Chapitre 15

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  Garé à distance de l’église d’Harlow Hill, où le rendez-vous avait été donné, Owen réfléchissait. Devait-il y aller ? Était-ce une bonne idée ? Pourquoi lui ? Pourquoi ici ? Était-ce bon signe de se retrouver à côté d’une base militaire ? Et pourquoi avait-il réagit de la sorte en entendant son nom ?

La voix de Zoey, désormais calmée, le sortit de ses pensées.

— Tu vas vraiment faire confiance à ce type ?

— Faire confiance est un grand mot. Je vais juste écouter ce qu’il a à me dire.

— Et si c’est un piège ?

— Tu seras là pour me sauver, sourit fièrement Owen.

Zoey fit de même avant de lui donner un coup sur l’épaule.

— Je ne trouve pas ça drôle du tout, dit-elle, trahit par son rictus.

Ils grignotèrent en silence quelques biscuits et morceaux de viande séchée puis, une fois la nuit tombée, ils sortirent discrètement du pick-up.

Le village de Harlow Hill était aussi bloqué que Horsley. Des barricades de fortune, des véhicules militaires, des voitures de civils, des tentes, et toujours la même tension dans l’air.

— On laisse les arcs ici, dit-il en jetant un dernier regard autour d’eux.

— Mauvaise idée, marmonna Zoey.

— Prend une flèche avec toi si ça peut te rassurer, mais les arcs restent là.

Zoey soupira mais obtempéra. Ils dissimulèrent leurs arcs sous une couverture, puis partirent à pied jusque l’édifice. L’église de Harlow Hill était un petit bâtiment en pierre, usé par le temps. À travers les vitraux, une lueur tamisée éclairait l’intérieur. Quelques silhouettes étaient visibles, rassemblées en prière.

Owen poussa doucement la porte. L’odeur de bois ancien et de cire fondue les enveloppa aussitôt. Assis sur un banc à l’écart, un homme en uniforme militaire attendait. Il leva les yeux vers eux et leur fit un signe discret. Owen et Zoey s’avancèrent et prirent place près de lui.

— Sous-lieutenant Carlyle, se présenta-t-il à voix basse.

Owen l’observa un instant. Un homme d’une trentaine d’années, l’air fatigué mais déterminé. Il semblait peser ses mots avant de parler.

— Pourquoi me faire venir ici ?

— J’ai trois questions pour vous, Hollmann. Répondez-moi honnêtement.

Owen hocha lentement la tête.

— Comment s’appelle la jeune fille avec vous ?

— Zoey, répondit-il sans hésitation.

Carlyle acquiesça.

— D’où venez-vous ?

L’archer fronça les sourcils. Il ne comprenait pas l’utilité de ces questions. C’était plutôt à lui de le faire aux vues de la situation.

— De Londres, répondit Zoey à sa place.

— Où exactement ?

— Bromley. Pourquoi cet interrogatoire ?

Il y eut un court silence, puis Carlyle posa la troisième question, ignorant totalement cette de son interlocuteur.

— Comment s’appelle votre beau-frère ?

Owen cligna des yeux, pris de court puis s’agaça.

— … Pardon ?

Zoey tourna la tête vers lui, aussi surprise. Owen reprit.

— Je peux savoir ce qu’il se passe ? Pourquoi vous voulez savoir tout ça ? Ça n’a aucun sens.

— Shht ! souffla un pratiquant assis à quelques rangées devant eux.

Carlyle resta impassible, attendant une réponse. Owen hésita. Tout ça semblait absurde. Une blague ? Un test ? Il finit par secouer la tête, agacé.

— C’est n’importe quoi.

Le militaire se leva, prêt à tourner les talons.

— Comme vous voulez, Hollmann.

Owen se redressa comme si sa blessure n’existait pas et lui attrapa instinctivement le bras.

— Attendez.

Le geste, plus brusque qu’il ne l’aurait voulu, attira l’attention de plusieurs personnes présentes. Quelques fidèles levèrent la tête, interrompant leurs prières pour observer la scène. Owen lâcha immédiatement le militaire et leva une main en guise d’excuse.

— Désolé.

Les curieux retournèrent à leurs prières. Owen, lui, souffla avant de se rassoir, crispée par la douleur.

— Stephen, finit-il par dire, le regard braqué sur Carlyle. Il s’appelle Stephen McDowell.

Le sous-lieutenant se rassit à son tour, un sourire fugace aux lèvres.

— Il fallait que ça tombe sur moi, ria-t-il avec une pointe de sarcasme. C’est votre jour de chance !

Zoey croisa les bras. Owen, complètement dans le flou, l’interrogea du regard.

— Vous pouvez arrêter le suspense ? souffla Zoey.

Carlyle redevint sérieux.

— J’ai reçu l’ordre de mon grand supérieur de vous fournir toute l’aide nécessaire pour que vous atteigniez Édimbourg.

— Comment ça ? répliqua Owen, les sourcils froncés.

— Apparemment, votre lien avec ce Stephen vous propulse directement dans les petits papiers et les priorités d’un colonel de l’armée britannique.

Owen et Zoey échangèrent un regard stupéfait.

— Pardon ? s’étonna Zoey.

— Attendez, quel colonel ? répliqua Owen.

La conversation fut interrompue par le talkie-walkie du soldat.

— Carlyle, tu es passé où encore une fois ? grésilla une voix féminine.

La voix du Lieutenant Peterson se fit immédiatement reconnaitre, toujours aussi stricte. Il fit signe à ses invités de se taire et attrapa son appareil.

— A l’église, Lieutenant. J’arrive, affirma Carlyle.

Owen serra les mâchoires. Il sentait qu’il allait détester ce qui allait suivre. Il avait tellement de question à lui poser.

— Je ne sais absolument pas comment vous aider pour le moment. Il va falloir patienter.

L’adolescente siffla entre ses dents.

— Génial. Quelle perte de temps…

— Non, prononça strictement Owen. Ne commence pas, s’il te plait. Laisse le parler.

Le militaire se pencha légèrement vers eux, son regard se durcissant.

— Il faut que j’y réfléchisse, tout ça est très risqué. L’Écosse est confinée au plus haut point, et pas seulement pour bloquer l’accès aux civils. Le roi et la famille royale se sont réfugiés au château de Balmoral. Toutes les hautes autorités britanniques et certaines étrangères sont réunies pour tenter de comprendre ce qui se passe, et surtout, trouver les responsables de l’attaque.

Zoey releva lentement la tête, incrédule.

— Attendez… Vous êtes en train de dire qu’une pseudo réunion du G7 version apocalyptique est en cours en Ecosse ?

Carlyle hocha la tête, amusé par la comparaison de Zoey.

— Si tu veux le voir comme ça, oui. C’est aussi pour ça que les frontières sont fermées. L’Écosse est devenue un bunker géant. Il faut être prudent. Tous les regards sont braqués sur nous, aux barrages. La consigne a été claire : personne n’entre -

— Personne ne sort. Je sais, termina Owen en laissant échapper un soupir lourd. Donc en gros, c’est mission impossible.

Carlyle le fixa un instant, son regard perçant, puis se leva.

— Pas forcément. Je dois y aller, je reviendrai vers vous quand je le pourrais. En attendant, pas un mot, pas un geste et surtout rien de stupide.

Le soldat déguerpit aussi vite que possible, évitant d’être retenu par les mille et une questions d’Owen. Ce dernier avait l’impression de nager en plein délire. Dans un vague d’absurdité qu’il n’aurait jamais été capable d’inventer.

— OK. Super. Et donc, quelle est la suite du plan ? demanda Zoey, tout aussi perdue

— J’en ai absolument aucune idée. J’ai besoin de réfléchir un peu… Tu peux retourner à la voiture si tu veux. J’ai comme l’impression qu’il ne se passera rien ce soir.

Zoey ne se fit pas prier et quitta l’édifice, laissant Owen seul face à ses pensées. Il attendit que plus personne n’y soit pour se rendre devant l’autel. Il n’était pas un homme de foi mais ce soir encore, il ressentait le besoin d’y croire.

Il s’approcha d’un présentoir où vacillaient plusieurs bougies allumées. Certaines avaient fondu presque entièrement, d’autres continuaient de briller faiblement, comme accrochées à un dernier espoir. Il en prit une, l’alluma lentement, et la posa parmi les autres. Pour Kathleen, pour Zoey et lui. Pour ce père et son fils croisés à Londres. Pour le charmant vieux couple d’Appleby. Pour Matt, Rachel et leur bébé. Pour tout ce qu’il avait perdu. Pour ce qu’il espérait encore sauver.

Après un dernier regard vers l’autel, il tourna les talons et quitta l’église, le petit vent frais du soir rafraichissant immédiatement sa peau. Il retrouva Zoey au pick-up, assise sur le capot, le regard levé vers le ciel étoilé.

— Tu as prié pour nous ? demanda-t-elle en l’entendant arriver.

— J’ai juste allumé une bougie.

— C’est pareil.

Il haussa les épaules sans répondre et prit place, tant bien que mal, à côté d’elle. Le campement improvisé à Horsley bruissait encore doucement sous la nuit. Des ombres se mouvaient près des feux, des chuchotements furtifs se mêlaient au crépitement du bois brûlé. Malgré la tension palpable, certaines scènes respiraient un semblant de normalité : des gens partageaient une couverture, une mère fredonnait une berceuse à son enfant, un homme jouait quelques accords hésitants sur une guitare cabossée. Owen et Zoey les observèrent en silence.

— Tu crois que ce Carlyle est fiable ? finit-elle par demander.

Owen prit un moment avant de répondre.

— Il a l’air d’être du bon côté.

— Le bon côté…, pouffa-t-elle amèrement. Ça veut encore dire quelque chose aujourd’hui ?

Il n’eut pas de réponse à lui offrir. Elle se recroquevilla un peu sous sa veste, poussa un soupir et se laissa tomber sur le pare-brise, fixant les étoiles.

— Tu te souviens de ce jour où maman nous avait emmenés camper ? demanda-t-elle soudainement.

Owen tourna la tête vers elle, surpris.

— Je croyais que tu voulais oublier tous les moments passés avec moi.

Elle haussa les épaules.

— Peut-être pas tous.

Un mince sourire étira ses lèvres.

— Elle m’avait obligé à laisser mon téléphone à la maison. J’étais persuadée que j’allais mourir d’ennui. Mais au final, c’était pas si terrible.

Owen laissa échapper un léger rire.

— Tu as passé la moitié de la soirée à bouder. Et on s’est disputé parce que je refusais de te laisser manger tous les marshmallows.

— Ils étaient à moi ! protesta-t-elle, jouant l’indignation.

Il secoua la tête, amusé.

— C’est fou… Ça paraît être une autre vie.

Zoey acquiesça, son sourire s’effaçant peu à peu.

— Tu crois que maman arrive à se souvenir de nous ?

Il détourna le regard, fixant un point invisible dans l’obscurité.

— Je n’en sais rien. J’espère.

Zoey hocha la tête lentement, sans insister. Le silence s’installa de nouveau. Un silence doux-amer, chargé de souvenirs et de regrets. La seconde d’après, elle posa naturellement sa tête sur l’épaule d’Owen. Il ne bougea pas, surpris d’abord, puis, lentement, il lui attrapa la main qu’il serra brièvement.

— Tu es gelée.

— Encore cinq minutes, chuchota-t-elle. L’air frais me fait du bien.

Il lui embrassa le haut du crane et profita de ce moment avec, ce qu’il pouvait désormais appeler sans crainte, sa fille.

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