13. Cristal de roche
Le cristal de roche favoriserait la méditation et aiderait à combattre les blocages comme les brûlures.
°°°
— Décevant. Presque ridicule, d’ailleurs.
À quatre pattes sur le parquet ciré, l’adolescent regarde les gouttes floutées de sa transpiration exploser sur le sol. Sa respiration erratique brûle ses lèvres givrées. Ses poumons s’enflamment à chaque inspiration pendant que le contenu de son estomac remonte lentement dans sa trachée.
— Lève-toi, espèce d’imbécile ! Utilise ton Feu ! hurle la voix de son père.
Sa mâchoire se serre. Même s’il le voulait, Micah serait incapable d’obéir. Ses muscles sont sur le point de lâcher, chaque battement de son cœur envoie une onde de douleur dans son torse et sa peau se hérisse de frissons glacés. Pourtant, Micah sait qu’il doit se relever. Sinon…
Trop tard.
Une vague de flammes s’empare de son corps comme une étincelle consumerait une forêt desséchée. Le feu lèche sa colonne vertébrale, embrase sa peau et ronge la première couche de son épiderme. Ses cellules grésillent, sourdes à ses hurlements de souffrance.
Soudain, la chaleur disparaît, immédiatement remplacée par une sensation de frais. L’eau coule le long de ses mèches brunes, roulant sur sa joue avant de se mêler aux larmes qu’il n’arrive pas à contenir.
— Tu n’es qu’un idiot si tu penses que me résister va te servir à quoi que ce soit, siffle Onibi d’un ton dédaigneux. Tu seras le fils que l’Empire attend de moi, un Maître du Cercle des Calamités ! Et rien d’autre.
L’estomac de Micah se retourne. Un flôt brûlant sort de sa gorge pendant que ses sanglots l’étouffent toujours un peu plus.
— James ! aboie son père. Débarrassez-moi de cet incapable !
Des pas lourds secouent la pièce puis la porte du dojo coulisse avec fracas contre le bois. Micah s’écroule sur le côté et relâche enfin les gémissements qui se sont pressés derrière ses lèvres. Il ne peut même plus se recroqueviller, sa peau déchirée le lui rappelle violemment. Ne lui donne aucun moyen de briser ton mental. Des flashs d’un sourire, d’un regard noisette empli de bienveillance s’invitent dans l’esprit du jeune homme. Sémélé…
— Monsieur, vous m’entendez ?
Les paroles du vieux majordome résonnent dans les oreilles de Micah mais il n’a pas la force, ni l’envie de répondre. Laissez-moi. Il se sent soulevé, son dos hurle son supplice mais son esprit vogue trop loin pour que son propre calvaire l’atteigne. Je veux devenir un Maître. Mais pas avec une Maîtrise qui ressemble au pouvoir destructeur d’Onibi Théso.
Alors qu’il laisse sa tête dodeliner sur l’épaule de James, sa vision se trouble jusqu’à s’obscurcir. Ses paupières ont beau papillonner, il finit par s’abandonner aux limbes de l’inconscience.
La torture reprend quand Micah rouvre les yeux au milieu de l’après-midi. Il lève la tête vers sa table de nuit et un éclair de douleur le transperce de part en part. Un juron se perd dans le silence de sa chambre. Son regard reste planté sur son téléphone portable, innocemment posé à quelques centimètres de lui. Il tend la main, insiste jusqu’à ce qu’il sente sa peau se disjoindre un peu plus. Il laisse échapper un murmure plaintif quand ses doigts touchent le métal de l’appareil. Malheureusement, sa poigne est trop faible pour s’en saisir et l’objet tombe bruyamment sur le sol, hors de sa portée. Il gémit piteusement et ferme les yeux, refoulant son envie de pleurer.
Micah entend la porte de sa chambre coulisser. Son souffle se coupe à l’idée d’être à nouveau jeté sur le parquet du dojo pour une ultime session d’entraînement. Mais lorsqu’il aperçoit James entrer prudemment, un plateau entre les mains, il lâche un discret soupir de soulagement.
— Monsieur, votre père est parti sur le Continent avec Maître Charon, l’informe le majordome d’un ton rassurant. Il ne reviendra pas avant demain matin. Profitez-en pour vous reposer, je vous en supplie.
Micah observe James déposer son chargement sur le sol mais n’a pas la force de soutenir le regard de l’adulte quand ce dernier prend sa main dans la sienne.
— Votre dos est brûlé au second degré, déclare le vieil homme avec un léger tremblement dans la voix. Vous guérirez vite, Monsieur. Votre corps y est malheureusement habitué. S’il vous plaît, Monsieur, prenez soin de vous, l’implore l’adulte. Je vous soutiendrai quoi qu’il arrive.
Une larme s’échappe des yeux rougis du lycéen pendant qu’un sanglot difficilement réprimé secoue son corps meurtri. Sa main se serre autour du poignet du domestique, le remerciant du fond du cœur sans que les mots soient nécessaires.
Avant de se relever, James remarque le portable de Micah sur le sol et le dépose près du garçon, un sourire compréhensif naissant sur les lèvres :
— Si je puis faire quoi que ce soit pour vous, n’hésitez pas à m’appeler.
Sur ces paroles, l'employé sort de la chambre. Micah essuie son visage du mieux qu’il peut, ignorant la douleur qui le consume à chaque mouvement. Il prend son téléphone, le déverrouille. Pas de nouveau message.
Il n’a pas répondu à Kaïs, l’autre jour. Ce dernier n’a pas renchéri depuis. Normal. C’était déjà un gros effort pour lui. Son pouce remonte la conversation et il sourit tristement en relisant les messages grossiers de son camarade. Il ne sait pas quoi écrire. Il envisage, pendant un instant, d’envoyer « Mon père est un salaud » mais il se retient. Ça n’apporterait pas grand-chose. Pourtant, Micah n’en pense pas moins.
Il pose son téléphone en soupirant. Sa main se glisse sous son oreiller et il ferme les yeux, espérant que le sommeil emporte à nouveau sa souffrance.
OoO
« Hey »
Assise sur son lit, Léana efface son brouillon de message pour la énième fois. Toutes les phrases qui lui passent par la tête sont soit inintéressantes, soit ont un air de drague moisie. Elle lâche un grognement de frustration avant de lancer son portable un peu plus loin sur son matelas. Elle porte ses doigts à ses tempes pour éviter la migraine qu’elle sent déjà arriver. Ça ne devrait pas être si compliqué !
Un sifflement résonne dans sa chambre et son faucon d’Air émerge d’une brume légèrement bleutée en caquetant moqueusement. Léana plisse les yeux, essayait de déterminer s’il voulait l’aider à se détendre ou s’il se riait simplement d’elle. Après plusieurs secondes au cours desquelles l'oiseau l’observe simplement d’un air provocateur, Léana décide de s’offusquer :
— Quand j’aurais besoin d’un volatile humoriste, je saurai qui appeler, visiblement ! Tu ne voudrais pas m’aider au lieu de faire le malin ?
L’ignorant totalement, l’animal se met à nettoyer ses ailes sous le regard interloqué du lapin de Terre qui ne comprend pas l'intérêt de rendre propre des membres faits de vent. Du haut de son lit, Léana observe la scène d’un œil agacé. Ça m’apprendra à m’attacher à des familiers insolents.
Pendant qu'elle bougonne qu'elle n’a pas besoin de l’aide d’un piaf désagréable, le curseur du message continue de clignotter dans le vide. Elle jauge son télephone en serrant les lèvres. Je ne vais pas me laisser abattre. Elle étend son bras, prend à nouveau son portable puis fixe l’écran. Cette fois, c’est la bonne.
Après un temps, Léana met à point final à sa prose. Elle inspire profondément avant de relire les deux pauvres lignes qu’elle a réussi à bricoler :
« Hey ! Tu savais que la commune de Châteauneuf-du-Pape interdit son survol par des soucoupes volantes ? »
Elle grimace. Plus elle considère ces mots, plus elle est transie de gêne à l’idée d’envoyer un tel message. Y a pas à dire, il va me prendre pour une dingue s’il lit ça.
Ayant tout donné dans cette dernière tentative, elle se laisse tomber sur son oreiller avant d’écraser l'une de ses peluches sur son visage et d’y expirer toute sa frustration. Pourquoi tu veux à tout prix lui écrire ? Personne ne t’y oblige. Léana ouvre de grands yeux surpris. Regard que lui rend son pauvre ourson qui se retrouve bientôt jeté à l’autre bout du lit. Mais c’est vrai ça ! Mais oui ! Je pourrais totalement éviter ce casse-tête !
Se félicitant de ce sacré éclair de génie, Léana abandonne son portable pour le livre négligemment posé sur sa table de chevet. Depuis le temps qu’elle veut avancer dans sa lecture de "La Légende enkidienne du Souffle". Elle enlève son marque page et s’enfonce un peu plus dans son oreiller.
Un paragraphe plus tard, sa concentration s’est déjà envolée vers d’autres cieux. Il a quand même fait des pas vers toi. Tu pourrais lui rendre la pareille. Elle secoue la tête, comme si cela pouvait évacuer les voix moralisatrices de son esprit.
Raté.
Au bout de dix minutes de défaites contre sa concentration rebelle, elle ferme brutalement son roman :
— C’est bon. Autant arrêter complètement ces bêtises.
Elle attrape son téléphone, supprime son brouillon et ferme la conversation. Voilà. Ça vaut mieux comme ça. Elle se lève de son lit, fait trois pas en avant et lance l’appareil sur ses draps comme si elle marquait un panier à trois points. Elle regarde hautainement l’objet de toute sa haine s’écraser sur sa peluche tortue, glisser jusqu’au coin de son bouquin de maths avant de s’étaler sur un autre coussin. Bien fait pour toi.
C’est là qu’elle remarque que l’intéressé, ce traitre, est en train d’appeler. Lâchant une exclamation paniquée, Léana se précipite vers son lit, manquant de s’étaler de tout son long sur une pile de cahiers. Malheureusement, elle n’a pas le temps d’arrêter l’infâme acte du parjure avant qu’une voix flutée ne résonne dans sa chambre.
— Allô ?
La jeune femme se fige, interdite.
Merde.
Elle lève les yeux vers le plafond en serrant les lèvres. Enki, destin ou quel que soit le nom de l’entité qui écrit ce piètre scénario de vie… Je te déteste. Avec un soupir résigné, elle saisit son portable :
— Salut Micah, c’est Léana.
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