Chapitre 1.5

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« Cessez de rêvasser ! Allons, enfin ! Ne ressentez-vous donc rien à être en ce lieu, à faire ce travail pour votre reine ? » fit la voix de Mme Crépel de bon matin.

Sélène retint un soupir et s’appliqua à débarrasser les cendres de l’âtre de la cheminée de l’un des salons du palais. C’était dans cette pièce que la reine prenait son petit déjeuner lorsqu’elle n’avait pas d’invité.

« Pressons, pressons, il faut que le feu soit prêt et la pièce bien chaude lorsque Sa Majesté arrivera ! »

Ne voulant alourdir sa punition, Sélène accéléra. Le sceau rempli, elle se leva et faillit percuter Rachel qui arrivait, les bras remplis de bûches. La catastrophe fut évitée de peu, mais l’intendante n’avait pas perdu une miette de la scène :

« Bon sang, faites un peu plus attention ! Renversez de la cendre ici et vous serez condamnée à nettoyer ce tapis jusqu’à la fin du mois ! Rachel, s’il vous plaît, prenez donc ce sceau avant qu’il arrive un malheur. Vous, vous allumerez le feu. »

Les deux jeunes femmes obéirent ; Sélène confia le sceau à Rachel qui lui lança un regard foudroyant. Elle aurait voulu s’excuser, mais sa colocataire de chambre ne lui en laissa pas l’occasion et sortit de la pièce.
Sélène s’en sortit bien mieux avec le feu, c’était une chose qu’elle avait l’habitude de faire chez elle. En deux temps et trois mouvements, le foyer offrit une douce chaleur et crépita légèrement.

« Bien, voilà une bonne chose de faite ! » lâcha l’intendante soulagée que tout soit prêt à temps.

Annabelle arriva sur ces entrefaites, un plateau chargé de fruits, de pâtisseries, d’un œuf à la coque, et de vin pour accompagner le tout. Mme Crépel s’étonna de la voir si tôt, certaine qu’il lui restait bien une demi-heure avant le levé de Sa Majesté.

« Sa nuit a semble-t-il été agitée, l’informa la femme de chambre en déposant les victuailles sur une table basse.

  • Pauvre enfant, soupira l’intendante, un trémolo dans la voix, toutes ces histoires de mariage assombrissent son humeur. »

Si la vieille femme semblait s’émouvoir de l’état de sa souveraine, Annabelle n’en faisait pas grand cas. Dès qu’elle eut fini de disposer les différents récipients, elle ressortit sans un mot.

« Cela arrive-t-il souvent ? » s’autorisa à demander Sélène avec hésitation.

L’intendante tourna les yeux vers elle puis les traits de son visage s’adoucirent.

« Sa Majesté traverse une période difficile. A dire vrai, depuis que Feu son père n’est plus là, sa vie n’est que succession de problèmes. Vous n’êtes pas sans savoir qu’une femme n’est pas sensée gouverner. Or il lui a fallu se battre pour parvenir où elle est, mais pour combien de temps encore lui laissera-t-on le trône ? Cette question la tourmente nuits et jours. Certains veulent la marier, d’autres – et vous êtes bien placée pour le savoir – désirent la tuer. »

Sélène aurait préféré qu’elle ne le lui rappelle pas et baissa les yeux, honteuse.

« Ne restons pas plus longtemps ici à ne rien faire, vous avez hérité d’une punition, vous vous souvenez ? »

Ça aussi, elle aurait voulu l’oublier…

Finalement, sa journée ressembla à toutes les autres, avec quelques tâches ingrates supplémentaires. Exténuée, elle espérait pouvoir prendre bientôt du repos, mais le bal organisé par Zorian approchait et avec lui, de nombreux préparatifs.
Sélène, comme nombres de ses collègues, se trouvait rêveuse face à cet événement. Bien sûr, elles n’y participeraient pas directement – on laisserait le service aux valets – mais le simple fait de s’y retrouver actrices les enchantaient. Certaines espéraient qu’un prince, un roi ou un duc les remarqueraient – ignorant volontairement l’improbabilité de la chose – et d’autres se réjouissaient d’un futur mariage, certaines que l’un des prétendants ravirait le cœur de la jeune reine.

L’effervescence avait gagné tout le palais, ou presque.

Sa Majesté s’était octroyé une balade à cheval loin du palais et de son conseiller. Zorian était un homme droit que rien n’aurait pu détourner de la loi, et il était aussi buté. Il ne passait pas un instant sans parler des enjeux du bal et de l’importance que cela aurait pour l’avenir du royaume. Khiara en avait eu assez et après avoir fui aux écuries, avait enfourché son fidèle Onyx – un magnifique frison – avant de partir aux galops, laissant à peine le temps à sa garde de la suivre. Sa promenade n’avait pas eu l’effet escompté : aucune idée ne lui était venu pour se sauver de sa situation. Et lorsqu’elle rentra enfin, le vieux conseiller l’attendait devant le box de son cheval.

« Vous ne devriez pas le monter, il est trop grand pour vous, se soucia Zorian en observant la taille de l’équidé.

  • Parce que nous sommes une femme, une jument nous conviendrait mieux, c’est cela ? Allons mon ami, si nous nous rompions le cou, vos problèmes seraient terminés. Et nous apprécions grandement que notre tête soit bien au-dessus de celles des autres, ainsi il est impossible de se tromper sur notre rang, n’est-ce pas ?
  • Vous avez un rôle dans l’avenir de ce royaume, Votre Majesté. Aussi craindrais-je toujours pour votre vie.
  • Nous voilà ravie d’être réduite au simple rôle de poule pondeuse pour le prochain souverain, ironisa-t-elle en soupirant.
  • Dès lors que vous aurez un premier né, vous comprendrez l’importance de ce rôle. Votre époux sera la main armé, l’autorité, l’ordre, et à ses côtés vous serez…
  • Une poule pondeuse, répéta Khiara avec sérieux. Notre utérus sera exploité jusqu’à notre mort si nous n’avons pas de fils. »

Derrière elle, ses gardes retinrent un rire. Ils avaient l’habitude de ce genre d’incartade de la part de leur souveraine. A leurs yeux, c’était une femme de caractère qui maniait les mots aussi bien que les hommes.

« J’ai confiance en vous. Vous êtes suffisamment vive d’esprit pour comprendre les répercussions sur le royaume si vous ne choisissiez pas d’époux. Et sur vous-même. » répondit-il en lui adressant un sourire bienveillant.

Khiara posa le pied à terre, passa les rênes au-dessus de la tête de son cheval et s’approcha du vieil homme. Onyx, le frison royal, avait réputation de ne tolérer que l’écuyer chargé de l’entretenir et sa jeune propriétaire. Il se montrait têtu et canaille avec ceux qui n’avaient pas gagné ses faveurs. Zorian connaissait très bien le récit d’un jeu palefrenier qui s’était retrouvé coincé dans l’enclot du frison après avoir essayé de l’emmener pour lui dégourdir les jambes. C’est pourquoi l’animal l’intimidait fortement.

« Ne le craignez pas, il ne vous fera rien, le rassura la jeune reine en flattant l’encolure d’Onyx. Pas tant que nous serons à ses côtés. Et ces prétendants, allez-vous aussi rester près d’eux ? »

Elle glissa vers lui un regard appuyé, puis fit signe à son écuyer de venir chercher son cheval. L’équidé passa devant Zorian sans rien tenter. Et ce dernier se mura dans un silence embarrassé. Sa Majesté lui sourit d’un air satisfait puis se dirigea vers le palais, suivie par sa garde.

Plus tard cependant, elle se laissa envahir par la tristesse, les yeux de nouveau rivés sur le balcon de sa chambre. Elle ne voyait aucune issue favorable et elle le savait, Zorian finirait par réunir le conseil pour l’obliger à prendre époux. Le cœur lourd, un soupir franchit ses lèvres.

« Vous faites encore la moue ? l’attaqua Annabelle, les bras croisés et un sourire insolent aux lèvres.

  • Pour une fois, tiens ta langue, l’exhorta Khiara.
  • Demain vous allez rencontrer vos prétendants, impatiente ?
  • Pourquoi te sens-tu obligée de nous torturer ? N’as-tu pas suffisant d’emprise sur nous ? Cela ne te suffit pas ?
  • Vous me faites pitié, rit-elle en approchant. Vous ne valez pas mieux que ces gueux sur qui vous voulez tant régner. Vous croyez vraiment avoir l’étoffe d’une reine ? Vous n’êtes qu’une enfant trop gâtée qui ne connait rien de la vie ! »

Khiara se leva d’un bond, les sourcils froncés, le regard fixe. Bien qu’elle sût que sa femme de chambre cherchait constamment à provoquer ce genre de réaction, son émotion était trop vive pour être retenue.

« Tu oses ! Tu oses nous dire que nous avons été trop gâtée ? la gronda-t-elle en sentant son cœur se gonfler de colère. Tu oses prétendre savoir par quoi nous sommes passée ? Une femme aussi vile et cruelle que toi, qui ne connait pas l’empathie n’a pas la moindre once d’idée de ce que nous avons vécue !

  • Calmez-vous, Majesté, se moqua-t-elle en la dévisageant de haut en bas, vous ne voudriez pas que j’ébruite votre petit secret ? »

Ce rappel suffit à modérer la vive émotion de la souveraine. Malgré elle, son corps recula d’un pas et ses yeux glissèrent vers le sol.

« Tu ne gagneras pas toujours, Annabelle » lui promit-elle avec l’espoir qu’un jour, elle se débarrassait de cette impertinente femme de chambre.

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