
— Zoey… commença Owen, d’une voix douce mais ferme. Je suis juste passé au club, je ne voulais pas te -
— Tu m’as laissée toute seule ! lança-t-elle, les yeux embués de larmes. Comme tout le monde…
Owen sentit son cœur se serrer. Elle n’était pas vraiment en colère, juste très effrayée. Elle craignait d’être abandonnée encore une fois après avoir déjà perdu sa mère.
— Je sais que tu as eu peur, murmura-t-il, s’approchant doucement d’elle. Mais je ne partirai jamais sans toi. Jamais.
Zoey renifla, serrant les poings comme pour contenir sa rage. Elle semblait déchirée entre son désir de lui hurler dessus et son besoin d’être rassurée.
— J’ai juste eu besoin d’aller chercher de quoi nous défendre, expliqua Owen. Je voulais que tu sois en sécurité. Tu peux me croire ?
Elle resta silencieuse, son regard oscillant entre lui et son arc. Il profita de ce silence pour se décharger du matériel qu’il venait de récupérer en le posant sur la table de la salle à manger. Zoey resta planté là, les bras croisés, son visage fermé et son regard désormais fuyant. Owen devait absolument trouver un moyen de gagner sa confiance, où ils ne s’en sortiraient jamais.
— Viens t’asseoir, on doit discuter.
— J’ai pas envie. Sa réponse fut sèche, mais son ton trahissait une certaine lassitude.
— OK. Owen haussa les épaules sans insister, et tira une chaise pour s’y asseoir. Reste debout si tu veux, mais écoute-moi.
Zoey ne répondit pas. Elle se contenta de se tenir là, le regard rivé au sol, les bras toujours fermement croisés, refusant obstinément de le rejoindre. Mais elle ne partit pas non plus. C’était déjà un début.
Owen soupira doucement, son corps fatigué mais sa tête en alerte. Il savait que leur situation demandait une décision rapide. Fuir ou rester, agir ou attendre, mais tout faire ensemble.
— On a plusieurs options, commença-t-il calmement. On pourrait fuir. Partir à Édimbourg chez ta tante Paloma. C’est sûr là-bas, au moins pour l’instant. Ou...
Il fit une pause, l’observant du coin de l’œil. Zoey, immobile, attendait.
— On reste ici à Londres.
Il laissa cette dernière option en suspens, lui offrant le temps d’assimiler. Il avait une bonne idée de la réponse qu’elle donnerait, mais il voulait l’entendre de sa bouche. Parce que cela devait être son choix aussi. Après quelques secondes de silence, elle leva enfin les yeux vers lui, son expression marquée par une détermination farouche.
— Je veux rester. Sa voix était claire, sans hésitation. Je veux retrouver maman.
Owen hocha doucement la tête. Exactement ce à quoi il s’attendait.
— OK. Il se pencha légèrement en avant, posant ses coudes sur la table. Je devais m’assurer que tu étais d’accord. Maintenant que c’est décidé... il va falloir se préparer.
Zoey fronça les sourcils, incertaine.
— Se préparer à quoi ?
— À nous défendre. Il se leva lentement, prit l’arc du club et un carquois plein de flèches. Si on reste ici, on doit pouvoir se protéger. Ça ne sera pas facile, Zoey. Tu as vu ce qu’il se passe en ville… Ces choses n’ont peur de rien.
Il lui tendit l’arc, mais elle recula d’un pas, le regard empli de défi.
— Non ! Je veux pas faire ça.
Owen poussa un long soupir. Il avait espéré qu’elle réagirait mieux, mais il savait que ce ne serait pas aussi simple. Apprendre à utiliser un arc allait être nécessaire, qu’elle le veuille ou non.
— Zoey, écoute-moi. Ce n’est pas une question de choix.
— Mais j’en veux pas de ton arc ! Elle leva la voix, son visage rougi par la frustration. J’ai pas besoin de ça !
— Et tu vas te défendre avec quoi ? Un ballon de basket ? répondit Owen fermement, conscient de la dureté de ses paroles. On doit survivre. Et moi, je dois m’assurer que tu sois capable de te défendre.
Zoey secoua la tête avec véhémence.
— Je veux pas faire ça !
— Zoey. Owen s’avança d’un pas, plantant son regard dans le sien. Il n’y a pas d’alternative. Tu es en sécurité avec moi, mais tu dois apprendre à l’être aussi par toi-même. Je t’apprendrai.
Zoey serra les dents, la mâchoire crispée par la colère et le refus, mais elle finit par attraper l’arc avec une mauvaise grâce évidente. Owen savait que ce ne serait pas facile, mais ils devaient passer par là.
Ils sortirent dans le jardin. Le vent léger agitait doucement les branches des arbres, comme une accalmie trompeuse avant la tempête. Owen se plaça devant la cible qu’il avait installé, dès l’emménagement, sur un arbre.
— D’accord. Prends ça comme un jeu. Il se plaça à côté d’elle et lui montra comment positionner correctement ses pieds. Tiens l’arc fermement ici. Tire la corde jusqu’à ce que tes doigts soient sous ton menton. Respire.
Zoey fronça les sourcils mais imita ses gestes avec une précision approximative. Elle relâcha la corde un peu trop tôt, et la flèche partit à côté de la cible, s’enfonçant mollement dans le sol.
— Pas mal pour une première fois, encouragea Owen avec un sourire. Essaye encore.
— C’est nul. Zoey soupira bruyamment, la colère remontant déjà.
Elle saisit une deuxième flèche, la plaça de travers, et la corde vrilla sous ses doigts au moment du tir. Encore raté.
— C’est normal, ça prend du temps…
— J’y arrive pas ! Zoey balança l’arc au sol, hors d’elle. C’est débile !
Owen sentit l’impatience monter en lui. Il savait qu’elle était frustrée, qu’elle avait peur au fond d’elle. Mais il ne pouvait pas la laisser abandonner.
— Tu n’as pas le choix, Zoey, dit-il, la voix plus dure qu’il ne l’aurait voulu. On n’a pas le luxe de baisser les bras. Tu vas apprendre, et tu vas réussir.
— Pourquoi ça t’importe autant, hein ?! cria-t-elle, les yeux pleins de larmes. T’es pas mon père, je te rappelle !
Il détestait cette phrase qui le frappa une nouvelle fois en plein cœur, mais Owen resta immobile. Il ne pouvait pas flancher. Il savait que ce n’était pas de la haine qu’elle exprimait, mais une peur immense.
— J’ai bien compris oui, dit-il doucement, mais fermement. Mais je suis la personne qui est là pour toi aujourd’hui. Et je ne laisserai pas tomber.
Zoey le regarda, les yeux rouges, encore pleine de colère. Elle respirait fort, comme si elle voulait lui jeter tout ce qu’elle avait sur le cœur. Mais au lieu de ça, elle resta silencieuse.
— On recommence, déclara Owen. Prends l’arc.
Elle le regarda un long moment, ses mains tremblantes. Puis, avec un soupir exaspéré, elle se pencha et ramassa l’arc. Owen lui offrit un sourire sincère malgré tout. Elle n’avait pas abandonné. Pas encore. Et tant qu’elle était là, prête à essayer, il savait qu’ils auraient une chance de s’en sortir.
— Une dizaine de tir pour ce soir, dit-il. Après ça, on verra pour manger quelque chose.
Zoey hocha la tête, essuyant rapidement ses joues. Elle n’était pas encore prête à lui pardonner, mais elle l’écoutait. C’était un début.
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