47. Mimosa d’hiver
Cette fleur exprime la sensibilité ainsi que la fragilité.
°°°
Les paupières de Micah s’ouvrent et se ferment faiblement. Quelques sons lui parviennent mais il échoue à en déterminer l’origine. Il ne sait pas où son corps ne commence ni où il se termine. Il arrive parfois à capter la lueur des rayons du soleil mais il est trop faible pour rester éveillé. Bercé par l’odeur aseptisée s’infiltrant dans ses narines, le jeune homme oscille entre conscience et inconscience.
Engourdi par la fatigue, son cerveau n’a pas la force de combler les failles de sa mémoire encore embrumée. L’obscurité l’envahit, l’étreint de son oubli bienvenu et plonge avec lui dans les méandres de son esprit. Mais quelque chose le retient. Un tiraillement dans son bras gauche. Le lycéen se force à ouvrir les yeux et découvre un cathéter fermement planté dans sa peau. Son dégoût pour l’instrument le fait se détourner, empêchant ainsi le liquide brûlant qui se presse dans sa gorge de se libérer violemment de sa bouche. Sa vision troublée se teint de noir alors qu’il plonge à nouveau dans limbes.
C’est un bruit strident qui le sort de ses rêves. Comme une chaise que l’on tire. L’adolescent tourne doucement la tête vers l’origine de la sonorité et se force à détailler la personne qui vient de s'asseoir près de son lit. Ses sourcils se froncent, son regard se voile. Un effort surhumain lui est nécessaire pour résister à l’appel si tentant des bras de Morphée. Devant ses yeux plissés, les nuages gris s’évaporent et laissent apparaître un vieil homme aux cheveux blancs.
— James ?
Micah ne reconnaît pas sa propre voix. À mi-chemin entre un murmure et le croassement d’un corbeau, la vibration dans sa gorge lui donne envie de tousser. Ses poumons se contractent pour lui laisser la possibilité de sortir cette espèce de poussière qui repose à l’arrière de sa bouche. Mais la pression envoie une vague de douleur à travers son corps. Le jeune homme serre les dents. Conscient du peu de temps qui lui reste avant d’être emporté par sa fatigue, il s’appuie avec peine sur le lit pour se redresser.
— Doucement, ne vous fatiguez pas trop, chuchote doucement son majordome.
Malgré les ténèbres qui règnent dans son esprit, Micah distingue la blouse immaculée qui l’habille. La soie du tissu est aussi douce que les draps sur lesquels il repose. Sur sa poitrine, à gauche, sont brodées les lettres « C » et « I » avec un fil doré.
Comme s’il retrouvait le contact avec son propre corps, Micah touche avec incompréhension la gelée transparente qui a été apposée sur ses bras. En pleine exploration, son regard se tourne vers ses jambes marquées par des cloques dont certaines n’ont pas encore explosé. Ces dernières ne sont pas particulièrement douloureuses mais c’est l’aspect de sa peau qui est inquiétant. Brunâtre, de temps à autre blanchâtre, son épiderme a été ravagé par quelque chose, parfois même entièrement détruit. Pour l’expérience, le blessé se concentre pour relever son genou droit de son lit. Il n’a pas le temps de le plier plus d’un millimètre qu’un éclair de souffrance le taillade brutalement. Un gémissement de douleur se presse derrière ses lèvres sèches et l’adolescent le libère immédiatement.
Soudain, comme lancés à des centaines de kilomètres heures, ses souvenirs l’incisent, le lacèrent et le déchirent violemment. Tout lui revient en pleine figure. La course poursuite, la maison, la fuite de gaz… L’incendie. L’impossibilité de respirer, la chaleur, les flammes… Kaïs.
Tu l’as touché.
Tu l’as serré contre toi.
Sans t’être débarrassé de la malédiction qui pèse sur ton sang.
Micah ouvre la bouche, paniqué :
— Est-ce que… ?
— Je ne sais pas, le coupe gentiment James en secouant la tête. Je vous ai récupéré avant que votre ami ne soit pris en charge.
— Mais…
Le jeune homme s’interrompt pendant que son cerveau remet toutes les pièces du puzzle en place. Aucun hôpital public n’habille ses patients de soie brodée, aucune chambre de soin n’est décorée aussi pompeusement que la sienne et aucune ne possède une vue aussi impressionnante sur des cascades d’or et de rubis. Tout autour de lui sent beaucoup trop la richesse et le pouvoir pour appartenir à une infrastructure dirigée par des Humains. Merde. Un seul établissement est assez bien pour un des héritiers de l’Empire.
La Clinique Impériale.
Il est de retour sur le Continent.
— C’est un ordre de votre père, soupire doucement l’adulte. Je n’ai rien pu faire.
Micah ferme les yeux en laissant sa tête rouler sur ses oreilles en plumes. Le voilà séparé des deux personnes qui l’ont aidé à voir sa vie autrement qu’en un enchaînement d’obligations imposées par son père. Pour combien de temps ? Chaque mouvement trop brusque lui arrache un soupir de douleur.
— Quand est-ce que je pourrais sortir ? éructe-t-il avec difficulté.
— Cela dépend. Vos jambes ont été brûlées au troisième degré, murmure James, l’air désolé. Selon les docteurs, il vous faudra sûrement une greffe de peau.
Le jeune homme tourne son regard vers la longue baie vitrée qui parcourt un des murs de sa chambre. Dehors, une fontaine dorée crache des pierres précieuses qui viennent s’échouer dans un immense bassin d’agent. Il n’a pas le temps d’être malade. Il doit absolument savoir si Kaïs s’en est sorti. Ses yeux lourds de fatigue tombent sur son portable en train de charger près de la fenêtre. Sa main se tend lentement vers l’appareil mais le visiteur l’arrête tout de suite.
— Attendez, ne vous faites pas mal.
Lorsque James place délicatement le téléphone de son protégé entre ses doigts brûlés, le lycéen remercie le vieil homme d’un sourire crispé. Un peu angoissé par ce qu’il risque de trouver, Micah déverrouille l’appareil. Son épuisement le draine du peu d’énergie qu’il a pu récupérer mais il ne s’inclinera pas devant la faiblesse qui l’accable avant d’être au courant de l’état de Kaïs.
La date affichée sur l’écran lumineux lui fait marquer un temps d’arrêt. Deux jours se sont écoulés depuis l’incendie. Il appuie sur le détail de ce qu’il a manqué et grimace en voyant les cinq appels manqués de Léana. Pendant qu’il fait défiler ses notifications, sa respiration s’accélère. Puis, prenant son courage à deux mains, il clique sur les messages de la jeune femme.
Sucre roux : Micah ! Où est-ce que tu es ? L’hôpital vient d’appeler Iris, Kaïs a été admis aux urgences !
Sucre roux : Il faut que tu viennes ! Iris est en train de péter les plombs parce qu’ils ne nous laissent pas le voir !
Sucre roux : J’ai peur, Micah. Les hôpitaux, ça m’a toujours angoissée.
Sucre roux : Ton père t’a confisqué ton portable ? C’est pour ça que tu ne réponds pas ?
Un mouvement discret attire l’œil de l’adolescent. Micah lève les yeux de l’appareil et, avec une moue crispée, regarde James s’incliner respectueusement devant lui. Le sourire désolé de l’adulte donne envie à l’adolescent de le rassurer mais seul un croassement étouffé sort de sa bouche.
— Je passerai vous voir demain matin, déclare James en lui tendant un verre d’eau. En attendant, il faut que vous vous reposiez.
— Et… les cours ? murmure-t-il difficilement tout en luttant contre le poids de ses paupières.
— N’y pensez pas. Vous n’êtes pas en état, déclare gentiment le majordome en reposant le verre sur la table de nuit.
Micah ferme un instant les yeux, espérant que l’adulte prenne ce geste pour un acquiescement. Il suit son visiteur du regard jusqu’à ce que la porte se claque doucement derrière lui. Le silence de la pièce lui semble plus assourdissant maintenant que James est parti. Un soupir de dépit résonne dans sa chambre et, non sans appréhension, le jeune homme se remet à lire les messages de Léana.
Sucre roux : Il est brûlé au troisième degré. Il dort depuis hier. Apparemment, ce n’est pas très douloureux car la chaleur a détruit les terminaisons nerveuses. Mais il a pris un sacré coup.
Sucre roux : J’ai l’impression qu’il a plus que ça, vu la tête du médecin.
Sucre roux : Micah ?
Sucre roux : Réponds-moi, s’il te plaît… Est-ce que tu vas bien au moins ? On a appris qu’il n’était pas seul quand les pompiers sont arrivés. Ils ne veulent pas nous dire qui c’est ! Mais c’est toi, n’est-ce pas ?
Sucre roux : Ça ne peut être que toi…
Sucre roux : Vous avez dû rentrer ensemble et quelque chose a mal tourné, n’est-ce pas ?
Le pouce de Micah tremble au-dessus du bouton de verrouillage du téléphone. Il n’est plus très sûr de vouloir connaître la suite du raisonnement de l’adolescente.
Sucre roux : Est-ce que c’est possible que ce soit toi, le responsable de ce feu ?
Sucre roux : Ton père… c’est sa Maîtrise ! Et même si ce n’est pas prouvé qu’il y ait une quelconque hérédité des pouvoirs… Il y a de grandes chances qu’entre toi et Kaïs, ce soit toi qui aies déclenché ce feu.
Sucre roux : Il ne voudrait pas que je te le dise mais…
Sucre roux : Est-ce que c’est toi ? Est-ce que c’est toi qui a mis le feu à cette maison ? Parce qu’il a fini par t’énerver ? C’est pour ça que tu ne réponds pas ?
Sucre roux : Une fille de ta classe m’a donné ses notes pour que tu puisses rattraper tes cours. Je peux te les ramener si tu veux…
Sucre roux : Micah ?
Sucre roux : Le docteur a fini par nous dire ce qu’il a. En plus de ses brûlures.
Sucre roux : Ce n’est pas quelque chose qu’il faut annoncer par messages mais… Tu ne me laisses pas le choix. Il faut que tu saches.
Sucre roux : Kaïs, il… Il n’a plus que deux mois à vivre.
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