19. Pyrite
La pierre agit sur la frustration et laisse place à un regain d’énergie.
°°°
Léana inspire profondément. Étirant ses longs bras rougeâtres, la piste d’athlétisme s’étend devant elle. La jeune femme sourit d’un air mélancolique. Hey. J’espère que tu me pardonneras ma longue absence.
Pendant qu’une douce chaleur se répand dans le torse de l’adolescente, les rayons du soleil levant traversent les branchages de la forêt qui entourent le terrain et viennent caresser sa peau. Léana ferme les yeux, appréciant l’énergie que l’astre lui fournit.
Elle s’avance sur la pelouse, l’air frais du mois de novembre s’infiltre dans ses bronches. Quelque part au fond de sa poitrine, une sensation de sérénité se fraie un chemin. Et bizarrement, aucune honte, aucune culpabilité, ne vient la ternir.
Une étincelle orangée explose à ses pieds et son chaton de Feu s’élance dans l’herbe. Eh ! Quand on est poli, on dit au moins bonjour ! Sans accorder la moindre attention à sa maîtresse, le matou fonce à travers la pelouse, pourchassant férocement les rares feuilles mortes qui volètent au gré de la brise. Espèce d’insolent. Un petit rire s’échappe de la bouche de Léana lorsque le félin s’emmêle les pattes dans un saut et atterrit face contre terre. Un feulement outré retentit. Oupsi.
Même si la chasse épique de son familier mériterait d’être observée et commentée - Pardonne moi, petit chat -, elle ne peut pas s’empêcher de regarder, au loin, Kaïs écouter attentivement les directives d'Hashim. Ses traits sont plissés par la concentration, ses poings ancrés sur sa taille pendant que son attention se focalise entièrement sur son coach. Jamais le rouge de ses iris ne se détache du violet de celles de son entraîneur.
Un sourire timide naît sur les lèvres de Léana. Kaïs irradie d’une telle force de caractère qu’il est difficile de ne pas se sentir enivré par cette détermination furieuse de vouloir triompher de tout. Si son meilleur ami se lève quatre fois par semaine pour s'entraîner, qu’importe la météo ou la fatigue qu’il ressent, c’est pour une seule raison : se donner les moyens d’accomplir son rêve. Le reste, comme il le dit si bien lui-même, il n’en a “rien à foutre”.
Alors qu’un souffle d’air ébouriffe les cheveux de Léana, un spectre de brume se forme aux côtés de Kaïs. Le fantôme hoche la tête de la même façon que lui, sautille avec énergie et cette lueur intrépide dans ses yeux ne s’est pas éteinte. Lorsque l'ectoplasme se tourne vers elle, un air de défi sur le visage, Léana ne détourne pas le regard. Un jour, je reviendrai. Je me tiendrai à cette même place, tu verras. Son alter ego hoche la tête d’un air entendu. Puis la brise matinale emporte le souvenir avec elle.
Soudain, Léana sent quelque chose érafler sa cheville. Toutes épines sorties, son lapin de Terre se tient à ses côtés, ses prunelles couleur jade se plantent fermement dans les siens. Cette promesse n’est pas de celles que l’on confie au vent. Tu le sais. Les moustaches herbeuses de son familier frétillent et, pendant un instant, la détermination qui brille dans ses yeux ressemble à celle qui brûle à l’intérieur de Kaïs. Léana ouvre la bouche pour l'interroger mais l’animal s’est déjà lancé à la poursuite du chaton de Feu qui était sûrement en train de faire l’une de ces bêtises dont lui seul a le secret. Mais oui, ignorez-moi, bande d'ingrats !
Elle referme les pans de son manteau sur elle-même d’un air vexé. Franchement. On se demande qui vous a éduqués ! Elle continue de s’avancer sur la pelouse tout en ruminant les raisons d’aimer des animaux malpolis. Elle lève le menton, juste à temps pour voir le départ de la course de Kaïs.
— Ça y est, il est lancé, s’exclame Hashim lorsqu’elle atteint la barre blanche séparant la piste du gazon. Ce qui nous laisse tout juste un peu de temps pour t’entraîner, si tu le…
Non. Le cœur de Léana s'arrête. Non, non. Son corps se fige, sa vue se brouille. Son cerveau refuse l’information, la panique afflue dans ses veines. Son chant résonne dans le sang de l’adolescente : Je ne suis pas venue pour ça, je ne suis pas capable de reprendre, je… Avant même que son esprit ait formulé la volonté potentielle de se lancer dans un exercice simple, ses muscles se sont pétrifiés et son souffle accélèré.
— Léana ? Léana, calme-toi. Tout va bien, rassure la voix d’Hashim. Ce n’est pas un entraînement physique mais un simple exercice de Maîtrises ! assure-t-il en haussant le ton.
Ah. La jeune femme cligne furieusement des yeux pour se défaire du voile qui s’était déposé sur ses iris. Le tsunami de ses angoisses la recrache violemment et elle cherche désespérément de l’air, pauvre rescapée d’un naufrage causé par son traître de corps. Punaise. Elle pose une main tremblante sur sa gorge. Est-ce que c’est ça la solution ? Me battre continuellement contre mon propre organisme en espérant un jour reprendre les rênes ? Elle déglutit avec difficulté avant de relever la tête vers le visage inquiet de son coach.
— Je… je suis…, commence-t-elle, les sourcils froncés.
— Je ne t’obligerai jamais à faire une chose qui te met mal à l’aise, affirme-t-il fermement. Jamais.
Léana acquiesce. Elle n’ose pas soutenir son regard pendant qu’il l’étudie d’un air soucieux. Elle ouvre la bouche. Elle aimerait le rassurer, lui dire qu’elle sait très bien, que ce n’est pas contre lui mais aucun de ces mots ne franchit ses lèvres. Elle lève le menton vers lui, perdue. Ce n’est pas de ta faute, Hashim. Je…
— Léana. Tu es en sécurité ici. Avec Iris, avec moi, tu es en sécurité. Nous serons toujours là pour t’épauler, quoi qu’il arrive.
Tu n’es pas seule. À l’intérieur de son crâne, la voix de Kaïs se mêle à celle du Maître. Léana hoche la tête avant d’inspirer profondément. Ses poings se détendent et la tension dans ses jambes se relâche. Puis elle plonge son regard orage dans celui de son coach.
— Est-ce que tu serais à l’aise pour suivre un exercice de méditation ? demande-t-il précautionneusement.
Elle hoche la tête.
— Très bien. Suis-moi.
Sans un mot de plus, Hashim la guide jusqu’à l’ovale verdoyant au centre de la piste d’athlétisme. Elle le regarde se placer face à elle, un sourire encourageant sur les lèvres.
— Allez, on est partis. Essaye de copier mes mouvements jusqu’à ce qu’ils deviennent familiers pour toi, déclare doucement le coach. Après ça… tu sauras naturellement quoi faire.
Léana n’a pas le temps de murmurer son accord que le Numéro Neuf a déjà commencé. Elle écarte les pieds et lève lentement les bras devant elle. Lorsqu’Hashim expire profondément, elle fait de même, tout en imitant le demi-cercle que sa main gauche vient de tracer dans les airs. Son autre paume descend posément jusqu’à sa hanche avant de remonter au niveau de son épaule. Son pied gauche se soulève et, tout comme lui, elle le pose légèrement sur le côté. Inspiration. Son bras remonté se baisse, l’autre prend lentement sa place. Expiration. Ses mains se tendent, l’une vers le sol, l’autre vers le ciel. Inspiration.
Léana s'immerge dans la lenteur de ces postures. Un mouvement après l’autre, un pas après l’autre. Inspiration et expiration. Ses yeux se ferment. Son corps suit une mélodie que lui seul entend. Au fur et à mesure que ces positions se répètent, la délicatesse de chacun de ses gestes insuffle un calme bienvenu au sein de son esprit. C’est tout juste si elle entend le vent chuchoter à ses oreilles ou le froid mordre sa gorge nue.
Alors que ses mains esquissent des courbes l’une au-dessus de l’autre, des milliers de gouttelettes se forment autour de la jeune femme. Elle sent chacune d’elles tournoyer dans les airs aussi lentement que le rythme de sa chorégraphie. Léana écarte les doigts et les larmes d’eau se séparent en quatre puis en huit, jusqu’à se fondre en une épaisse brume. Si elle ne voit pas sa loutre d’Eau louvoyer dans ce cocon de nuages, l’imaginer y naviguer fait apparaître un sourire sur ses lèvres.
Bien évidemment, Léana ne peut laisser son familier d’Eau sans son ami de toujours. À peine y-a-t-elle pensé qu’un souffle chaud se répand sur ses joues. Il court sur ses épaules, entoure son torse avant de glisser jusqu’à ses pieds. Elle imagine son chaton de Feu s’élancer en cercles concentriques autour d’elle. À force, il aurait juste le tournis. Elle inspire profondément puis referme ses mains en poings. Dans les nuages au-dessus d’elle, des étoiles de glace se gravent sur les gouttes, insensibles à la fougue du félin enflammé au sol. Elle expire tranquillement avant de pousser gentiment le givre à embrasser l’Eau dans un magnifique ballet hivernal.
Pendant un instant, le corps de Léana trouve la force de se libérer de ses chaînes. Les ténèbres au fond de lui s’effacent. Chacune de ses cellules s’unit aux particules de pouvoir émises par la jeune femme. Comme si elles retrouvaient un vieil ami, ses Maîtrises embrasent son sang, vibrent avec ses muscles et chantent leur harmonie. Léana relâche un soupir d’aise.
Un grondement sourd éclate au-dessus d'elle. En transe, Léana ne s’effraye pas. Ce son lui est familier. Tellement familier qu’il crée une onde chaude dans sa poitrine. Un flash. Le bourdonnement s’intensifie, couvrant le bruit du vent hurlant dans ses oreilles. Elle ouvre les yeux. Cette résonance si particulière…
Alan.
Son cœur manque un battement. Dans l’orage qui mugit autour d’elle, un écho grandit. Alan, ta Maîtrise du Son… elle… Un éclair zèbre les nuages. Le tonnerre la secoue pendant qu’il rugit brutalement dans le ciel. Soudain, elle revoit Hashim et Alan s’entraîner en riant. La foudre crépite entre les doigts de son coach pendant qu’un grondement effrayant résonne autour du père de Kaïs. Un sourire nostalgique se peint sur les lèvres de Léana pendant que la tempête perd de son intensité. Je crois… Je crois que j’ai compris.
Elle ralentit le rythme de ses mouvements. Alors qu’un dernier roulement impérieux fait vibrer l’air, Léana distingue les traits d’Alan dans la bourrasque qui ébouriffe ses cheveux. Ses lèvres se serrent sous l’émotion puis elle acquiesce, une larme de joie roulant sur sa joue. Oh Enki.
Alors qu’elle rappelle gentiment ses familiers à elle, la brume cachant ses Maîtrises se dissipe. Léana se laisse tomber au sol avant de pousser un soupir d’allégresse. Punaise. C’était génial.
— Sacrée démonstration que tu nous as fait là ! Tu étais magnifique ! Digne du titre de Prodige !
Son coeur tambourinant dans sa poitrine, elle tourne la tête vers Hashim. De terribles éclairs mauves crépitent encore autour des bras musclés du Maître. Il a sûrement dû provoquer une énorme tempête pour camoufler la tienne. Elle se mord la lèvre pour réprimer un sourire. À quelques millimètres de son épiderme, de petites étincelles électriques grésillent encore. Elle lève les yeux vers le ciel et, pendant que son corps élimine l’adrénaline, l’adolescente éclate de rire.
Elle rit jusqu’à en avoir mal au ventre. Et honnêtement, ça fait du bien. Si Hashim l’observe d’un air interrogateur, une lueur amusée brille dans son regard améthyste.
— C’est mon visage qui te fait marrer, jeune fille ? demande-t-il, faussement vexé.
Léana secoue la tête tout en essayant de retrouver son souffle. Tu n’es pas seule. Elle sourit sincèrement à Hashim avant de relever le torse, les coudes sur ses genoux remontés.
— Je crois… que je viens juste de comprendre un truc vraiment important, déclare-t-elle en respirant le plus posément possible. Et j’ai probablement été stupide de pas l’avoir compris plus tôt.
— Stupide ? Tu es sûre de vouloir te qualifier de la sorte ?
Peut-être pas. Léana passe une main gênée dans ses cheveux pendant que son regard se porte sur la foulée tranquille de Kaïs. Tu n’aurais clairement pas relevé cet adjectif, toi. Léana réprime un sourire avant de se tourner vers son coach.
— Non… Mais disons que je suis assez lente du bulbe.
Cette fois-ci, c’est au tour d’Hashim d’éclater de rire et elle se joint à lui avec plaisir.
Quand il tend sa main pour l’aider à se relever, Léana fixe sa paume ouverte. Elle inspire profondément avant d’acquiescer légèrement, comme pour se donner du courage. Les doigts du Maître se referment sur les siens et elle se sert de sa force pour se redresser.
— Lente du bulbe ou pas, tu as toujours été une battante, Léana. Et cette force-là, on ne pourra jamais te l’enlever, reconnaît fièrement Hashim en couvrant sa protégée d’un regard affectueux.
Léana baisse les yeux, un peu gênée, avant de prendre la parole :
— Cette fois, ma force risque de ne pas… suffire, confie-t-elle en relevant le menton. Je veux avancer. Mais mon corps…
Elle secoue la tête. Elle n’est pas encore prête à faire ce pas là. Mais un jour elle le sera. Un jour… Je me le promets.
— J’ai besoin de toi, Hashim. Je veux guérir. Et je ne peux pas faire ce chemin seule.
OoO
Micah Théso : Hey !
Micah Théso : Kaïs t’a dit qu’on travaillait sur le TPE chez lui ce matin ?
Micah Théso : RDV 10h !
Micah Théso : (Je crois que tout retardataire aura la tête coupée… Quel poète celui-ci.)
Micah Théso : À toute !
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