23. Aigue - Marine

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Cette pierre renforce les sentiments amicaux.

°°°

Léana regarde les grilles du lycée d’un air déterminé. Salut, vieille branche. Sa longboard sous le pied, elle observe le macadam de la cour s’étendre derrière les barreaux métalliques pendant que les bâtiments à la peinture écaillée la surplombent d’un air hautain. Finie la rigolade, semblent-ils lui dire. Que tu crois.

L’adolescente pose son sac sur le sol avant d’y fixer précautionneusement sa planche à roulette. Allez. Elle se relève puis inspire profondément. Tu peux le faire. Sans aucune hésitation, elle s’élance dans la fosse aux lions. Pareille à la brise de novembre qui fait voleter ses cheveux, elle slalome entre ses pairs, se faufile à l’intérieur de l’édifice et fonce jusqu’à son casier où elle peut reprendre son souffle. Étape un : succès critique.

Alors que son coeur cogne fort dans sa cage thoracique, la jeune femme enfonce sa clé dans le verrou. Tout va bien. Le brouhaha ambiant agresse ses oreilles, chaque mouvement trop près de sa peau provoque une onde de stress dans ses veines mais elle se concentre exclusivement sur les livres qu’elle range soigneusement dans le compartiment. Ce n’est rien. Personne ne te fera de mal. Ses bronches la brûlent. Calme-toi. Elle ferme la boîte métallique avant de foncer dans les couloirs, ignorant le poids pesant sur son estomac.

Aussi silencieuse qu’une ombre, Léana rase les murs. Dépêche-toi. Les trajectoires possibles fusent dans son crâne pendant qu’elle évite souplement les gestes brusques d’une terminale racontant passionnément ses vacances au ski ou l’épaule osseuse d’un type concentré sur son portable. Oh punaise, c’est pas passé l…

Boum.

Trop faible pour amortir ce choc, la lycéenne se retrouve projetée contre la paroi de béton. Les excuses rapides de l'intéressé qui l’a bousculée, elle ne les entend pas. La douleur explose dans son crâne, mille aiguilles transpercent sa peau.

Bordel.

Tu es encore plus frêle qu’avant.

Léana ravale un gémissement. Les quelques séances de méditation avec Hashim n’avaient visiblement pas suffi à ralentir le déclin de sa forme physique. Mais ce serait mentir que de dire qu’elle ne l’avait pas espéré. Quelle idiote.

Pliée en deux contre le mur, la jeune femme laisse échapper une larme de rage. Pendant les vacances, elle avait cru que son corps et son esprit avaient commencé à se reconnecter. Elle avait eu le courage de demander de l’aide, de ne pas s’entêter à trouver une solution seule. Pendant ces quelques jours, elle s’était persuadée, sourire aux lèvres, qu’elle arriverait bientôt à enfiler un survêtement sans pleurer, qu’elle n’entendrait bientôt plus le spectre de Nergal lui susurrer que tous ses efforts étaient vains car elle était brisée. Au fond d’elle, des chaînes tintent l’une contre l’autre.

Qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce que je peux faire de plus ? Entre désespoir et colère, ses paupières se ferment, ses poings serrés se plaquent contre le mur. Elle n’a plus beaucoup de temps avant que ses Maîtrises ne disparaissent avec ses souvenirs. Qu’est-ce que je…

Des éclats de rire la sortent de ses réflexions. Léana ouvre les yeux, prête à encaisser un autre choc. À quelques mètres d’elle, les filles de sa classe sont toutes attroupées autour d’un grand brun aux iris bleutés. Micah. Léana laisse son regard errer sur les traits rieurs de l’adolescent, une légère chaleur se déposant sur ses joues.

Quand une de ses admiratrices pose une main sur son bras, il glisse une des mèches qu’il n’a pas réussi à rassembler dans son chignon derrière son oreille, se débarrassant nonchalamment de ce toucher trop familier, avant de rire d’un air gêné. Léana se redresse lentement pendant qu’elle observe ses camarades se presser autour du garçon. Elle les entend lui demander s’il a passé de bonnes vacances, s’il voudrait bien leur faire du soutien scolaire après les cours ou aller boire un verre un de ces quatres.

Si Micah décline chacune de leurs propositions, il le fait avec chaleur, sa bienveillance naturelle illuminant son visage. Comme hypnotisée par la scène qui se joue devant elle, Léana ne réalise pas tout de suite qu’elle s’est avancée d’un pas vers la petite troupe. Elle aimerait entrer dans la lumière, se laisser envahir par ce réconfort que le jeune homme diffuse autour de lui.

Alors qu’elle s’apprête à faire un autre pas en avant, ses pieds s’ancrent dans le sol. Tu ne peux pas faire ça. La jeune femme baisse les yeux sur ses chaussures, les sourcils fronçés. Tu ne peux pas ternir son aura avec tes ténèbres. Elle se mord la lèvre. Dans sa poitrine, quelque chose se fendille. Elle secoue la tête avant d’essayer, sans trop pousser le groupe, d’accéder à sa classe quelques portes plus loin. Elle n’a même pas besoin de jouer des coudes pour dépasser l’amas d’adolescents et ce n’est que lorsqu’elle se glisse à l’intérieur de sa salle de cours qu’elle relâche enfin la respiration qu’elle retient.

Elle s’installe à une table près des fenêtres, assez loin du tableau. Les ombres qui l’accompagnent prennent place à côté d’elle et resserrent leur étreinte sur sa gorge. Les yeux de la jeune femme se perdent dans la brume au-delà des vitres, son esprit vagabonde vers une réalité où son corps lui appartiendrait à nouveau.

Soudain, des exclamations outrées résonnent dans le couloir et une voix rauque rugit :

  • DÉGAGEZ DE MON PUTAIN DE CHEMIN, BANDE DE FIGURANTES À LA NOIX !

La voix immanquable de Kaïs sort immédiatement Léana de sa rêverie. Elle grogne en posant ses doigts sur ses tempes. Une migraine est déjà en train de resserrer ses griffes sur son cerveau. Merci Kaïs. Son ami d’enfance débarque dans la pièce comme s’il en était propriétaire et pose bruyamment son sac sur la chaise la plus proche du tableau. Ses yeux grenat se fixent sur la jeune femme puis il s’exclame :

  • Qu’est-ce que tu branles, face de crêpe ? On a cours en salle 20, pas en salle 02 !

Léana fronce les sourcils, persuadée d’être dans la salle de classe habituelle :

  • Mais l’emploi du…
  • Pas ce matin, bordel. Tu regardes pas tes mails assez souvent, tronche de tarte ! Dépêche putain, on va être en retard !

La lycéenne prend rapidement ses affaires et suit le garçon. Pendant qu’il bouscule – encore une fois – les fans de Micah, Léana fixe le blond qui fonce vers la cage d’escalier sans un regard pour le jeune homme. Elle non plus n’ose pas lever la tête vers lui. Elle préfère s’engouffrer dans le sillage de Kaïs pendant que ce dernier crie des vulgarités plus que déplacées jusqu’à ce qu’ils entrent dans la salle de classe adéquate.

Lorsque la sonnerie du déjeuner retentit, Léana soupire de soulagement. La tête posée sur ses bras, elle observe les autres terminales sortir comme des sauvages et remarque que Kaïs se trouve en première ligne. Elle lève les yeux au ciel tout en masquant un petit sourire dans le creux de son coude. Une fois le flot des lycéens affamés réduit, Léana en profite pour enfin se glisser dehors.

Même si la file pour la cantine reste assez courte, elle a l’impression d’attendre des heures jusqu’à ce qu’elle puisse enfin toucher un plateau. Sa mâchoire se serre à chaque fois que les lycéens autour d’elle l’effleurent, même par inadvertance. Pressée de se soustraire à cette torture, elle remercie rapidement la cantinière avant de prendre l’assiette végétarienne et une part de tarte aux pommes. Au moins une chose un peu sympa dans cette journée. Les yeux posés sur l’objet de sa gourmandise, elle saisit son plateau et se dirige vers la salle de repas. Aucune table n’est malheureusement vide. Génial.

Alors qu’elle se marche vers celles qui sont au plus près des baies vitrées, deux bras levés attirent son regard. Micah. Qui lui fait des grands signes. Merde. La lycéenne lui sourit d’un air gêné et traîne les pieds jusqu’à l’adolescent. Je ne survivrai définitivement pas à cette journée. Je n’avais pas vraiment pas prévu de me faire assassiner par tes groupies. Mais, à mesure qu’elle se rapproche de lui, une chevelure blonde en pétard apparaît en face du brun.

Léana pose son plateau sur la table et s’assoit à côté de Kaïs qui a l’air de ronchonner encore plus que d’habitude. Elle interroge Micah du regard pendant qu’elle enlève sa veste et son écharpe.

  • Hello ! salue poliment Micah. Comment tu vas depuis la dernière fois ?
  • Bien, hésite-t-elle, consciente d’être la proie de regards jaloux.
  • Maintenant que face de cupcake est là, bordel, qu’est-ce que tu nous veux, Mister Freeze ?

Léana essaye de ne pas sourire quand elle lit l’agacement sur le visage de l’interrogé. Le jour où Kaïs t’appelera par ton prénom, il faudra fêter ça avec un gâteau et des confettis. Je me chargerai du gâteau. Elle commence à couper ses œufs en attendant que les deux garçons cessent de se chamailler.

  • Les putains de potiches ne te suivent plus à la trace ?
  • Elles sont… un peu collantes, grimace Micah, les yeux baissés sur son assiette. Je leur ai dit qu’on devait parler de notre TPE pour avoir la paix.
  • T’es pas crédible, putain.
  • C’est toi qui n’est pas crédible.
  • T’as une putain de bonne répartie toi, grince Kaïs avec un sourire narquois.
  • Merci.
  • C’était du sarcasme bordel !
  • Nooon, jure !

Léana hésite entre exploser de rire ou lever les yeux au ciel. Sans intervention de sa part, la conversation - le ramassis d'âneries, oui - plongerait dans une absurdité certaine. Elle l’avait déjà vécu. Ses oreilles en avaient pâti. Aussi, pour préserver son audition déjà bien fragilisée, la jeune femme prend les deux energumènes de vitesse et les interrompt :

  • Tu ne te sentais pas bien ? demande-t-elle doucement à Micah.
  • J’avais juste envie d’être avec des personnes de confiance, murmure-t-il en souriant.

Cette petite phrase a pour effet de rabattre le caquet ouvert de Kaïs. Léana l’entend grogner que son chili con carne n’est pas assez épicé avant qu’il ne l’engloutisse entièrement. Elle adresse un coup d’œil complice à Micah puis commence à manger ses œufs et ses légumes.

Pendant que Kaïs raconte à quel point l’incompétence de leur classe atteint des sommets, Léana réalise qu’elle se sent bien à cette table. Elle peut, pendant un instant, oublier ses peurs et ses angoisses. Elle devine parfois des regards appuyés dans son dos, mais lorsque Kaïs aboie aux intéressés qu’ils feraient mieux de mettre leur curiosité dans des endroits inappropriés, Léana croise le sourire rassurant de Micah. Tu es en sécurité, semble-t-il lui dire.

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