Chapitre 4

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L’air était lourd. Dans le ciel rosé dénué de nuages, des martinets virevoltaient en tous sens, formant d’étranges formes mouvantes. Assis sur un muret à côté de son ami, Alexis dégustait sa glace à la menthe.

- Je ne sais pas comment tu fais pour aimer celles à la fraise, elles sont vraiment dégueulasses.

- La fraise, c’est le best fruit.

- Non. Et encore moins en glaces ou en sirop !

- C’est sûr que ta menthe est bien meilleure, souligna Adrien.

- Tout à fait.

Pour expliciter ses paroles, le jeune homme but une grande gorgée verte et manqua de s’étouffer. Son ami émit un léger rire et demanda :

- Alors pour toi c’est quoi le meilleur fruit ?

- Le citron ! s’exclama Alexis.

- Bah, pourquoi tu n’as pas pris une glace au citron alors ?

- Euh…

- Laisse-moi deviner. Tu as confondu les deux couleurs ?

- Mais non ! J’avais simplement envie de faire des tests gustatifs.

- Oui bien sûr.

Les deux jeunes hommes échangèrent un regard complice, signe de l’amitié qui les unissait depuis un bon mois déjà. Il ne leur avait pas fallu longtemps pour se revoir et rapidement, leurs éclats de rire et leurs moqueries avaient témoigné d’eux-mêmes du lien qui se créait. Ils s’étaient découverts l’un l’autre. Alexis était ce qappelait un « boulet », sa maladresse et sa malchance se répercutaient sans cesse sur sa vie sociale. Pourtant, son intelligence et sa logique étaient remarquables à bien des égards.

Adrien, quant à lui, était un artiste. Un dessinateur qui tentait tant bien que mal de percer dans le monde du dessin. Son air bienveillant et ses sourires cachaient une sensibilité et une noirceur que son ami avait discernées à quelques reprises.

Ils se complétaient, se ressemblaient sur certains points et divergeaient sur d’autres.

Alors que les deux amis finissaient leurs glaces respectives, Adrien remarqua qu’il était largement le temps de rentrer : on devinait déjà les étoiles derrière le voile doré du ciel.

- Tu viens, il est tard, indiqua-t-il à son complice.

Ce dernier acquiesça et tous deux repassèrent devant le petit stand bariolé du glacier pour rejoindre le trottoir.

- Z’êtes mes plus fidèles clients, s’écria le petit homme bedonnant. J’vous f’rai une r’mise, la prochaine foê !

Alexis fit un signe de tête ravi au glacier, s’amusant discrètement de son accent. Il ne remarqua pas le regard méfiant que son ami lui lançait : lorsqu’Alexis souriait si béatement, une gaffe s’annonçait dans les plus brefs délais.

Adrien tira son comparse par la manche et remercia le commerçant d’un petit signe de la main, avant de prendre la direction de leur quartier.

- Eeeh, pourquoi tu me tires ? Je sais marcher tout seul ! fit remarquer Alexis en se dégageant de sa poigne.

- Désolé, mais j’ai eu un mauvais pressentiment, tout à coup. Un peu comme la fois où tu as renversé le barbecue et qu’on a frôlé l’incendie dans tout le quartier !

- Tu exagères, c’était seulement le jardin !

- Oui, un jardin qui faisait tout le quartier, rétorqua Adrien avec un sourire moqueur.

- On s’en fout ! Je vois pas le rapport avec le glacier, de toutes façons ! Lui il vend des trucs froids, il risque pas de foutre le feu !

- Évidemment qu’il ne va pas foutre le feu, tu vas le faire à sa place !

Offensé, Alexis se figea sur place et arbora une mine boudeuse.

- Tu racontes n’importe quoi ! s’indigna-t-il. C’est méchant ! Et en plus… Oh un petit chat !

Sa colère totalement envolée, le jeune homme suivait des yeux la petite boule de poils grise, sous le regard amusé d'Adrien. La capacité du maladroit à s’émerveiller pour si peu l' impressionnait. Il savait pertinemment que son compagnon allait encore faire une gaffe en suivant l’animal, mais il le laissa tout de même faire, rien que pour observer ses réactions.

- Minou, minou ! Viens voir papa !

Adrien pouffa devant cette attitude de gamin et emboîta le pas à son ami. Ce dernier commençait à perdre patience face aux réticences du chat à l’approcher. Plus il s’entêtait, plus la situation devenait comique. Lorsqu’Alexis finit par ramper sous un buisson dans le vain espoir de caresser l’animal, Adrien explosa de rire.

- Arrête de rigoler espèce de concombre blanchi !

- C’est quoi cette insulte ? rigola l’artiste.

- C’est ton surnom, espèce de concombre blanchi !

Sur ces mots, Alexis s’extirpa des rameaux du buisson et sauta sur ses pieds, le visage rouge et transpirant.

- Il est monté dans l'arbre ! s’écria-t-il en se précipitant vers un chêne qui étendait son ombre sur l’étal du glacier.

- Tu vas vraiment grimper dans un arbre dans le simple but de caresser un chat, là ?

- Bah… J’ai envie de le caresser !

- Pour quelqu’un qui a fait des études poussées, tu as des réactions vraiment enfantines, tu le sais ça ?

- Au diable l’intelligence et la maturité !

- Alexis, il est tard et il fait sombre, il vaudrait mieux que tu restes à terre. Fais attention où tu…

- Viens là, petit chat ! fit la voix du jeune homme qui avait déjà atteint les premières branches.

Déconcerté, Adrien se frappa la front en levant les yeux au ciel. Il sentait que la catastrophe n’était pas loin d’arriver… Le jeune homme s’appuya sur un mur et observa la périlleuse ascension de son ami, en craignant qu’il ne s’écrase à chacun de ses gestes. Le chat devançait Alexis de plusieurs mètres.

Ce dernier, maladroit, grimpait péniblement en se hissant sur les branches les plus robustes. Les rayons du soleil couchant commençaient à s’éteindre, disparaissant derrière l’horizon et plongeant la scène dans l’obscurité. Seules les guirlandes lumineuses du vendeur de glaces lançaient leurs lueurs multicolores sur les alentours.

- Alexis, fais gaffe ! prévient Adrien en plissant les yeux pour apercevoir son ami.

- T’inquiète, tout va… commença-t-il avant de perdre l’équilibre en hurlant.

- Alexis ! s’écria Adrien, alerté.

- …bieeeen ! termina le jeune homme en glissant sur le tronc de l’arbre, s’écorchant les poignets et les bras.

Un vacarme assourdissant suivit la chute vertigineuse de l’escaladeur. Le stand du glacier sembla voler en éclats : les bacs de glace se répandirent sur le sol, l’enseigne bariolée se détacha du support, les cornets vinrent s’écraser sur le trottoir en miettes éparses et quelques planches de l’étalage émirent un craquement sec. Le cri de surprise du vendeur déchira les tympans d’Adrien, qui se précipita relever son ami qui s’était écrasé au beau milieu des sorbets fruités et des glaces à la vanille.

- Ça va ? s’inquiéta-t-il.

- Rien de cassé, t’inquiète, souffla Alexis en s’appuyant sur lui pour se relever.

- Je vais finir par avoir un infarctus à force de te fréquenter. En plus, je te signale que tu es en train de repeindre mon gilet avec de la glace !

- Oups, pouffa le maladroit en tentant de réprimer un sourire qui aurait sûrement fâché le malheureux propriétaire du stand.

- Z’êtes mes pires clients, s’écria le petit homme dégoulinant de sorbet à la fraise. J’vous f’rai un procès, la prochaine foê !

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