Chapitre 2.2

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A peine avait-elle mis un pied dans la salle de réception que Zorian demanda le silence.

« Chers invités, Sa Majesté la reine Khiara de Bénéfiel » annonça-t-il avec cérémonie.

Tous les yeux se tournèrent vers elle. Pour ceux qui ne l’avaient encore jamais vue comme pour les autres, elle donnait un spectacle inoubliable. Que ce soit de par sa beauté naturelle ou la magnifique robe qui la sublimait, hommes et femmes de tout rang ne pouvaient qu’être envoutés.

« Elle est… sublime » lâcha Emilie.

Un avis confirmé par les autres femmes de chambre qui ne virent pas l’intendante croisant les bras et tapant du pied derrière elles.

« Mesdemoiselles ! » grogna celle-ci.

Lesdites demoiselles s’envolèrent brusquement tel une nuée d’oiseau face à un prédateur, gloussant dans les couloirs du palais. Seules Sélène et Annabelle n’avaient pas bougé. Cette dernière tourna les talons sans un mot : Mme Crépel ne la réprimanderait pas, elle était première femme de chambre après tout ! Un poste qui la plaçait hiérarchiquement juste en dessous de l’intendante.

« Venez Sélène, s’adoucit la vieille femme en posant une main dans son dos, je sais que c’est tentant, j’ai eu votre âge, mais ce n’est pas votre monde. »

Après des salutations en bonnes et dus formes, Zorian se précipita discrètement vers Sa Majesté pour lui glisser à l’oreille :

« Ne m’en veuillez pas de vous dire cela, mais… je vous en conjure Majesté, considérez chacun de ces hommes et prenez une décision.

  • Nous le ferons, soyez en assuré » répondit-elle avec un regard appuyé.

Si elle n’appréciait guère l’insistance de son conseiller, elle le savait soucieux de son avenir et de celui d’Ymirgas. Zorian était un homme loyal et ses motivations résultaient de son caractère paternel et protecteur.

Sa Majesté s’installa au centre de la table principale, entourée de ses prétendants. Zorian s’était assis un peu plus loin, veillant sur sa protégée et observant chacun des hommes qui se trouvaient à ses côtés. Si jamais l’un d’eux se montrait trop inquisiteur, il voulait être prêt y remédier.

Tout le long que dura le repas, la discussion tourna autour des nombreux avantages qu’aurait Sa Majesté a épousé celui-ci ou celui-là. Princes et roi tentaient de paraître la meilleure option quittent à souligner les points négatifs de chacun. Cela ennuyait fort Sa Majesté dont le regard se tourna vers le seul de ses soupirants qui restait silencieux : le fils du duc.

« Cassian Porel, le silence semble être votre allié. N’avez-vous rien à dire de vous ? l’interrogea-t-elle.

  • Vous connaissez ma famille, Votre Majesté, et vous me connaissez, dit-il avec un sourire, je n’ai nullement besoin d’argumenter. Je suis certain que vous aurez déjà deviné tout ce que je pourrais vous dire. Aussi veuillez pardonner mon silence s’il vous est désagréable.
  • Il ne l’est nullement » lui assura-t-elle avant d’être de nouveau sollicitée.

Après le repas, on attendit que Sa Majesté ouvrît le bal.

Le roi Victor prit les devants et invita la reine pour sa première danse. Bien qu’elle aurait aimé refuser, elle se devait d’en accorder au moins une à ses prétendants. Ce ne fut toutefois pas aux goûts des autres ; Dameric Jakarter fut le premier à protester, voulant lui aussi s’en voir honorer. Cassian Porel suivit : étant le plus jeune, l’honneur devait lui revenir. Et Beau de Lavalière dirigea un sourire charmeur vers Sa Majesté pour lui faire comprendre qu’il tenait tout autant que les autres à être le premier.

« Craignez-vous de ne plus avoir aucun intérêt aux yeux de Sa Majesté si j’obtiens sa première danse ? fit le prince Dameric en jetant un regard de défi à ses rivaux.

  • Si vous aviez un quelconque respect pour vos aînés, vous me laisseriez ouvrir le bal, rétorqua le vieux roi Victor.
  • Je m’inquiète, à dire vrai ! Le pouvez-vous encore sans vous blesser ? De plus, je crains que Sa Majesté ne s’ennuie avec vous, répondit le prince en lui adressant un sourire narquois.
  • J’en ai maté des plus coriaces que vous, mon garçon, grogna-t-il en le dévisageant comme s’il n’était qu’un vulgaire insecte.
  • Laissons-les se battre et allons danser, Votre Majesté, fit aussi discrètement qu’il le put, Beau de Lavalière.
  • Pourquoi vous en premier ? l’interrogea Cassian Porel en fronçant les sourcils.
  • Oui, pourquoi vous ? » répétèrent en chœur le roi Victor et le prince Dameric.

Ils se jaugèrent tous du regard, comme des lions après la même gazelle. L’esprit de cette dernière avait fui loin de son corps, s’accrochant à l’espoir que tout ceci n’était qu’un cauchemar et qu’elle allait se réveiller d’une seconde à l’autre.

« Vous faites perdre son temps à une demoiselle, et je me contente de la sauver de l’embarras dans laquelle vous la placez.

  • Vous l’y placez également ! riposta le prince Dameric. Cessez donc de prétendre être le meilleur d’entre nous.
  • Je ne prétends rien.
  • Si, vous le prétendez ! » s’immisça le fils du duc.

La jeune souveraine constata qu’ils étaient tous prêts à se sauter à la gorge, aussi décida-t-elle de mettre fin à leur querelle futile.

« Votre Majesté, Vos Altesses, Messire, nous accorderons une danse à chacun d’entre vous. Et nous commencerons avec vous, Majesté. »

Le vieux roi jeta un regard vainqueur à ses jeunes rivaux puis donna le bras à Khiara qui le suivit au centre de l’assemblée attendant qu’on débutât le bal.

La main sur sa taille fine, l’autre dans celle de la reine, le roi Victor guida une valse lente complètement en désaccord avec la musique. Il profita de cette proximité pour parler davantage de lui. Soudain il la rapprocha et chuchota :

« Vous êtes une jeune femme vraiment magnifique, Votre Majesté. J’imagine que vos enfants le seront également, et n’ayez crainte, je suis encore très vigoureux. »

Khiara dut se mordre la langue pour ne pas rire et vexer le roi. Elle trouva risible qu’il lui révèle ce détail intime alors même qu’ils se rencontraient pour la première fois, comme s’il craignait que son âge ne jouât contre lui.

« Eh bien, nous tiendrons compte de cela. »

Son air sérieux rassura le vieux souverain. Il sourit et quelques instants après, dut laisser sa place à un autre, le prince Dameric qui ne manqua pas lui aussi de glisser quelques mots et promesses privés à l’attention de la jeune reine. Une lueur malsaine dans son regard fit comprendre à Sa Majesté que le jeune homme était tombé sous son charme. Sans doute un peu trop. Sûr de lui, il lui susurra quelques mots doux à l’oreille, espérant qu’elle se montrerait réceptive à ses mièvreries. Par chance la musique stoppa à ce moment-là : il était temps de changer de cavalier.

Beau de Lavalière se tenait déjà prêt, son bras attendait docilement la main de la reine tandis qu’il lui souriait à pleines dents. Khiara fut soulagée de pouvoir enfin quitter le prince Dameric qui s’autorisa pourtant à lui demander une autre danse.

« Dans un souci d’équité, nous comptons vous donner à tous le même temps, ainsi aucun ne possédera un avantage que les autres n’auront pas. »

La réponse de la souveraine parut lui déplaire, aussi se contenta-t-il d’incliner respectueusement la tête avant de s’éloigner.

« Bien, soupira-t-elle avant de prendre une profonde inspiration, nous sommes à vous, Beau de Lavalière. »

Le jeune prince sourit de nouveau et entama de guider la danse. Il semblait plus nerveux que les autres. Ses yeux avaient du mal à rester dans ceux de Khiara.

« Veuillez pardonner ma maladresse, Majesté, dit-il sur le ton de la confidence.

  • Ne craignez rien, nous sommes tout aussi nerveuse que vous, mentit la jeune reine en constatant son trouble.
  • A dire vrai, j’aimerais vous parler d’une chose. J’aurais aimé le faire dans un cadre plus intime…

Khiara sentit son corps se raidir, priant qu’il ne s’élançât pas lui aussi dans une envolée lyrique.

  • Voyez-vous Majesté… je… je ne suis pas le moins du monde attiré par vous. »

Devant l’air interloquée de sa partenaire de danse, il se mit à rougir et s’excusa :

« Ce n’est pas contre vous, vous êtes magnifique et peu de femme possède la même grâce et vivacité d’esprit que vous. Je vous assure que là ne se situe pas le problème.

  • Poursuivez, l’encouragea-t-elle d’une voix rassurante en accompagnant ses mots d’un sourire bienveillant. »

Le pauvre bougre ne se douta pas une seconde du soulagement qu’il procurait à Sa Majesté avec cette révélation.

« Mon attirance… se situe plutôt vers le genre… masculin, chuchota-t-il de peur qu’on ne l’entendît. Mon père et ma mère souhaitent évidemment que je puisse tirer avantage de mon mariage, mais puisse que nous sommes dans les confidences… mon cœur est déjà pris. J’espère que vous comprenez, je vous demande de ne pas me choisir. »

Le regard suppliant, Beau craignit un esclandre pendant un court instant et perdit le rythme de la musique. Khiara se stoppa aussitôt, et le cœur gonflait d’une chaleur nouvelle, répondit :

« Altesse, rien ne nous ferait davantage plaisir que de ne pas vous choisir, lui révéla-t-elle. Promettez-nous cependant de vous marier avec l’élu de votre cœur rapidement. Ne laissez personne décider de votre avenir.

  • Je vous le promets, Majesté. Croyez-moi, j’ai retenu la leçon. Puis-je espérer vous avoir comme invitée ?
  • Bien entendu, nous en serions ravie. »

Le prince sourit de plus belle. Finalement, la fameuse rose noire n’était pas comme on la lui avait décrite. Elle avait un cœur et il s’empresserait de partager la nouvelle avec son amant.

Soulagé, Beau ne chercha pas même à prolonger la danse. A la place, il lui fit part de sa tristesse quant à sa situation et lui assura son soutien. Une attention que Khiara savait vaine mais qu’elle accueillit avec plaisir. Il était rare qu’on remette en cause les lois – les choix des hommes – mais si l’un d’entre eux pouvait se rendre compte qu’une femme était tout aussi capable de diriger un royaume, tout n’était peut-être pas perdu.

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