Bella, suite

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Tchapteur Trè

François vivait désormais là, dans ces champs de maïs. Campagne malveillante, ruisselante d'ennui. Elle disparaissait lentement. Il l'avait fatiguée, avec ses emmerdements matériels et ses projets idiots. D'ailleurs, il n'était plus aussi gai, on ne comprenait vraiment pas pourquoi. Ils ne baisaient plus que par erreur. Même le secret finit par être lassant, surtout si c'est toujours le même. Elle changea d'amant et de secret. Ses fesses seraient bientôt empoignées par l'heureux agent commercial du négoce en fer, fier et beau dans sa rutilante Laguna de fonction, toujours premier au péage de l'autoroute Angoulême Poitiers, jamais deuxième en progression de Chiffre d'Affaires. Quel homme! Quelle prestance! Quel humour!

François tomba en sourdine mais pour de bon. Une dépression nerveuse, c'est l'enfer dans les grandes largeurs. Le diable s'invite dans votre vie. Vint d'abord le constat de la solitude. Puis l'ennui. La mort reprenait ses droits. Tout était pourri dans ce bled à la con. Boite, collègues, voisins. Sauf les arbres et la rivière, peut-être. Mais François était jeune, il ne savait pas être heureux seul et à peu de frais. Il aurait voulu encore les rires, la drague, les filles, le vin, la musique, la fête. Traversée du désert, et pas une petite. On en sort vivant de ça? Pas toujours, mais dans le fond qu'importe?

Cocktail dînatoire de Xanax, Mépronizine, Lexomil et Effexor. En régime dépressif, on ne mange plus. Couplé aux molécules anti-suicide, le whisky fut un remède assez exaltant. L'alcool transformait le buveur, le monde, les pensées. Bien sûr, passer tous les trois jours devant les yeux muets de réprobation de la caissière n'était pas une partie de plaisir, mais le protocole alcoolique est complexe. La honte participe de l'ivresse. Le buveur invente, au fur et à mesure que son alcoolisme s'installe, un cérémonial dont il est le concepteur tout-puissant et le gardien sourcilleux. L'économie du scrupule et du remords révèle des trésors de stratégie, des minuties de mouvement, d'interminables précautions opératoires et même post-opératoires. L'alcool est un anxiolytique puissant, un excitant aussi fort que la cocaïne, un somnifère valant 10 stilnox. Le Christ dans une bouteille ambrée. L'alcoolique est seul, personne ne vient le faire chier et c'est ce qu'il demande. Chaque séance est une conversation sacrée avec l'inconscient, les cauchemars et les plus noires pulsions. Tout le personnel fantasmatique est là, aux ordres du chef d'orchestre. On ne décroche pas le téléphone, on ferme les volets, on n'existe plus. On fait l'amour avec le feu.

De la bouteille, son désir coulait désormais dans l'auto-érotisme. Complètement ivre, son corps jouissait différemment, parfois mieux. Vapeurs délétères divines. Manquait un partenaire, mais cela ne constituait pas d'obstacle insurmontable. Dans un lointain passé, la pénétration anale lui avait fourni des agréments dignes des copulations les plus réussies. François se fit une très honorable collection de godemichés.

Mais, avec cette passion qui refusait de s'éteindre, chaque jour demeurait une torture. On ne pouvait pas arriver bourré au boulot. Il fallait tenir pendant le jour. Et quand on est dépressif, on ne tient pas, ou si mal. François arrivait chaque matin avec 10 minutes de retard, sortant à peine d'une douche de dégrisement, la gueule enchifrenée par une nuit de luxure alcoolico-anale. Le blaireau témoin de ça voit, et ne dit rien, évidemment. On constatait que ça n'allait pas, on se taisait. Ton héros s'asseyait devant son bureau, et commençait à regarder par la fenêtre, jusqu'à 5 heures. Il lui arrivait de décrocher à la quinzième, vingtième sonnerie. Ben alors, qu'est-ce tu fous? on t'attend au production meeting, t'as les technical spec de Hyundai? Les technical spec de Hyundai, qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire? Et le fax de Kim, tu l'as imprimé? Kim? Imprimé? Imprimante? Impridéprimante? Aimante? Elles mentent? Un glaçon dans votre whisky cryogénique? Hyundai, écoute-moi bien, je les emmerde tes transporteurs de gaz naturel et tes cahiers des charges en robinetterie cryogénique. Je leur chie à la gueule, je leur fais un doigt en béton armé.

Bien malin, bien connard, celui qui affirme qu'il suffit d’un peu de volonté pour se barrer de chez Satan. Celui-là n'a jamais désespéré de quoi que ce soit. François se surprenait, comme sortant d'un rêve et après avoir roulé trente km en pensant à autre chose qu'à la route, devant la porte du négoce en produits métalliques, épiant le couple adultère nouveau. S'agissait-il de savoir une bonne fois pour toutes? D'avoir une preuve indéniable? De haïr avec raison? De souffrir un peu plus? Et ce mépris? Pourquoi? Ces téléphones qui sonnent dans le vide (elle ne prenait plus aucun de ses appels), ces tromperies que l'on ne dissimule qu'à moitié, pour les révéler plus vite. Ce bouquet, qui te l'a offert? Sourire mutin, claquement de langue. Manon et des Grieux. Mais, la porte t'est toujours ouverte, tu sais, s'était-elle indignée, et ce avec une bonne foi qui ne pouvait trahir qu'une évidente absence de scrupules. Qu'elle pût le faire souffrir lui paraissait impossible. La vie consiste à choisir ses vacheries. Elle avait choisi celles qui font du mal aux autres. Quand on boit et qu'on est absolument seul, on ne se fait du mal qu'à soi. Le bonheur avait disparu de la vie de François. Il croyait alors à une peine d’amour, c’était une peine de solitude. Joies inexplicablement taries, plaisirs refusés sans préavis, condamnation absurde à l’errance. La brutalité du changement allait lui coûter dix ans de sa vie. Dix années de fausses amours, de fausses rencontres, de contentements convenus, de repas familiaux où l’on se prête à tous les mensonges qui rassurent. Dix années à chercher à comprendre pourquoi tout lui avait été arraché. L’alcool, lui, resta. Dix années sur lesquelles nous ne reviendrons plus.

Number four

Quelle beauté cette vitesse ! Comment l’humanité en était-elle arrivée à déplacer des tonnes d’acier à plus de 280 km/h, avec, en plus, des gens dedans, et en toute sécurité ? De quelle conformation mentale fallait-il être pour concevoir de telles choses ? C’était absolument fascinant. L’homme était tragique et génial.

Repensant à la préhistoire de ses sentiments, Bella songeait maintenant qu’au fond Sylvia avait commencé de l’ennuyer bien avant qu’elle ne le fît souffrir. Par amour, lieu suprême de la bêtise, il s’était comme déclassé pour que ses coups à elle puissent le meurtrir lui. Il n’avait jamais ignoré sa putasserie, son affligeante inculture, sa stupidité. Ne l’eût-il que croisée, ne l’eût-il pas fourrée pendant deux ans, ne lui eût-il que parlé à peine, elle méritait assurément son sort. Vilaine.

Ç’avait été une bonne idée de prendre le train. Il existait un paradis ferroviaire. On y était délicieusement anonyme, on pouvait ne penser à rien. Fermer les yeux, retrouver la lenteur et la chaleur du liquide amniotique. Maman Tgv. Dans un train, on n’est disponible pour personne. Même les portables, ces saloperies qui font souffler la connerie dans un clairon, fonctionnent, dieu merci, fort mal.

Bella goûtait une paix inconnue. Se venger, c’était effectuer une puissance au-delà de tout pouvoir. Se venger, c’était devenir ce qu’il désespérait d’être : créancier, juge et maître. C’était créer un monde qui se joue des lois communes, donc nécessairement liberticides. On passait les portes de corne et d’ivoire. De sujet reproductible et polycopié, on devenait individu indivis, occurrence et accident. Dans le n-1 probabiliste, on partait de n, on arrivait à 1. Les lois écrites ne peuvent défendre ni l’honneur ni l’histoire d’un homme. Seule la loi sacrée du Talion le peut. Elle réhabilite le sauvage, actualise sa force, consacre ses gestes. Elle prouve son courage. Tout le reste de la justice n’est que contorsions spécieuses, ensemble de dispositions destinées à faire vivre ensemble et pacifiquement le plus grand nombre possible d'abrutis. Les lois de la plèbe, c’est la paix des lâches. On ne prise rien tant que l’apaisement des conflits, on ne raille rien tant que le point d’honneur, on ne se rit jamais plus que d’une virile indignation. On a tort. Dans sa colère la plupart du temps justifiée, l’homme se retrouve seul, dindon risible. Mais tous voudraient le rejoindre, tous l’admirent en secret. Et tous le moquent, parce qu’ils n’ont pas le courage de le rejoindre, ces faux braves, ces consensuels. Pacifistes ! Grands couillons ! Manipulateurs de gens mortes ! Démocrates ! Commerçants !

Il en avait fallu, de la volonté, des solitudes, de la rigueur, de l’intelligence, pour mettre sur pieds ce premier meurtre. Bella s’était offert une ouverture symphonique. D’une esthétique vengeresse, chapitre 1. Jeu de perles sanglantes. Chœurs de vierges pour une tuerie.

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Bella, chapitre 3 et suivantsChapitre4 messages | 1 an

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