Dimanche soir, Frédérick vient de finir la traite. Il est 19h. Il a pris soin de dissocier le pot contenant le lait de la vache qui a mis bas aujourd'hui des autres pots. Tout comme plus tôt dans la journée il a pris soin de dissocier le petit de sa mère quelques heures après sa mise bas. C'est plus facile comme cela. Pas d'attachements. Pas d'instinct maternel. Pas de souffrance animal. Et puis... Malheureusement pour lui, aujourd'hui la mise bas était un sous-produit. Encore.

Il se rend à l'enclos des petits et nourris au biberon le produit du vêlage d'aujourd'hui. Habituellement, il dissocie son affect mais ce soir, c'est le soir de trop. Il se sent bloqué dans une spirale infernale, celle du capitalisme, celle qui définit les lois de son exploitation. Il n'a pas d'autre choix. Il peut tirer à peine 600 euros par mois net pour lui. Il regarde ce veau qui n'a pas demandé à être un mâle, qui n'a pas demandé à être abattu dans quelques mois et il se met à pleurer. Les yeux de Frédérick croisent le regard de ce veau. Il repense à toutes les fois où il a accompagné ses vaches de réforme jusqu'à l'abattoire puis il se remémore le supplice que cela était pour lui, et comment après, il ne faisait qu'appeler le camion pour qu'il vienne les chercher. Puis il se souvient du jour où il a appelé pour la première fois un veau, un sous-produit. Il revient à lui. Le biberon est fini. Il est temps de rentrer.

Vide. Il se dirige chez lui.

Vide. Il ouvre la porte.

Vide. Ses yeux se posent sur la pile de factures.

Vide. Il ouvre le placard.

Vide. Il prend en main son 12/76.

Vide. Il prend les cartouches.

Vide. Il s'asseoit.

Vide. Il le charge.

Vide. Pression.

Vide. Résonne la détente.

Vide. Nous sommes lundi matin. Il est 5h.