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FrankT

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Œuvres

FrankT
François pète un câble. Le monde, ses contemporains, sa vie professionnelle, tout l'emmerde. Lecteur de de Quincey (De l'Assassinat considéré comme l'un des beaux-arts), esthète mais misanthrope, délicat mais incapable de se soustraire aux affres dans lesquelles sa trop grande sensibilité le plonge, il décide de répondre par la violence, et se découvre l'inventeur d'une discipline: le meurtre éthique.
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Tchapteur Trè
François vivait désormais là, dans ces champs de maïs. Campagne malveillante, ruisselante d'ennui. Elle disparaissait lentement. Il l'avait fatiguée, avec ses emmerdements matériels et ses projets idiots. D'ailleurs, il n'était plus aussi gai, on ne comprenait vraiment pas pourquoi. Ils ne baisaient plus que par erreur. Même le secret finit par être lassant, surtout si c'est toujours le même. Elle changea d'amant et de secret. Ses fesses seraient bientôt empoignées par l'heureux agent commercial du négoce en fer, fier et beau dans sa rutilante Laguna de fonction, toujours premier au péage de l'autoroute Angoulême Poitiers, jamais deuxième en progression de Chiffre d'Affaires. Quel homme! Quelle prestance! Quel humour!
François tomba en sourdine mais pour de bon. Une dépression nerveuse, c'est l'enfer dans les grandes largeurs. Le diable s'invite dans votre vie. Vint d'abord le constat de la solitude. Puis l'ennui. La mort reprenait ses droits. Tout était pourri dans ce bled à la con. Boite, collègues, voisins. Sauf les arbres et la rivière, peut-être. Mais François était jeune, il ne savait pas être heureux seul et à peu de frais. Il aurait voulu encore les rires, la drague, les filles, le vin, la musique, la fête. Traversée du désert, et pas une petite. On en sort vivant de ça? Pas toujours, mais dans le fond qu'importe?
Cocktail dînatoire de Xanax, Mépronizine, Lexomil et Effexor. En régime dépressif, on ne mange plus. Couplé aux molécules anti-suicide, le whisky fut un remède assez exaltant. L'alcool transformait le buveur, le monde, les pensées. Bien sûr, passer tous les trois jours devant les yeux muets de réprobation de la caissière n'était pas une partie de plaisir, mais le protocole alcoolique est complexe. La honte participe de l'ivresse. Le buveur invente, au fur et à mesure que son alcoolisme s'installe, un cérémonial dont il est le concepteur tout-puissant et le gardien sourcilleux. L'économie du scrupule et du remords révèle des trésors de stratégie, des minuties de mouvement, d'interminables précautions opératoires et même post-opératoires. L'alcool est un anxiolytique puissant, un excitant aussi fort que la cocaïne, un somnifère valant 10 stilnox. Le Christ dans une bouteille ambrée. L'alcoolique est seul, personne ne vient le faire chier et c'est ce qu'il demande. Chaque séance est une conversation sacrée avec l'inconscient, les cauchemars et les plus noires pulsions. Tout le personnel fantasmatique est là, aux ordres du chef d'orchestre. On ne décroche pas le téléphone, on ferme les volets, on n'existe plus. On fait l'amour avec le feu.
De la bouteille, son désir coulait désormais dans l'auto-érotisme. Complètement ivre, son corps jouissait différemment, parfois mieux. Vapeurs délétères divines. Manquait un partenaire, mais cela ne constituait pas d'obstacle insurmontable. Dans un lointain passé, la pénétration anale lui avait fourni des agréments dignes des copulations les plus réussies. François se fit une très honorable collection de godemichés.
Mais, avec cette passion qui refusait de s'éteindre, chaque jour demeurait une torture. On ne pouvait pas arriver bourré au boulot. Il fallait tenir pendant le jour. Et quand on est dépressif, on ne tient pas, ou si mal. François arrivait chaque matin avec 10 minutes de retard, sortant à peine d'une douche de dégrisement, la gueule enchifrenée par une nuit de luxure alcoolico-anale. Le blaireau témoin de ça voit, et ne dit rien, évidemment. On constatait que ça n'allait pas, on se taisait. Ton héros s'asseyait devant son bureau, et commençait à regarder par la fenêtre, jusqu'à 5 heures. Il lui arrivait de décrocher à la quinzième, vingtième sonnerie. Ben alors, qu'est-ce tu fous? on t'attend au production meeting, t'as les technical spec de Hyundai? Les technical spec de Hyundai, qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire? Et le fax de Kim, tu l'as imprimé? Kim? Imprimé? Imprimante? Impridéprimante? Aimante? Elles mentent? Un glaçon dans votre whisky cryogénique? Hyundai, écoute-moi bien, je les emmerde tes transporteurs de gaz naturel et tes cahiers des charges en robinetterie cryogénique. Je leur chie à la gueule, je leur fais un doigt en béton armé.
Bien malin, bien connard, celui qui affirme qu'il suffit d’un peu de volonté pour se barrer de chez Satan. Celui-là n'a jamais désespéré de quoi que ce soit. François se surprenait, comme sortant d'un rêve et après avoir roulé trente km en pensant à autre chose qu'à la route, devant la porte du négoce en produits métalliques, épiant le couple adultère nouveau. S'agissait-il de savoir une bonne fois pour toutes? D'avoir une preuve indéniable? De haïr avec raison? De souffrir un peu plus? Et ce mépris? Pourquoi? Ces téléphones qui sonnent dans le vide (elle ne prenait plus aucun de ses appels), ces tromperies que l'on ne dissimule qu'à moitié, pour les révéler plus vite. Ce bouquet, qui te l'a offert? Sourire mutin, claquement de langue. Manon et des Grieux. Mais, la porte t'est toujours ouverte, tu sais, s'était-elle indignée, et ce avec une bonne foi qui ne pouvait trahir qu'une évidente absence de scrupules. Qu'elle pût le faire souffrir lui paraissait impossible. La vie consiste à choisir ses vacheries. Elle avait choisi celles qui font du mal aux autres. Quand on boit et qu'on est absolument seul, on ne se fait du mal qu'à soi. Le bonheur avait disparu de la vie de François. Il croyait alors à une peine d’amour, c’était une peine de solitude. Joies inexplicablement taries, plaisirs refusés sans préavis, condamnation absurde à l’errance. La brutalité du changement allait lui coûter dix ans de sa vie. Dix années de fausses amours, de fausses rencontres, de contentements convenus, de repas familiaux où l’on se prête à tous les mensonges qui rassurent. Dix années à chercher à comprendre pourquoi tout lui avait été arraché. L’alcool, lui, resta. Dix années sur lesquelles nous ne reviendrons plus.
Number four
Quelle beauté cette vitesse ! Comment l’humanité en était-elle arrivée à déplacer des tonnes d’acier à plus de 280 km/h, avec, en plus, des gens dedans, et en toute sécurité ? De quelle conformation mentale fallait-il être pour concevoir de telles choses ? C’était absolument fascinant. L’homme était tragique et génial.
Repensant à la préhistoire de ses sentiments, Bella songeait maintenant qu’au fond Sylvia avait commencé de l’ennuyer bien avant qu’elle ne le fît souffrir. Par amour, lieu suprême de la bêtise, il s’était comme déclassé pour que ses coups à elle puissent le meurtrir lui. Il n’avait jamais ignoré sa putasserie, son affligeante inculture, sa stupidité. Ne l’eût-il que croisée, ne l’eût-il pas fourrée pendant deux ans, ne lui eût-il que parlé à peine, elle méritait assurément son sort. Vilaine.
Ç’avait été une bonne idée de prendre le train. Il existait un paradis ferroviaire. On y était délicieusement anonyme, on pouvait ne penser à rien. Fermer les yeux, retrouver la lenteur et la chaleur du liquide amniotique. Maman Tgv. Dans un train, on n’est disponible pour personne. Même les portables, ces saloperies qui font souffler la connerie dans un clairon, fonctionnent, dieu merci, fort mal.
Bella goûtait une paix inconnue. Se venger, c’était effectuer une puissance au-delà de tout pouvoir. Se venger, c’était devenir ce qu’il désespérait d’être : créancier, juge et maître. C’était créer un monde qui se joue des lois communes, donc nécessairement liberticides. On passait les portes de corne et d’ivoire. De sujet reproductible et polycopié, on devenait individu indivis, occurrence et accident. Dans le n-1 probabiliste, on partait de n, on arrivait à 1. Les lois écrites ne peuvent défendre ni l’honneur ni l’histoire d’un homme. Seule la loi sacrée du Talion le peut. Elle réhabilite le sauvage, actualise sa force, consacre ses gestes. Elle prouve son courage. Tout le reste de la justice n’est que contorsions spécieuses, ensemble de dispositions destinées à faire vivre ensemble et pacifiquement le plus grand nombre possible d'abrutis. Les lois de la plèbe, c’est la paix des lâches. On ne prise rien tant que l’apaisement des conflits, on ne raille rien tant que le point d’honneur, on ne se rit jamais plus que d’une virile indignation. On a tort. Dans sa colère la plupart du temps justifiée, l’homme se retrouve seul, dindon risible. Mais tous voudraient le rejoindre, tous l’admirent en secret. Et tous le moquent, parce qu’ils n’ont pas le courage de le rejoindre, ces faux braves, ces consensuels. Pacifistes ! Grands couillons ! Manipulateurs de gens mortes ! Démocrates ! Commerçants !
Il en avait fallu, de la volonté, des solitudes, de la rigueur, de l’intelligence, pour mettre sur pieds ce premier meurtre. Bella s’était offert une ouverture symphonique. D’une esthétique vengeresse, chapitre 1. Jeu de perles sanglantes. Chœurs de vierges pour une tuerie.
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Numéro 5
La traque avait suivi les mêmes minuties, mais avait commencé sur un coup de chance. Un signe, sans doute. Caution du ciel. Sans rien demander à qui que ce soit, elle était réapparue dans sa vie. Peu après la crise initiale du parc, à l’époque où le volcan grondait en profondeur, la surface demeurant froide et noire, il découvrit, consterné, une friend request sur Facebook. Sylvia Gomez wants to be friends. Ravi pour la mise en œuvre de projets dont il peinait à entreprendre la réalisation, bluffé par tant d'impudence, il appuya sur confirm. Le feu minéral se fit plus poussant, plus enragé. Des mégatonnes de furie galopaient dans ses artères. Comment osait-elle ? Comment pouvait-elle venir quémander une amitié virtuelle à celui que, dix ans auparavant, elle avait écorché vif en vertu de je ne sais quel libertinage, en pur mépris de sa détresse, et avec la plus narcissique des cruautés ? Depuis quand le bourreau prend-il des nouvelles de sa victime ? Depuis qu’il est étranger à toute forme de culpabilité ? Ou bien est-ce au contraire, volonté de savoir si l’on peut encore blesser ? Sans doute le bourreau espère-t-il que les plaies se sont suffisamment refermées pour que la haine se soit éteinte… Le bourreau se dit alors qu’il peut à nouveau approcher, pacifique Tartufe, et sous les traits d’un autre…Tout péril semble écarté, il peut frapper derechef…
Du temps où il était sous son empire, François avait remarqué qu’elle s’arrangeait pour être de temps à autre dans le parage d’un ancien amant…
La demande de friends confirmée, il attendit. Il travailla.
Dire que les moyens modernes de communication violent la vie privée est une erreur de paresseux. Il suffit d’être prudent et de réfléchir un peu avant d’agir. Facebook, au fond, c’est la nouvelle rivière de Narcisse. Miroir pixellisé, Echo qui, inlassablement, lance son appel. Mais l’on s’y regarde bien plus qu’on ne s’y montre. Et si l’on est très narcissique, alors on veut voir beaucoup de soi. Dès lors il ne faut pas s’étonner que d’autres satisfassent à peu de frais leurs penchants voyeuristes. Ainsi, sous prétextes de modernisme, on s’épie, on s’envie, on se jalouse, on s’ignore ou on se flagorne. Nous consultons hystériquement notre page pour savoir qui, quand, comment, pour vérifier nos gueules, l’humour, la justesse, l’esprit de nos posts. Certains toutes les heures. Regarde bien tout ce que je ne montre pas, admire ma jeunesse, compte mes amis, évalue mon fric. Avoir une vie, c’est désormais un jeu d’enfant.
On peut donc s’inventer une existence totalement factice. Facebook est un superbe univers fictionnel. Bella ne se priva point de leurrer Gomez.
Il se choisit une épouse, ni trop belle, ni trop laide, sur une banque d’images numérisées. De même pour les classiques vacances au soleil ou à la montagne (en combi et masque, une personne passait facilement pour une autre). Des photos de soirées entre amis enfin. Existence basique, vie crédible. Certes, la tâche était lourde. Les amis fictionnels devaient commenter, mettre de nouvelles photos d’eux, liker ou unliker. Il fallut donc leur créer un compte à tous, une vie à chacun. Entreprise romanesque. Photoshop était là pour coincer sa gueule dans des soirées parisiennes branchées, sur des tas de sable avec enfants, sur un téléphérique à Val Thorens. C’était fastidieux, mais c’était facile. Cette gourde n’y vit que du feu. Un mouchard renseignait Bella sur la fréquence de ses visites, et sur les pages qu’elle consultait. Il tardait, par stratégie élémentaire, à engager une première conversation. Ce fut elle qui craqua la première. Au premier mot, il sut que rien n’avait enrichi sa petite tête vide. Plutôt que de pester contre l’inanité de son propos, il fit comme pendant les conseils de classe au collège : pour se protéger de l’usage ordurier qu’on y faisait de la langue, il se réfugia dans la littérature, en un monologue intérieur coupé de façon intermittente par les remarques ineptes de ses collègues, et ici de la grognasse sur le retour:
« salut (« Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle, ma fortune va prendre une face nouvelle » Racine. T’es en train de discuter le bout de gras avec la Mort, ma grande. Profite, y t’reste pas grand-chose. Toi aussi t’es en route pour une face nouvelle …J’m’en vais te l’écrire ton grand tragique. Ça va pulser comme à Athènes, t’inquiète. Ça va être Sophocle dans ton cul…)
- Salut
- Tu va bien lol ? (« La médiocrité de notre univers se résume à notre pouvoir d’énonciation » Breton. Ça te dirait, une petite entrevue façon geôles khmers ? Bouge pas, Pol Pot s’en occupe en personne. Y va se modifier un chouï, ton univers. Tu vas énoncer, c’est moi qui te le dis… )
- Oui, oui, merci. Je suis content de te retrouver… (« Il la pénétra de telle façon qu’elle restât vierge » Marquis de Sade, peut-être Justine. Je me demande par quoi je vais commencer : t’arracher les yeux ? La langue ? Les doigts ? Un vieux philosophe dit qu’il n’y a pas une partie de notre corps qui ne puisse nous faire souffrir…T’enculer alors ? Faut voir, j’ai pas décidé…)
- Mwa aussi J lol (« Le moment où je parle est déjà loin de moi », auteur impossible à identifier. Hé ! Comment, Madame ? t’as rien à dire ? C’est l’désert arctique entre tes deux oreilles? Madame ? Hé Madame, tu sous-loues tes neurones ou quoi ? T’es la femme sans tête ?)
- Ça fait combien, dis-donc, 15 ans ? (« et vous épargne la pudeur de les lui découvrir » La Fontaine. Question pudeur, tu vas être servie. Une bite comme aç que tu vas manger. Pour prendre cher, tu prendras cher. Garanti ! Ton con va être pris d’assaut par tous les rats de l’enfer. Fatale baise ! Tous les sens en alarme. De l’orgasme en veux-tu ben en v’là ! Pantagruélique qu’y va être, ton pied ! )
- Mmmh, wé. C’est ta femme sur les photos ? (Ah, quand même ! « la caquesangue vous prenne ! » Rabelais. « c’est un livre de bonne foi, lecteur » Montaigne . Et ça n’est certes pas un chat de bonne foi, grande nouille. Nul échange ici. Mais tu vas me voir une bonne fois. Si j’étais toi, je penserais à bien kiffer l’air qui rentre dans mes poumons, ça risque d’évoluer un brin). Bella lui répondrait bien qu’il s’agit de son cheval mais que la photo est mauvaise. Il s’abstient. (« Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine » du Bellay . Ouais ! du marbre que tu vas déféquer, avec des ardoises dedans, tiens, histoire de te faire goûter à la grande Poésie. Je vais t’en faire bouffer, moi, du quatrain, te le punaiser sur les miches, le sonnet marotique, ça va rimer façon perceuse défonceuse ! Marteau pilon dans tous tes orifices. Tu vas niquer avec la bande à Belzébuth, cher ange, et ils sont tous bourrés comme des coins, et je suis leur chef ! )
- Oui, oui. Tu la trouves jolie ? (« C’est ça qui fait un monde ! Y’a des gens qu’ont pas de monde ! » Entretiens Deleuze/Parnet. )
- Elle est trés joli ! ( ça peut t’fout’ qu’elle soit jolie ou pas ? Est-ce que je te demande si tu sais que tu vas crever, moi, hein ?)
- Merci (« L’en-ville, manman Marie-So, où c’est ? » Chamoiseau, Texaco. En ce qui te concerne, ma bonne, c’est plutôt l’en-fourne, au programme…)
- Mais tes enfants sont encore plus beaux !!!! ;) (« La rumeur cessa comme alizé qui meurt » Encore Texaco. Nan mais attends elle me fait quoi, le prix Nobel de la connerie, là ? Elle est en train de me dire que ma femme est moins jolie que mes enfants ? Je rêve, je rêve, y’en a qui le font exprès, c’est pas possible !)
- Alors ça c’est sympa pour eux ! merci beaucoup (tu vas voir, comment tu
vas être super jolie dans pas longtemps. Les miroirs en chialeront de honte. ). Tu sais, je n’ai rien oublié, j’ai longtemps pensé à toi…Mais aujourd’hui je suis très heureux d’avoir de tes nouvelles…(t’es contente, t’as ton petit coup par la porte arrière ? C’est mouillé là ? C’est comment ? Humide ?)
- J J J (ah ouais, c’est humide !)
- Tu vis toujours près d’Angoulême je vois ?
- Wiwi ;) (Oui-oui part en formation chez les papous. Oui-oui se fait réduire la gueule.)
Simple coup de bluff. Bella en savait assez. Il la laissa attendre plus de trois heures. Quand le grand méchant loup revint devant son écran, le petit cochon y était aussi.
« J’avais une chose urgente à faire, excuse-moi. Tu es toujours là ?
- Wiwi ( Oui-oui part pour le 7e ), tu sais françois, tu m’a beaucoup manquée (en dehors de l’accord du participe, une petite majuscule aux prénoms, ça t’arracherait les doigts ?)
- Toi aussi. »
Ayant recueilli suffisamment d’informations, François coupa la communication.
Une semaine après cet échange, François paramétra son compte de telle façon qu'elle vît qu’il était souvent connecté mais que des tas de pages connexes lui étaient interdites. Il ne la recontacta pas, misant toujours sur l’indifférence comme le meilleur des appâts. Sept jours après leur chat, il reçut cet email :
« Salut François L je ne comprends pas pourquoi tu ne parles plus ? Snif L Tu m’en veux toujours ? J’aimerais tellement en savoir plus sur ta vie ? Comment tes filles s’appellent ? Et ta femme, tu l’a connais depuis longtemps ? L Répond moi vite ? »
Dieu que la corde était épaisse ! Et comment pouvait-on massacrer à ce point la grammaire et le mode interrogatif ? C’en était affligeant.
Il répondit des choses banales, qui faisaient vrai. Il connaissait sa femme depuis 8 ans, en était fou et brûlait de la lui présenter, non il ne lui en voulait plus, il avait pris du recul, c’était lui surtout, qu’il fallait blâmer, ses filles s’appelaient Onyx et Ruby, et patati et patalère. Victoire, Grande Nouille le félicita par retour de mail pour sa grande maturité et les prénoms de ses filles.
Le reste n’avait été question que de préparation et de discrétion.
Chapiteau Six
Il fallait que Viola ignore tout de ses projets. Elle en percevrait assez vite de toute façon les manifestations implicites. Son sixième sens était scandaleusement développé, ce qui évitait bien des confidences et bien des confessions. Le silence en outre leur allait bien. Pourquoi, en amour, faudrait-il parler à longueur de journées ? Un sourire, une caresse suffisaient souvent.
Ce jeudi soir-là, François avait annoncé pour le lendemain une visite éclair chez sa grand-mère qui, atteinte d’Alzheimer, s’était perdue dans le jardin, s’y était assise et avait commencé d’appeler Nono, son défunt mari. La mère s’en était ouverte au téléphone, c’est insupportable, je suis toute seule pour m’en occuper, ta sœur elle, elle a ses enfants, tu comprends. Il avait profité de ce que, dans cette famille, tout le monde se haïssait. Sa mère et sa sœur haïssaient autant Viola, qui ne s’en portait pas plus mal. Quant à lui, il ne les appelait jamais, se contentant, au fil des années, d’aller voir aussi souvent que possible, mais sans prévenir qui que ce fût, cette grand-mère qui était bien la seule à lui avoir donné un peu de tendresse.
Bien évidemment, sa mère ne l’avait pas appelé. Ainsi, François serait libre pendant vingt-quatre heures, Viola le croyant dans sa Lorraine natale auprès des siens, sa grand-mère ayant oublié qu’il ne viendrait pas, les autres, mère et sœur, ne se souciant pas de lui.
Le vendredi soir, il prit donc le 19h45 de Montparnasse.
Seven
Et à 22h06, Bella mettait le pied sur le quai de la gare de la plus laide de toutes les villes de France.
Jean’s, chaussures de randonnée, gabardine, gants, bonnet, il caillait sec en ce 17 novembre. Mais dix kilomètres de marche seraient revigorants et achèveraient la préparation mentale. Tout était dans le souffle. Inspiration, réflexion ; expiration, décision et action. Il fit une halte au Bois Bedeuil, à un petit kilomètre de sa destination. François aurait été mort de peur, Bella veillait simplement à ne pas se faire remarquer. Il but beaucoup d’eau, ne mangea presque rien. Les bois enfin atteints, il convenait de se changer. Il retira ses vêtements chauds, saluant l’air glacé qui lui fouettait les sens. Nuit noire, et lui aussi à présent. Sous les vêtements anonymes, une tenue sombre et près du corps en stretch. Derrière le hideux pavillon, il s’en était souvenu, puis assuré grâce à Earth, était une demeure bourgeoise néoclassique entourée d’un vaste parc arboré dont la parenté avec la forêt voisine assurait un secret absolu aux rôdeurs, braconniers et autres assassins. Une heure du matin. Comme un slalomeur répète sa course dans sa tête, Bella mimait les opérations à venir. Quelle joie cette nuit d’encre ! Quelle fierté ! Il décida d’attendre une autre heure, afin de se libérer de l’ivresse d’être là, bête de proie aux aguets, et de se redéfinir entièrement sur les actes à venir.
A deux heures du matin il se déplia sur le tapis sylvestre et exécuta cinquante pompes, histoire de se réchauffer et de s’éclaircir les idées.
La peur le surprit lorsqu’il commença d’escalader le mur d’enceinte de la propriété. Il en fit son affaire. Il s’agissait d’une modalité réflexive parmi des milliards. La Science, dans son douillet cabinet de lecture, lui avait enseigné qu’il y a plus de connexions neuronales possibles que d’atomes dans tout l’univers. Son cerveau avait fait une simple erreur d’aiguillage. Il suffisait de rebrancher les fils correctement. La saveur de l’air était si fraîche, les choses si réelles, leurs contours si précis ; cette pierre offrait une prise si sensuelle, son souffle était si puissant, pourquoi perdre son temps avec un état d’âme aussi inutile ?
Chat noir, il amortit sa chute sur une épaisse pelouse couverte par l’ombre. Pupilles dilatées, reptation lente. Le voici devant la porte de la baie vitrée qui donne sur le jardin. Le silence est complice. A l’aide d’un petit aimant électrique, Bella fait descendre le loquet intérieur. Le plus dur est fait. Le double-vitrage coulisse dans un bruit de loco qui pousse son dernier soupir. Il ne referme pas, se poste derrière le bar de la cuisine américaine et attend quatorze minutes. A la quinzième, il est devant la porte qui donne sur la chambre de la gamine. Elle discute sur msn. Ouf, pas de web cam. C’est vraiment trop facile : en surprenant sa victime de dos, on pose le bras droit sur l’épaule droite, même chose à gauche puis l’on replie en une sorte de bras d’honneur, mais avec un cou au milieu. Les os des avant-bras appuient inexorablement sur chacune des carotides et provoquent un déficit sanguin dans le cerveau, et donc un arrêt de l’apport en oxygène. Au bout de 20 secondes, on obtient une syncope prolongée, au bout de 60, un coma très grave. L’effet de surprise et la rapidité du geste empêchent tout cri. Bella sert 90 secondes. Il pianote ge vé me couché sur le chat et clique sur la croix rouge.
Direction la suite nuptiale des deux neuneus. Bella pousse la porte, le petit gros se retourne. Notre bel assassin a juste le temps de retirer sa tête de l’embrasure. Ça remue, une lampe de chevet s’allume. Trois minutes d’apnée.
« T’as rien entendu ?
- Hein, quoi ?
- Y’a pas eu un bruit là ?
- Tu fais chier, dors. »
-
Le courageux Gomez regarde l’armoire à fringues en réfléchissant, se cure le nez, se gratte les couilles, émet un pet de bon aloi et éteint. Bella roule sur la moquette, se redresse et tranche au scalpel la gorge de ce qui n’est déjà plus qu’un souvenir quelconque de monsieur quelconque. Elle veut hurler mais c’est trop tard, Bella lui décoche la patate de sa vie. De son maillot, il sort et lui enfourne une boule SM dans la gueule. Il sert le cuir de toutes ses forces, comme s’il voulait lui faire exploser la boite crânienne. Par le truchement de deux lanières en plastique crantées, pieds et chevilles se retrouvent idiots. La séance peut enfin débuter.
La vieille poule est terrorisée et gigote en tous sens. De Quincey avait donc raison ! Les gens ne se laissent point assassiner tranquillement. Les yeux de Madame Gomez cherchent à sortir de leurs orbites. Elle n’a pas un regard pour son mari qui se vide mais sa tête ne cesse de se tendre vers la chambre de la gosse. Elle dort, lui indique notre beau criminel. Et ne peut prévenir personne, lui semble-t-il bon de préciser. Comme il la tire par les cheveux au salon, elle pousse des petits cris de souris prise au piège. J’ai fait des centaines de kilomètres, la nuit, sans savoir où j’allais. Je marchais sans but dans des villes inconnues. Il m’était impossible de vivre, et impossible de mourir. Si tu avais eu l’élégance, le panache de rompre ferme et définitif, j’aurais souffert, puis guéri. Mais tu m’as condamné aux désert des signes, j’ai erré dans un no man’s land de sens. Tout était dit donc rien ne l’était. J’ai pourri sur la branche. Les fleurs ont gelé. Tu m’as volé la joie, je ne peux pas la retrouver, mais je vais me venger.
Avec le scalpel qui a ouvert la gorge du cocu, Bella ouvre le tee-shirt long qui sert de nuisette à Madame. Mickey est traversé de haut en bas. Bella observe le buste dénudé. Les prothèses sont d’assez bonne qualité, mais la fermeté de la poitrine est discordante avec les épais plis de graisse qui recouvrent hanches et ventre. Deux boules de bowling atterries dans un pot de margarine. La main de Bella s’envole comme une plume portée par les harmoniques du vent. Il chantonne, imitant Maurice Chevalier, roulant les r :
« Rrregarrde-moi ces deux ballons
Tout d’mêm’ tout d’mêm il faut êt’ con !»
La main retombe, les yeux se rouvrent. Miroir, mon beau miroir, poursuit Bella d’un air de dédain. Il saute, preste, à côté d’elle et lui susurre à l’oreille « La vie est baroque, chérie, les gens changent » Il s’achemine vers le garage en sifflotant, revient avec une caisse à outils et un fer à souder, pose le tout sur la table basse. Il trouve une pince d’électricien. « Un jour sur deux, un ongle sur deux, ça te paraît équitable ? » Il lui attrape la main gauche, la regarde dans les yeux, sert l’ongle du pouce et tire un coup sec. Elle feule, hurle et glapit comme une bête à l’abattoir. La claque part de très loin. Elle souffle à présent dans la boule en plastoc comme une hyène au clair de lune. Majeur main gauche, serrage, regard, arrachement. Les cordes vocales doivent subir des lésions sous l’effet de la douleur car voici : nous assistons à un curieux changement de tessiture. Des pointes d’aigu partagent maintenant le terrain sonore de la souffrance pure avec une ligne de basse qui plaiderait plutôt, mais le pire n’est jamais sûr, pour de l’épuisement. La vie, dans la petite main graisseuse mutilée, appelle au secours. Notre Miss Charente-Poitou 1983 est cambrée dans une pause assez ridicule. Petit doigt main gauche. Bella aspire sa vengeance comme un fumeur son opium. Le vrai visage de la mensongère, devenue épure hideuse, apparaît enfin. Des milliards de gènes hérités d’une ascendance violente, imbécile et abrutie par la campagne française. Faciès de cochon. Tous ces gens ! On les voit, là, qui se dessinent sur sa face affranchie des illusions qu’elle avait sur elle-même. Obtus ! Bornés ! Maquignons jusqu’au tombeau !
Même opération main droite, quand on commence il faut finir. L’entrave buccale ne servant plus à rien, il la lui retire. Elle bafouille, balbutie, finit par avaler sa langue. D’un doigt technique et protégé par un gant chirurgical, Bella récupère l’organe enfui au fond de la gorge. « T’as pas soif, toi ? Whisky ? » Il fouille dans le globe marqueté, sort une bouteille de Ballantine. « Je voulais te remercier, au fait, sans toi je n’aurais jamais connu les saveurs exquises de la tourbe écossaise ! » Elle bave, éructe, gesticule, tenant ridiculement ses mains en l’air. Elle regarde ses doigts avec compassion, petits lombrics blessés, bouts de chair sanguinolents dont elle a peine à croire qu’ils lui appartiennent. « Je comprends, je comprends. » Bella se lève, va dans la salle de bain, revient avec un nécessaire de maquillage. Avec les gestes précieux d’une esthéticienne des beaux quartiers, il enduit de vernis rose les chairs à vif et les ongles épargnés. Ce que faisant, il s’indigne de la pâleur des cuisses de sa victime. « Ma chère, vous devriez savoir qu’une peau hâlée est bien plus agréable à regarder que cette blancheur hivernale ! Que ne vous inscriviez-vous à quelque soin par ultraviolet ? Votre inconséquence me laisse, je dois le dire, pantoise. » Allumage du fer à souder. La flamme, raide comme un solide, se promène sur le haut des cuisses et les mollets. Ce n’est plus le corps d’une femme contorsionniste, c’est un poulet plumé vivant qu’on grille. Il lui demande, décomposant soigneusement les syllabes :
« Qu’est-ce qui est le plus douloureux, au fond ? Les souffrances de l’âme ou celles du corps ? »
De profondes crevasses lézardent désormais les jambes à Miss Pouf. Les plaies cautérisent au galop. Il a fallu la rebâillonner, elle protestait sans cesse. Sa danse de Saint-Guy semble éternelle. Bella s’amuse de cette panique nerveuse privée de bande son. « Dis donc, toi, il faudrait peut-être songer à être présentable demain matin pour la Maréchaussée ? Tu mets toujours de la dentelle pourrie ? Des bas, pareil ? T’es restée dans les mauves, je parie ? Tu m’attends, je reviens tout de suite. » Bella esquisse un entrechat du salon à la chambre. La vengeance est une endorphine. L’esprit de Madame J’aime-Vos-Queues s’est retranché derrière les pupilles, quelque part entre le cortex et l’épine dorsale. Courgette écrasée, choux pas frais, pot de sanies. Emincé de limace et farandole de prurit.
Arrivé dans la chambre, Bella passe une main chaleureuse dans les cheveux du mari occis, « ça va comme tu veux lapin? » et inspecte la penderie. De retour au salon, il lui enfile le string comme on lange un bébé, tout en pestant contre les écoulements qui maculent le cuir beige. Elle ânonne sa souffrance. Le moindre contact lui retourne les globes oculaires. Agenouillé sur elle et lui ajustant son soutien-gorge, il aperçoit son reflet à lui dans la nuit de novembre, à travers la baie vitrée. Il s’entend lui dire « t’inquiète cocotte, le train arrive ». Elle sent qu’elle va mourir et ça l’apaise. Marionnette explosée, elle rêve d’abîmes. Elle ne sent pas le scalpel faire le tour de sa taille. D’excellente qualité, l’outil a entaillé les chairs sans provoquer de saignement. La ligne incisée fait penser à ces colliers que des presque mémères sophistiquées portaient il y a longtemps, sur les hanches, comme une frontière symbolique entre le haut, domaine de la parole et de la séduction, et le bas, monde du désir et du silence. Elle ne sent pas non plus qu’on la maquille, mal et trop.
Bella est sorti dans le jardin. Il fait entrer la nuit dans ses poumons. Ses clopes sont dégueu, elles ont une âcreté mal venue. Il y a des pieux de clôture posés contre l’abri de jardin. Un mètre vingt, bout triangulaire, ce sera parfait. Gardant un œil sur son demi cadavre, il enfonce de toutes ses forces le pieu dans le canapé. Le bout pointu devant se présenter à la victime, il doit s’y reprendre plusieurs fois pour traverser les couches de tissu et de cuir, faire éclater le carrelage et caler enfin le vit géant.
Il lui écrase le bâton de rouge sur les lèvres, repasse un peu de rimmel, balance le tout dans la trousse. Préparant son impossible sculpture, il monte, d’abord à vide, sur une chaise, afin de s’assurer que la hauteur de chute sera suffisante. Puis il place le lecteur de cassette dans sa cachette et appuie sur play. Il est maintenant devant elle. Les biceps sont sous les cuisses, les mains soutiennent les reins. Elle est légère, ou bien il ne sent plus rien non plus. Il monte sur la chaise, la porte à bouts de bras à la verticale au-dessus du piquet de clôture, puis déclare « Si on m'avait dit que tu finirais comme ça, ma grande !» La force d’attraction fait son office, elle est pénétrée par le métal jusqu’au plexus. Soucieux de la politesse, Bella attache les joues aux lobes avec une agrafeuse de tapissier. Nettoyage du verre à whisky, tour de la maison pour parer à tout oubli idiot, récupération des fringues normales, allez on se casse.
Bella est à la gare à 9h40, vingt minutes avant le départ du train pour Paris.
Xxx
Viola dormait. Le pays de ses songes était paisible. Sa chevelure enveloppait l’oreiller, vague roulant vers l’infini et obscure, dont le noir offrait un contraste exquis avec la pâleur des joues et la clarté du front dénué de soucis. Elle était au paradis éphémère du repos. Elle qui savait tout sans qu’on lui dise rien, elle dont l’a guet n’était à nul autre second, était demeurée sur le seuil, n’avait pu en affronter le gardien. Viola savait qu’en François Bella sommeillait. Elle n’en verrait jamais les éveils. Orphée, cette fois, descendrait seul aux Enfers. Eurydice devait vivre. Il enleva ses vêtements, repoussa le chien d’une caresse diplomate, vint près d’elle, s’endormit.
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