Chapitre 8
Les jours suivants furent une épreuve mentale et physique. Owen et Zoey restaient confinés chez eux, le poids du silence pesant sur chaque pièce de la maison. Dehors, la situation empirait. Les cyborgs devenaient de plus en plus nombreux dans les rues, et les gens commençaient à disparaître, emmenés ou transformés sous leurs yeux. Londres devenait une ville fantôme, et Owen savait qu'ils ne pourraient pas rester cachés ici indéfiniment.
Malgré tout, l’objectif était clair : retrouver Kathleen, coûte que coûte. Mais ce n’était qu’une maigre lueur d’espoir dans un océan d’incertitudes. S’entraîner au tir et établir un plan de recherche étaient les seules activités qui leur donnaient un semblant de contrôle. Le reste du temps, un mur invisible s’était érigé entre eux. Ils ne parlaient presque pas, chacun enfermé dans ses pensées, ses peurs, et sa solitude.
Pour Owen, le sommeil devint une illusion. Il passait ses heures de la nuit éveillé, le regard fixé sur le plafond, ou attablé à la cuisine, une tasse de café fumante à la main. C’était son unique carburant, lui permettant de rester alerte malgré la fatigue qui l’érodait peu à peu. Mais malgré la caféine, ses pensées dérivaient souvent vers le pire. Il n’avait aucune idée de l’endroit où Kathleen pouvait être et chaque instant passé sans elle accentuait la sensation d’impuissance.
Quand il n’était pas dans un semi-coma éveillé, Owen scannait fébrilement les chaînes d’informations. Assis devant la télé, il scrutait les moindres détails utiles et guettait le visage de Kate à chaque reportage. Elle ne figurait jamais nulle part. Rien, aucune nouvelle.
Et puis, il y avait son téléphone, qui vibrait constamment. Des amis, des collègues, des membres de la famille qui cherchaient des nouvelles ou proposaient de fuir ensemble. Chaque coup de fil était un rappel brutal de l’ampleur de la catastrophe, mais surtout du fait qu’Owen n’avait aucune réponse à leur donner.
« Non, toujours rien… »
« Non, Kathleen est toujours introuvable. »
« Oui, on va bien pour l’instant. »
Les mêmes phrases, répétées en boucle, encore et encore.
Quant à Zoey, elle s’enfermait dans un mélange de tristesse et de colère, oscillant sans cesse entre l’espoir de retrouver sa mère et la peur qu’elle ne revienne jamais. Elle parlait à peine à Owen, se contentant d’obéir mécaniquement à ses instructions lors des séances de tir. Elle progressait rapidement, mais cela semblait ne lui apporter aucun réconfort. Chaque flèche tirée n’était qu’un exutoire, un moyen de contenir ses émotions sans les exprimer.
Le reste du temps, elle restait vissée à son téléphone, absorbée par les réseaux sociaux. Elle passait des heures à faire défiler les photos et vidéos des victimes ou des témoins de l'attaque, cherchant désespérément un indice. Une silhouette, un regard, un détail quelconque qui lui permettrait de retrouver sa mère. Mais comme à la télévision, Kathleen restait introuvable.
À mesure que les jours passaient, la frustration grandissait en elle, amplifiant son ressentiment envers Owen. Il était là, mais elle se sentait abandonnée. Abandonnée par sa mère, abandonnée par le monde, et quelque part, abandonnée par lui aussi, même s’il faisait de son mieux pour tenir bon.
Ensemble, ils passaient plusieurs heures par jour dans le jardin, l’arc à la main. Owen se montrait patient, bien qu’il sentît le poids du temps qui s’échappait entre leurs doigts. Chaque seconde passée à s’entraîner était une seconde de moins pour chercher Kathleen. Mais Zoey devait être prête. Elle devait apprendre.
— Concentre-toi, Zoey. Prends ton temps. Respire.
— J’ai respiré ! Elle tira la flèche et râla immédiatement en manquant la cible. Merde !
— C’est pas grave. On recommence.
Elle soupirait, fatiguée et frustrée, mais elle recommençait. À chaque flèche, son tir gagnait en précision. La détermination vibrait dans ses gestes, même si elle refusait de l’admettre à voix haute.
Owen voyait bien le combat intérieur qui se jouait en elle. Elle ne voulait pas de cette vie. Elle ne voulait pas avoir à apprendre à se battre, encore moins avec lui. Mais elle tirait, jour après jour, comme si elle cherchait à prouver quelque chose. Peut-être à sa mère, ou peut-être à elle-même.
Un soir, alors qu’Owen finissait sa tasse de café, il sentit le poids du silence s’abattre sur la maison. Zoey était assise dans un coin du salon, le regard rivé sur son téléphone, perdue dans des photos et vidéos qui la blessaient davantage à chaque seconde.
Il déposa doucement sa tasse sur la table et la regarda, le cœur lourd. Il aurait voulu lui dire quelque chose. N’importe quoi. Mais les mots restaient coincés dans sa gorge, comme si le vide entre eux était devenu insurmontable.
Finalement, il brisa le silence.
— On est prêt, Zoey. On va sortir.
L’adolescente se redressa vers son beau-père, une lueur brillante dans le regard.
— Vraiment ?
— Il le faut. On n’a presque plus rien à manger et je ne sais pas… J’ai l’impression qu’elle est là, pas loin.
Zoey hocha la tête, et pour la première fois depuis bien trop longtemps, elle lui sourit.
Le lendemain, le soleil eut à peine le temps de se lever que Owen était déjà prêt. Prêt à quitter la sécurité relative de la maison pour la première fois depuis que le chaos avait envahi la ville. Ils n’avaient plus le choix : le frigo était vide, et chaque minute passée à attendre réduisait leurs chances de retrouver Kathleen. Il fallait agir, avancer, malgré les dangers évidents qui les attendaient dehors.
Il se rendit dans la chambre de Zoey, mais fut surpris de trouver le lit vide. Il l’appela, sans réponse. Il retourna dans la chambre parentale pour récupérer son arc avant de descendre. Il appela Zoey une seconde fois, toujours sans réponse. Les battements de son cœur commencèrent à s’accélérer. Il allait crier son prénom une nouvelle fois, mais il aperçut du mouvement par la fenêtre du jardin. À sa grande surprise, il la découvrit un arc à la main, concentrée, face à la cible, prête à tirer. Il resta un instant immobile, croyant halluciner, tout en l’observant avec une pointe de fierté silencieuse. Depuis leur dernière dispute face à cette cible, il ne savait pas si elle continuerait à s’entraîner, mais elle l’avait fait. Malgré sa peur et sa colère, Zoey avait compris l’importance de se préparer. Il sortit alors la rejoindre, un petit sourire aux lèvres.
— Tu es prête à sortir ? lui demanda-t-il en corrigeant un détail de sa posture.
Zoey baissa l’arc, essuya d’un revers de manche une perle de sueur sur son front, puis hocha la tête sans dire un mot.
Owen ramassa les flèches éparpillées dans le jardin et les remit dans le carquois.
— Tu es là depuis longtemps ?
— Pas de commentaires s’il te plaît.
Owen se surprit à rire, la scène lui paraissant improbable. Le regard de Zoey lui fit comprendre qu’elle partageait le même sentiment et ça lui plaisait. Si le contexte le permettait, il aurait voulu arrêter le temps pour profiter de ce qui semblait être de la complicité.
Zoey reprit son carquois des mains de Owen et ensemble, ils montèrent dans le pick-up, les arcs posés entre eux sur la banquette. Le silence s’installa, mais il n’était plus aussi pesant qu’avant. Un lien commençait à se tisser, fragile, mais réel, renforcer par leur objectif commun.
La ville qu’Owen et Zoey découvrirent en roulant à travers les rues désertes de Londres n’avait plus rien à voir avec celle qu’ils avaient quittée quelques jours plus tôt. Les vitrines brisées, les voitures abandonnées, et les trottoirs jonchés de débris dessinaient un paysage de fin du monde. Certains bâtiments fumaient encore, des traces de violents affrontements visibles à chaque coin de rue. Le chaos régnait partout, une désolation qui semblait s’être infiltrée dans les moindres recoins de la ville.
Mais ce qui inquiétait le plus Owen, c’était la présence des cyborgs. Il en aperçut plusieurs au détour des rues, errant sans but apparent, des silhouettes métalliques maladroites dont les mouvements trahissaient une étrange lenteur. D’autres étaient immobiles, comme en veille, prêts à se réactiver à tout moment.
Grâce à ses heures passaient devant les informations, Owen savait désormais qu’ils affrontaient deux types de machines. Les premiers, les véritables ennemis, étaient à l’origine de l’invasion. Ces créatures, parfaitement fonctionnelles, traquaient les humains pour leur implanter un dispositif qui les transformait en cyborgs à leur tour. Aucun remords, aucune pitié. Elles étaient l’essence même de l’attaque.
Le deuxième type était plus troublant. Il s’agissait des victimes déjà transformées, comme Kathleen. Ces personnes avaient été dépossédées de leur libre-arbitre, dirigées à distance par les cyborgs ennemis. Parfois inoffensives, elles semblaient retrouver brièvement leur humanité, comme si une lueur de conscience flottait encore dans leur regard. Mais cela ne durait jamais. En un instant, ces cyborgs pouvaient redevenir hostiles, obéissant aux ordres comme des marionnettes sans âme.
C’était cette dualité qui terrifiait Owen. Kathleen pouvait être là, quelque part dans les rues de Londres, consciente mais incapable de se libérer de leur emprise. Et si jamais il la croisait… que pourrait-il faire ? Comment la sauver sans se mettre en danger lui et Zoey ?
Alors qu’ils roulaient lentement à travers les rues, Owen se tourna vers Zoey.
— Souviens-toi, lui dit-il d’une voix grave. Si on en croise un, surtout, on ne fait rien de stupide. Ils peuvent être inoffensifs une seconde et devenir violents la suivante.
Zoey acquiesça sans répondre, mais Owen vit à son expression qu’elle cachait une certaine appréhension.
Il gara le pick-up à quelques mètres d’un supermarché à moitié éventré. Des vitrines brisées jonchaient le sol et des caddies renversés bloquaient partiellement l'entrée. L’endroit avait été saccagé lors des premières vagues de panique. Owen et Zoey observèrent les alentours quelques instants avant de descendre du véhicule. Des cyborgs étaient là, mais complètement inactif malgré le bruit de la voiture. Le moment idéal pour agir.
— On doit faire vite, murmura Owen en coupant le moteur. On prend ce qu’on peut et on s’en va. Pas de détours inutiles.
Ils descendirent du véhicule, les arcs à la main, et pénétrèrent lentement dans le supermarché. L'intérieur du magasin ressemblait à un champ de bataille silencieux. La plupart des étagères étaient vides ou renversées, mais ici et là, Owen repéra quelques boîtes de conserve intactes, des bouteilles d'eau, et même des paquets de biscuits abandonnés au fond d’une allée. Il récupéra un panier pour tout y mettre, avec l’aide de Zoey dont les mains tremblaient légèrement. Ils avançaient rapidement et en silence, à l’affût du moindre mouvement. Owen, sur ses gardes, sentait que le danger pouvait surgir à tout moment.
Soudain, au détour d'une allée, Owen et Zoey tombèrent sur un groupe d’humains transformés. Leurs visages, à moitié robot, avaient conservé une expression absente, presque endormie. Ils se tenaient là, debout, immobiles, comme si leur conscience flottait quelque part entre deux mondes, capturée entre l'humanité perdue et la programmation qui les contrôlait.
Owen arrêta Zoey d'un geste ferme de la main.
— Ne les regarde pas dans les yeux, murmura-t-il. Ils pourraient prendre ça pour une menace.
Zoey déglutit, hocha la tête et baissa le regard. Ils continuèrent à avancer lentement, leurs arcs prêts à tirer, mais sans attirer l’attention des créatures. En s’approchant de la sortie, un bruit éclata violemment dans le silence oppressant : le fracas d’une vitre brisée, suivi d’un cri de douleur. Owen et Zoey se figèrent. Les cyborgs jusque-là immobiles redressèrent simultanément la tête, leurs mouvements saccadés devenant soudain synchronisés et menaçants. Leur regard froid se posa sur l’origine du bruit, quelque part à l’autre bout du magasin.
— Oh non... souffla Owen en voyant un homme à terre, sa jambe ensanglantée.
Un cyborg était déjà sur lui, enfonçant un implant métallique dans son bras. L'homme hurlait, se débattant avec l'énergie du désespoir, mais son sort était déjà scellé. Tous les autres cyborgs présents s'éveillèrent, leurs mouvements devenant plus rapides, coordonnés. Ils se dirigeaient vers l’homme, comme attirés par l’odeur du sang et le cri de souffrance.
— On doit faire quelque chose ! murmura Owen, déjà prêt à intervenir.
Il jeta un regard à Zoey, espérant qu'elle comprendrait, mais le visage de la jeune fille pâlit de terreur.
— Non ! Non, on doit partir ! s'écria-t-elle, sa voix tremblante et pressante.
Owen hésita, le cœur battant à tout rompre. Tout en lui criait de sauver cet homme, de ne pas rester impuissant, comme il l’avait été avec Kathleen, face à l'horreur. Mais Zoey agrippa son bras, de toutes ses forces. Ses yeux étaient emplis de peur et de panique.
— Viens !
Elle était déjà au bord de la crise de nerf. Owen le vit clairement. Mettre Zoey encore plus en danger, il ne pouvait pas se le permettre.
— D'accord, on part, finit-il par dire.
Sans attendre, Zoey se retourna et se mit à courir vers la sortie. Owen la suivit de près, les provisions et son arc toujours en main. Ils sprintèrent entre les débris des allées, les cyborgs maintenant focalisés sur eux. Ils bondirent à travers l’entrée brisée, fonçant vers le pick-up. Owen ouvrit la portière d’un geste brusque et poussa Zoey à l’intérieur. Il balança leurs provisions à l’arrière et sauta derrière le volant.
— Attache-toi ! ordonna-t-il, démarrant le moteur dans un vrombissement sourd.
Zoey obéit sans protester cette fois, le souffle court et les mains tremblantes. Owen appuya sur l’accélérateur, et le pick-up s’éloigna en trombe de l’enfer du magasin.
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