Chapitre 1.2

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La reine partie, Sélène voulut embrasser ses deux parents avant de ne plus jamais les voir. Son père dont le visage larmoyant laissait paraître son immense peine lui tendait déjà les bras et sa mère essuyait ses larmes avec un mouchoir. Mais Zorian la tira brusquement par le bras, ordonnant aux soldats de reconduire les Loyel aux portes du palais. Sélène protesta, se débattit, mais le vieil homme la tint fermement et était encore fort pour son âge. Il était grand et très mince, les cheveux courts et blancs, avec un bouc. Sa silhouette rappelait celle d’un squelette mais il ne peinait nullement à la traîner derrière lui du haut de ses soixante-dix ans.

« Assez ! rugit-il brusquement après plusieurs mètres. Soyez reconnaissante de la bonté de Sa Majesté et montrez-vous-en digne. »

Elle se retourna et vit que ses parents avaient déjà disparus, emmenés par les gardes. Sélène se résolut à suivre le conseiller, le cœur serré. Qui avait-il de si pressant pour qu’on ne lui laissât pas même faire un dernier adieu à son père et sa mère ? Elle se devait de faire le vide dans sa tête sans quoi elle allait se mettre à pleurer à chaudes larmes. Et le vieux conseiller la gronderait sûrement encore.

Ce dernier la conduisit à travers des couloirs en pierre où étaient accrochés aux murs des torches à intervalles réguliers et des salons où les portraits de la famille royale ornés les murs, le regard fixe comme s’ils veillaient sur les lieux. De grandes fenêtres baignaient les pièces d’une lueur douce et chaude qu’accentuaient çà et là des cheminées. Le mobilier était le même partout aux yeux de Sélène, qui ne remarquait que les dorures sur le bois sculpté et les tissus aux motifs royaux.

Puis ils descendirent un escalier en bois qui grinçait sous chacun de leurs pas et le son du personnel qui s’affairait leur vint immédiatement aux oreilles. Quelqu’un donnait des ordres à travers le brouhaha ambiant, la voix d’une vieille femme. Il s’agissait évidemment de l’intendante. Ils poursuivirent leur chemin jusque dans une grande salle où une table de plusieurs mètres trônait au centre. Sélène remarqua immédiatement l’absence de décoration sur les murs. Evidemment ! Les domestiques n’ont guère besoin de telles fioritures, se dit-elle ironiquement. Elle regrettait déjà la peinture d’un paysage marin qui ornait fièrement l’âtre de la salle à manger dans la demeure de son père. Un peintre la lui avait échangée contre une robe pour le mariage de sa fille. Elle se souvenait très bien de la réaction de sa mère, surprise que son mari ait accepté une peinture en paiement.

« Je me suis dit que nous manquions de quelque chose au-dessus de la cheminée » avait ri le tailleur.

Elle et sa mère était d’accord sur un fait : il était la bonté incarnée. Ce souvenir lui tira un sourire sur les lèvres s’effaçant aussitôt que Zorian se tourna vers elle pour lui présenter madame Crépel, l’intendante. La vieille femme la dévisagea froidement de haut en bas et s’accorda sur l’avis du conseiller : Sa Majesté était bien trop généreuse et naïve pour accepter la fille de l’homme qui avait tenté de l’assassiner dans ses murs.

« Ne vous en faites pas, je vais lui donner tant de travail qu’elle n’aura guère le temps de comploter contre Sa Majesté. »

Sélène espérait qu’elle exagérait, hélas la vieille femme pesait chacun de ses mots avec la même précision que l’horloge au mur donnait l’heure. Aussitôt le conseiller parti, l’intendante appela l’une des domestiques – Émilie, une brune aux longs cheveux attachés en chignon qui devait avoir une trentaine d’année – et lui confia Sélène.

« Donnez-lui une tenue et mettez-la au travail. Je ne veux pas la voir paresser » fit-elle sèchement.

Si la femme de chambre eut la décence de vouloir paraître neutre, les murmures et les regards environnants firent comprendre à Sélène qu’elle n’était pas la bienvenue. Une rumeur courait déjà à son sujet, alimentée par le peu que les domestiques avaient entendu de la conversation entre Zorian et l’intendante.

Elle suivit Émilie jusque dans les combles où avaient été aménagé les chambres du personnel puis celle-ci lui remit une pile de vêtement et lui ordonna de se changer. Elle enfila une longue robe noire – paraissant toujours propre même si on la salissait – qui descendait jusqu’aux chevilles, et un tablier où ranger les ustensiles de nettoyage.

« Tu vas attacher tes cheveux exactement comme les miens, lui ordonna ensuite la femme de chambre. Ta tenue et ta coiffure devront toujours être irréprochables, compris ? »

Sélène prit docilement les épingles qu’elle lui tendait et dès qu’elle eut fini, la jeune femme l’examina de haut en bas. Puis elle l’emmena à travers le palais jusqu’à l’une des salles de réception où œuvrait déjà bon nombre de domestiques. Elle lui expliqua qu’après la mort du roi Drasyl, Sa Majesté Khiara avait fait renvoyer tous les serviteurs et en avait engagé de nouveaux en nombre plus limité. Mais la tâche pour garder le palais en état était restée identique, c’est pourquoi ceux-ci ne cessaient de travailler.

« Ne vous reposez-vous donc jamais ? la questionna Sélène.

  • Eh bien, nous dormons, évidemment, et nous avons droit à des jours de repos de temps en temps, mais nous ne pouvons pas les prendre tous en même temps sans quoi la saleté s’accumulerait et la tâche deviendrait insurmontable. »

Derrière elle, des yeux la scrutaient, se faisaient insistant ; les détails de sa mésaventure avait déjà fait le tour du palais, et personne ne voulait la voir ici, qu’elle soit coupable ou innocente.

Sélène se rassura : cela leur passerait avec le temps. Chiffon en main et sur la directive d’Émilie, elle entreprit le nettoyage d’une fenêtre dont la vitre était recouverte d’une fine pellicule de poussière. Dépossédée de ses rideaux, elle laissait une lumière vive inonder la grande salle de réception.
At-Atchoum… Sélène sentit son nez la picoter : sitôt retirée, les petites particules virevoltaient autour d’elle et lui chatouillaient les narines.

« Tiens, fit Émilie qui s’occupait d’une autre fenêtre en lui tendant un chiffon propre, met-le sur ton nez, tu verras que tu n’éternueras plus. La poussière s’installe si vite ! Il faudra t’y habituer. »

Elle la remercia, noua le tissu derrière sa tête et remonta l’autre extrémité sur son nez. Son chiffon allait de nouveau chasser la poussière quand l’autre femme de chambre l’interpella :

« Il faudra prendre une échelle pour faire le reste. Je vais aller en chercher une autre, tu peux prendre la mienne. Gare à ne pas tomber ! Il est aisé de perdre l’équilibre. »

Sélène acquiesça d’un signe de tête et s’exécuta immédiatement. Elle grimpa les premiers barreaux et se retourna un instant pour contempler la pièce. Elle n’en avait jamais vu d’aussi grande ! On aurait pu y tenir par millier. Les murs vert olive aux motifs floraux cousus au fil d’or donnaient à la salle un côté précieux et chaleureux. Son parquet en bois clair renvoyait la lumière qui se glissait à travers les grandes fenêtres, illuminant de mille éclats le mobilier tout aussi opulent que les tapisseries. En voyant cette salle de réception, on ne doutait pas de la richesse engendrée par le royaume. Sa Majesté devait être fière d’y accueillir ses invités ! Elle devait assurément s’y pavaner dans de somptueuses robes comme celles que vendait son père. Son père…

« Peut-être va-t-elle se calmer et revenir sur sa décision, s’encouragea-t-elle. Elle a eu peur pour sa vie, mais jamais papa ne serait allé jusqu’au bout. Elle finira par lui pardonner et tu pourras le revoir. »

Si sa naïveté tendait vers ces pensées, son côté rationnel la rappela à l’ordre :

« Sa Majesté n’a pas la réputation de pardonner. Tout le monde dit qu’elle est une femme cruelle et sans cœur.

  • Je constate que vous êtes déjà en train de rêvasser, jeune fille ! la gronda la voix érayée de l’intendante à l’autre bout de la pièce. Je sens que je vais avoir à faire avec vous ! Allez, du nerf ! Frottez-moi ces vitres, qu’elles brillent ! Et ne laissez pas de trace sans quoi vous devrez toutes les refaire ! »

Sélène s’attela tout de suite à la tâche, redoublant d’effort pour s’assurer de ne rien laisser d’autres que son reflet. Il était hors-de-question qu’elle subisse les foudres de l’intendante ni le nettoyage des six fenêtres seules. Cela lui prendrait des heures !
Fort heureusement, elle put compter sur l’aide d’Émilie pour lui donner quelques conseils et son aide ne fut pas de trop pour rendre impeccable les quatre autres fenêtres.

Nettoyer, balayer, astiquer, frotter, dépoussiérer. Bientôt, ses journées ne se résumèrent qu’à cela. Une boucle perpétuelle qui ne prenait fin que pour manger ou dormir.

Elle partageait une chambre – semblable à celles des autres en tout point – avec une jeune femme rousse de son âge, Rachel, qui la toisait du regard jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Le mobilier y était installé par paire : deux lits, deux commodes et deux tables de chevet. Les chambres des domestiques étant dans les combles du palais, il n’y avait donc pas de fenêtre et l’on s’y éclairait à la bougie.

Le soir, allongée dans son lit, Sélène se laissait aller à sa tristesse. Aucune larme ne passait la barrière de ses yeux, mais son cœur s’alourdissait et un nœud se formait dans sa gorge. La solitude pour seule compagnie. On ne lui parlait que pour lui donner des ordres. Pas un mot gentil, un encouragement ou une salutation ne venaient égayer ses journées. Elle ne s’en plaignait pas : elle avait accepté de supporter ces sentiments pour sauver la vie de son père. Et cela lui donnait le courage de se lever pour affronter une nouvelle journée.

Une part d’elle ne pouvait s’empêcher d’en vouloir à sa souveraine.

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