Les Pissenlits | NON
Le matou cache sa bouille entre ses pattes. Il n’ose affronter la décision. Rien ne se passe. Lentement, il consent à décoller ses coussinets de son museau. Tu te tiens là, bras ballants. Maintenant privé de ta nécessité, tu ne sais ce qu’il adviendra de toi.
Au loin, le martèlement des presses, la course des tapis, le grondement des fours, le pivot des bras mécaniques s’entêtent dans leur tintamarre. Un nouveau cycle démarre. Combien en faudra-t-il avant d’apercevoir l’Olam Haba ?
— Tu comptes rester planté chez moi encore longtemps ? invective le matou.
Tu sursautes, réalises qu’une fine couche de poussière de bits s’est accumulée sur tes épaules, à trop attendre sous la bruine.
— Aussi longtemps qu’il le faudra.
— Pourquoi ne rejoins-tu pas les tiens ?
— Où ça ?
— En toi, pardi ! Dans le Sheol.
Tu hausses un sourcil. Jamais tu n’aurais cru devoir envisager cette possibilité.
— Je… je peux ?
— Mais bien sûr ! Laisse-nous travailler. Tu seras mieux là-bas qu’à traîner dans nos pattes. Oh ! Tu diras bonjour à mes congénères, hein ? Les vôtres aiment tant notre espèce ; je suis sûr qu’ils n’ont pas résisté à la tentation de nous emporter. Mais trêve de bavardages, j’ai une Fabrique à faire tourner. Allez, file !
La boule de poil a sans doute raison. Ce n’est pas pour rien que l’Homme a toujours été son esclave. Tu obéis. Tu fermes les yeux et les rouvres. Des chats envahissent tes jambes, ils se sont multipliés comme le chiendent et réclament caresses ou pâtée. Mais tu les délaisses vite. D’autres voix t’appellent. Des voix familières, les voix des êtres que tu as connus et que tu connaîtras. Crevasses béantes de sourires sur les lèvres, les voici tous réunis dans ce cloaque.
Tu ne soupçonnais pas transporter si lourd tombeau en toi. Ce n’est pas l’Olam Haba, mais au moins, le soleil brille, ici. Tu n’es plus seul. Et à tes pieds, s’étend sans horizon
un champ de pissenlits.
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