Boss
Le lendemain matin, ils se retrouvèrent devant la maison de retraite Ste Marie. À leur arrivée, ils saluèrent la secrétaire et se dirigèrent vers la chambre 201. Ils toquèrent et entrèrent sans attendre la réponse.
- Bonjour mes enfants ! Alors comment cela s’est-il passé ? Demanda une vieille femme, assise dans un fauteuil.
- Très bien, comme toujours, pas d’accroc. Tu pourras dire à ta voisine qu’il est parti en paix. Sa famille est, elle aussi, très contente, répondit tranquillement Clarisse.
- Parfait, sourit la vieille dame, J’ai déjà une nouvelle mission pour vous. Un résident aimerait que son épouse atteinte de la maladie d’Alzheimer meure le plus naturellement et le plus sereinement possible. Elle-même n’en peut plus et souhaite en finir le plus vite possible.
- Où habite t-elle ? Demanda Franck
- C’est la dame de la chambre 122.
- Ah non ! On avait dit aucune mission ici ! C’est trop dangereux, s’exclama Clarisse.
- Oui oui, je sais mais son mari m’a beaucoup aidée par le passé. Je lui dois bien ça.
- D’accord, dit Franck et il quitta la pièce.
- Qu ? Quoi ? Ca te va ? Boss, on en reparle plus tard.
Clarisse lui courut après et lui attrapa le bras.
- Tu es fou, c’était une de nos règles absolues. Pas dans l’entourage du boss.
- La dame souffre, le mari souffre.
- Mais plein de gens souffrent. On ne peut pas aider tout le monde.
Il hocha la tête, l’air de comprendre.
- Nous le ferons.
Clarisse fit la grimace. Quand Franck avait une idée en tête, rien ne l’en délogeait. Mais elle ne comprenait pas pourquoi un homme aussi strict sur les règles se permettait d’enfreindre de manière aussi évidente leur propre code. Ils l’avaient établi à partir du moment où le boss avait emménagé dans la résidence. Ils avaient donc naturellement décidé de ne pas travailler dans cet établissement, pour éviter de lui attirer des ennuis, et puis tuer des gens que l’on connaît, n’aide pas à dormir la nuit.
Ils s’étaient rencontrés trois ans auparavant dans le bureau du boss, une ancienne psychologue. C’est elle qui avait proposé cet entretien. Aucun des deux ne voyait en quoi cela allait les aider dans leur thérapie mais ils étaient curieux et avaient confiance en elle. Après les présentations d’usage, la discussion avait pris une tournure des plus étranges pour les deux patients. Elle leur proposait un marché. Former une équipe afin d’aider les personnes à passer de l’autre côté de la manière la plus humaine possible contre de l’argent. La première règle serait qu’ils refuseraient toute offre basée sur la vengeance. Le consentement de la personne était donc fondamental. La deuxième règle serait de refuser les aides au suicide. Elle voulait ramener de l’humanité dans la fin de vie. Après plusieurs minutes de silence où chacun essayait de digérer ce qui venait de se passer, Franck regarda Clarisse et lui demanda :
- Qu’as tu commis pour qu’elle te propose ce genre de marché ?
- Et toi ?
- Je suis un infirmier militaire.
- J’ai tué ma mère. Elle avait un cancer des os en phase terminale.
Leur yeux ne se lâchaient pas. Ils se testaient, se jaugeaient.
- Pourquoi me le dis tu aussi facilement ? Je pourrais aller te dénoncer, répondit Franck, quelque peu surpris de sa franchise.
- Mes crises suicidaires m’empêchent de dormir depuis maintenant 6 mois. Ta menace ne serait qu’une délivrance. Et toi ?
- Je ne t’ai rien dit de compromettant.
Clarisse finit par se tourner vers la psychologue :
- Et vous ?
- J’ai vu trop de gens souffrir sans pouvoir les aider. J’ai entendu des gens hurler qu’on les achève et que rien ne soit tenté. Notre sentiment de contrôle envers la vie et la mort est disproportionné et quand vient le moment de partir, nous nous retrouvons impuissant. Nous éditons de long protocole pour endormir, diminuer la souffrance mais la personne doit mourir par ses propres moyens. Vous avez tous les deux choisi une autre voie. J’aimerais mettre à profit votre expérience. Je vous laisse une semaine pour y réfléchir.
Ils s’étaient séparés ce jour-là, confus et perplexe, avec l’impression que le monde venait de prendre une autre couleur.
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