49. Hélénie d'automne

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Cette fleur représente la tristesse et les pleurs.

°°°

Léana relève la tête. En un instant, son monde aux couleurs ternes se vêt de ce rouge si puissant. De ce grenat si familier qui l’emporte vers un autre univers. Quelques paillettes dorées viennent parer cette teinte qui la caresse, l’embrase et la rassure. Tu es chez toi, semble-t-elle lui susurrer.

Son cœur rate un battement. Sa respiration se bloque dans sa gorge serrée par les sanglots qu’elle a longtemps refoulés. Alors que la jeune fille comprend qu’elle n’est pas en train de rêver, ses larmes commencent à se tarir.

— Tu… pourrais éviter de me… regarder comme une… tanche, face de truffe. Je… sais que j’suis beau, chuchote-t-il péniblement, un petit sourire étirant ses lèvres sèches.

Des mots tranchants, lentement éructés d’un ton narquois. Ta voix est en piteux état mais ton égo est plus éblouissant que jamais. Léana essuie prestement son visage, gênée, pendant qu’un rire de soulagement se dégage avec difficulté de ses cordes vocales. Son souffle s’apaise progressivement. La pression que les doigts de l’adolescent exercent sur les siens n’y est pas pour rien. La discrète caresse de son pouce sur sa peau non plus.

— Je… pète la forme, tronche… de cake, murmure-t-il entre deux râles de frustration. T’inquiète… pas pour moi.

Le sourire qu’elle lui adresse n’atteint pas ses yeux. Léana aimerait lui affirmer qu’elle ne s’inquiète pas, qu’il guérira à coup sûr, qu’il reviendra au lycée avec Micah et elle… Mais je ne sais pas mentir. À voir la grimace agacée de Kaïs, elle comprend que celui-ci ne s’est pas laissé duper par son faux plissement de lèvres.

Perdante, elle baisse la tête vers le sol. Comment lui dire qu’elle n’a pas la force d’ignorer le verdict médical ? Même si elle était meilleure actrice, elle resterait bien incapable de fuir la réalité qui l’accable. Car, à quelques mètres d’elle, reposent toutes les preuves contraires à l’affirmation « tout va bien ». Ta peau a été ravagée par les flammes. Tes poumons seront bientôt saccagés par cette maladie qui te vole déjà ta voix. Non, tout ne va pas bien, Kaïs ! La mâchoire de Léana se resserre violemment pour empêcher ces phrases de dépasser la barrière de ses pensées.

Elle relève le menton et prend son courage à deux mains pour lui demander :

— Est-ce que… les médecins te l’ont dit ? Pour ta maladie… et les chances de…

Survie. Ce mot et tout ce qu’il implique explose dans son crâne. Mais elle n’est pas la seule à avoir deviné la fin de sa phrase. Son cœur se déchire lorsque il détourne le regard, lui qui affronte toujours ses interlocuteurs avec le brasier de ses pupilles.

La main du garçon se crispe sur la sienne. Même si ses lèvres se mettent à trembler, Léana ravale sa peine. Elle n’a pas le droit de rechercher du réconfort quand lui souffre beaucoup plus intensément qu’elle. Alors, la jeune femme presse délicatement les doigts de Kaïs et les caresse doucement avant de relâcher cette étreinte pour cacher les gouttes salées qui menacent de tomber. Mais le blond n’est pas de cet avis :

— Reste… là, face de… quetsche, éructe-t-il difficilement. S’il… te plaît.

Le grenat de ses yeux capture la cendre des siens pour une danse qui l’éloigne pendant quelques secondes de toutes les peurs qui vrillent son esprit. Elle comprend à cet instant qu’elle a toujours trouvé refuge dans son regard, qu’il soit dur, moqueur ou plein de reproches. Où vais-je pouvoir… ? Non. Léana inspire profondément pour chasser ses propres émotions. Sois forte. Pour lui.

— J’vais m’en sortir…, lance-t-il avant de tousser violemment. T’sais… que j’men… sors toujours.

Le barrage contenant ses larmes commence à se fissurer. Tu n’y crois pas. Tout son corps l’a senti. Comme si elle se cramponne à un espoir qu’elle sait infime, sa main serre doucement celle de Kaïs. Des mots qu’elle n’a pas tourné sept fois dans sa bouche se mettent à rouler sur sa langue :

— Et si cette fois ce n’était pas le cas ? l’interroge-t-elle en haussant, malgré elle, le ton. Et si tu avais brûlé ta dernière cartouche ? Les docteurs disent…

— Laisse-les…dire, coupe-t-il brusquement. Ils ne me… connaissent pas, putain. Franchement…

Alors qu’il continue de parler à s’en déchirer la voix, le ventre de Léana se serre. La jeune fille l’interrompt brutalement, se détachant complètement de sa poigne :

— Bordel, Kaïs ! C’est sérieux ! Tu… vas….

Léana est incapable de terminer sa phrase. Elle ne peut pas admettre la vérité dans le silence de cette chambre. Son corps lui interdit. Pris au piège par ses propres paroles, son esprit se met à répéter ce qu’elle se défend de prononcer. Mourir. Il va mourir.

Elle s’adosse sur la chaise et remonte ses pieds sur l’assise puis entoure ses jambes de ses bras. Le menton posé sur ses genoux, elle évite de regarder la personne qui centralise ses peurs. Elle ne veut pas se remettre à pleurer. Micah… Tu aurais eu les mots pour le rassurer.

— Qu’est-ce que tu… veux que j’te dise, putain ? l’interroge-t-il entre ses dents serrées. Que… j’ai pas peur ? Que j’t’assure… que je… serais en vie dans deux mois ?

La voix de Kaïs n’est plus qu’un souffle. Je veux simplement que tu vives. Léana lève discrètement les yeux mais elle est incapable de distinguer ce qui se joue sur le visage du jeune homme. Elle efface les traces humides de ses joues sur son jean avant de déplier ses jambes. Elle a besoin d’air.

Elle se poste près de la fenêtre pour observer les derniers rayons de soleil se réfléchir sur les nuages. La nature semble si calme comparée à l’ouragan qui hurle dans sa poitrine. Stop. Ta peine ne compte pas. Les bras posés sur le rebord de la vitre, Léana se fait violence pour maintenir le faible barrage contre ses larmes.

— J’peux rien… te promettre… Léa…

Ce surnom. Une première goutte d’eau roule lentement sur la peau de la jeune fille. Merde, Kaïs. Elle se retourne vers le malade pendant que la voix rocailleuse de ce dernier emplit la pièce :

— Après tous ces démons… que tu as combattu, bordel… Va à l’Académie… Deviens un putain de Maître…, murmure-t-il la tête baissée. Rends-moi fier…

— Tu vas venir avec moi, essaye-t-elle en s’approchant de lui. Tu…

— Nan, Léa… Putain…

Le premier sanglot de Kaïs déchire l’air et le cœur de la jeune femme. Il s’est à nouveau détourné d’elle pour l’empêcher de voir son visage. Les lèvres tremblantes, Léana s’avance vers lui et, le plus délicatement possible, l’entoure de ses bras. Ses yeux se ferment pendant que les doigts du garçon s’enfoncent dans son pull, la serrant contre lui comme s’il avait peur qu’elle ne soit pas réelle. Elle sent son meilleur ami trembler sous ses doigts et, alors qu’il plonge son visage dans son cou, le barrage cède.

Enfin.

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