46. Anthémis des champs
Cette fleur représente une cassure, une rupture.
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Micah n’a pas le temps d’empêcher la déflagration. L’air s’enflamme, le bruit de la détonation lui perce les tympans, l’extrême chaleur agresse son épiderme. Le souffle de l’explosion le projette violemment à l’autre bout de la pièce. Son dos percute brutalement le mur et un craquement horrible résonne dans son crâne.
Ses mains ont laissé échapper le chaton abandonné, des débris de bois et de verre ont creusé des sillons sanglants sur sa peau. Le liquide grenat dégouline le long de son front, se répand le long de l’arrête de son nez pour rejoindre ses joues tailladées. Bordel.
L’adolescent bande ses muscles pour se relever puis serre les dents. Bouge. Sa souffrance se déverse dans ses veines comme un torrent de métal en fusion. Bouge, putain. Ses bras tremblent sous l’effort, ses ongles raclent le sol… BOUGE !
Alors qu’il lève péniblement la tête, son regard parcourt avec désespoir les flammes orangées qui dévorent déjà le plancher, détruisent les meubles et font flamber l’armature de la cave. Le corps de Kaïs gît à quelques mètres de lui. Immobile. Du sang noir souille ses cheveux clairs.
Non.
Le visage défiguré par sa détresse, Micah mobilise le reste de ses forces pour ramper vers son camarade. Les battements de son cœur résonnent violemment dans son crâne. Sa peur l’empêche de respirer. Des volutes de fumée voilent sa vision. Mais ses ongles continuent de griffer le bois du plancher, centimètres après centimètres pour s’approcher un tant soit peu de Kaïs.
Ses poumons le brûlent, ses bronches s’irritent à cause du manque d’oxygène et son tee-shirt se déchire. Sa peau roussie s’expose aux éclats de bois qui l’égratignent à chaque mouvement. L’adrénaline cavale dans son cerveau, allumant tous les signaux d’alarme pendant que son angoisse efface de son esprit le risque d’aggraver l’état de santé de Kaïs par un simple toucher.
Tu dois vivre !
Le lycéen tend la main vers son ami inconscient. Trop loin. Un sanglot de frustration dépasse ses lèvres sèches alors que l’incendie festoie de la sècheresse et de la vieillesse des fondations de l’habitation. D’épaisses braises s’abattent près du corps de son ami. Les flammes avides se mêlent aux débris carbonisés puis se propagent dangereusement vers Kaïs. Elles lèchent le sol près de ses épaules, traînent le long de ses avants bras avant de s’attaquer goulûment à son pull.
La mâchoire de Micah se serre si violemment qu’il entend une de ses dents craquer. Le désespoir rongeant sa gorge se confond avec la rage qui bout dans ses veines, sa détresse fusionne avec sa haine contre cet élément destructeur et, lorsqu’il comprend qu’il arrivera trop tard pour le blond, un cri lui déchire la trachée.
— KAÏS !
Ses globes oculaires sont trop secs pour laisser couler ses larmes de frustration. Sa main tendue vers son camarade est inutile. Pourtant, alors que le brasier emprisonne Kaïs dans son cercle enflammé, le cœur de Micah manque un battement. Emprisonnée depuis des années, une force inouïe rugit dans ses veines puis fonce à pleine puissance à travers ses membres avant de se concentrer dans ses doigts engourdis.
Trop concentré sur son ami, l’adolescent ne voit pas son poulain se matérialiser à ses côtés. Si l’animal montre les dents, son sabot de flamme raclant le plancher, ses yeux rougeâtres se plissent et se ferment. Symbole du changement d’état d’esprit de Micah, l’équidé troque l’orangé de ses flammèches contre un magnifique bleu céruléen. Son regard se transforme en deux pupilles azur, similaires à celle de son homologue de Glace et, avec un hennissement déterminé, il galope vers les filets de lumière cobalt émergeant de la paume de son maître.
Une flambée bleutée se rue sur la fournaise écarlate, s’élève puissamment contre son ennemie et la harcèle jusqu’à ce que celle-ci batte en retraite. Les jeunes flammes de Micah entourent le corps de Kaïs, le protégeant des assauts de l’incendie qui continue de gronder autour des deux adolescents.
Un soupir de soulagement dépasse les lèvres sèches de Micah. Il se traîne lamentablement jusqu’au blond avant d’agripper le poignet de celui-ci.
Si une voix au fond de son esprit lui hurle de s’écarter, de ne pas le toucher, elle est étouffée par l’urgence de la situation.
Micah a beau secouer Kaïs, rien ne se passe. Sa propre respiration se fait de plus en plus difficile. Le lycéen pose deux doigts sur la gorge de son camarade. Un battement. Deux battements. Alors que la maison menace de s’écrouler sur lui, le jeune homme plonge son visage dans l’épaule de Kaïs, remerciant Enki d’un souffle.
Malgré la douleur insoutenable que lui cause son dos, Micah réussit avec peine à s’agenouiller devant son ami. Les griffes de sa souffrance s’enfoncent dans ses côtes pendant qu’il passe un bras sous les jambes du blond et un autre sous ses aisselles. S’il trouve la force de serrer Kaïs contre lui, il ne reconnaît pas là l’énergie du feu bleuté qui se propage dans ses veines. Il cale la tête ensanglantée de son camarade contre son épaule avant de se redresser avec difficulté.
Alors que son organisme commence à manquer sérieusement d’oxygène, son regard se tourne vers l’escalier consumé par les flammes. Vite. L’adolescent pose son pied droit sur la première marche. Elle cède sous son poids. Quelques braises étreignent son pantalon, une fournaise orangée naît de leur union et embrasse la peau du lycéen. Mais Micah ravale sa peine et réessaye avec la suivante. Il décide de miser sur la rapidité en consolidant tant qu’il le peut le bois avec une épaisse couche de glace. L’incendie est trop avancé pour que cette stratégie soit très fiable. Pourtant l’adolescent, même alourdi par le corps tout en muscles de Kaïs, réussit à gravir les escaliers jusqu’au rez-de chaussée.
À l’étage, le plafond a commencé à se désagréger. Des poutres enflammées pendent vers le sol tandis que des braises volètent dans l’air chargé de fumée noire. La sortie que Micah vise est barrée par un monticule de planches à moitié dévorées par la fournaise. Les fenêtres n’existent plus, le souffle de l’explosion a délogé le verre de leur portant.
Pendant que le bouclé marche vers la porte par laquelle il est entré, des flammèches bleutées repoussent celles qui rongent la peau de leur maître avant de s’infiltrer dans ses veines, lui donnant la force nécessaire pour continuer à avancer. Ses yeux se posent sur les obstacles qui lui barrent la route et, pendant un instant, un voile couleur saphir se dépose sur ses pupilles. Un battement de cil. Les paupières de l’adolescent s’ouvrent sur un chemin balayé de toute obstruction. Il peut enfin s’échapper de cet enfer.
Dehors, un groupe de passants curieux et effrayés s’est regroupé devant la maison. Une vague d’exclamations parcourt la petite assemblée devant l’apparition des deux adolescents en bien mauvais état. La gorge de Micah est tellement irritée par la fumée que lorsqu’il veut hurler d’appeler une ambulance, seul un râle rauque en sort.
Son hôte hors de danger, l’énergie conférée par la Maîtrise de Feu s’évanouit. Les jambes du bouclé faiblissent et il s’écroule sur le sol. Dans sa chute, il fait de son mieux pour protéger la tête de Kaïs. Puis, épuisé, Micah se laisse emporter par l’inconscience.
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