Chapitre 3 : Secrets
La nuit allait bientôt faire place au jour tandis que Sélène vidait le dernier sceau d’eau dans la baignoire. La salle de bain de la chambre où avait dormi Sa Majesté était bien plus petite que celle de la chambre royale. Elle avait pu le constater en allant chercher le savon, l’huile pour cheveux et des serviettes propres dans celle-ci. Son cœur battait à tout rompre depuis son réveil. Une pensée lui était venue en songeant à son programme de la matinée : comment le bain se passait-il ? Sa Majesté ne semblait pas gêné le moins du monde. Aurait-il dû l’être ? Il était habitué au regard d’Annabelle. Aussi ne songea-t-il aux difficultés de Sélène que lorsqu’il la vit hésiter après qu’elle lui ait enlevé sa chemise de nuit et ses bandages.
« N’as-tu jamais vu un homme nu ? » demanda-t-il soucieusement.
Sa question embarrassa la jeune femme devenant rouge comme une pivoine. Elle bégaya une réponse maladroite, indiquant qu’elle n’avait pas encore connu l’amour.
« Bien, dit-il en réfléchissant un instant, nous n’éprouvons aucune pudeur à ce sujet car nous sommes habitués, mais la première fois a été difficile pour nous, parce qu’après tout, on nous apprend dès le plus jeune âge à nous cacher. Mais nous ne sommes guère différents. Approche ! »
Sélène lui lança un regard paniqué et avança d’un demi pas dans sa direction.
« Allons, tu as déjà vu plus de la moitié hier soir. Tu n’as rien à craindre, insista-t-il doucement en saisissant sa main qu’il vint poser sur son torse blanc. Tu vois ? Il ne s’agit que d’un corps. »
Elle chercha à mettre fin à ce contact que son esprit jugeait déplacé : il s’agissait du roi après tout ! et Kaldrys la laissa faire, ne voulant l’effrayer. Ses yeux n’osaient pas rester sur le corps royal, et elle se demanda sans cesse comment elle s’était retrouvée dans cette situation.
« Nous trouves-tu difforme ? » fit le jeune roi pour tenter de détendre l’atmosphère.
Mais Sélène crut qu’il la réprimandait et secoua vivement la tête de gauche à droite en s’excusant pour sa maladresse. Kaldrys comprenait aisément sa difficulté, mais le bain allait refroidir et Zorian n’allait pas tarder à lui rendre visite. Le temps jouait contre eux, alors il lui demanda de se retourner un instant. Sélène s’exécuta et il se déshabilla entièrement puis grimpa dans la baignoire – satisfait de la température de l’eau.
« Voilà, est-ce mieux ? fit-il en guettant sa réaction.
- Veuillez… veuillez m’excuser, Votre Majesté, dit-elle en se retournant lentement. Je n’ai pas l’habitude de…
- Voir un homme nu ? Nous imaginons que tu sais comment les hommes sont fait, non ? Tu es éduquée. »
Il lui fit signe de lui donner le savon et commença à frotter sa peau avec.
« Je suis navrée, je… j’ai un peu paniquée, avoua-t-elle en triturant ses doigts, les yeux sur le sol.
- Ce n’est rien. Nous n’étions pas très fier non plus la première fois. Aussi maladroit qu’un agneau venant de naître. »
Cela fit sourire Sélène ; elle décida de prendre son courage à deux mains et de s’approcher du récipient en bronze où barbotait Sa Majesté. Elle fut soulagée de constater que la couleur sombre de celui-ci ainsi que l’eau ne laissaient rien voir de l’intimité du jeune homme. Et le fait que Kaldrys se montrait si compréhensif la rassura.
En même temps que son secret, elle avait découvert une autre personnalité derrière la femme impassible qu’il incarnait. Elle ne savait pas encore très bien faire la différence entre les deux.
La voyant moins intimidée, Sa Majesté lui demanda de verser l’huile sur ses cheveux. Sélène attrapa le flacon en verre épais exhalant un fort parfum de fleurs et s’exécuta. Puis elle vint délicatement masser la chevelure royale qui descendait jusqu’au milieu du dos du jeune homme. Ce contact la rendit nerveuse : ses gestes étaient maladroits et elle craignit de lui faire mal. Elle dut bien lui tirer les cheveux deux ou trois fois mais Kaldrys ne s’en plaignit pas ; ses gestes étaient bien plus doux que ceux de sa défunte femme de chambre.
Le corps de Sélène se tendit subitement, se rappelant qu’elle avait oublié de remplir la cuve en bois posée sur la table derrière elle permettant de prendre de l’eau pour rincer le corps du jeune souverain. Allait-il la gronder ? Elle se mordit la lèvre puis l’informa de son oubli.
« Eh bien tu t’en rappelleras la prochaine fois » dit-il simplement.
Elle s’excusa et partit remplir le sceau, prenant soin de fermer chaque porte derrière elle. Sur le chemin des cuisines, elle songea que le jeune homme était drôlement sympathique à son égard. Il avait été une reine plutôt dure et froide depuis son premier jour au palais, ce revirement de personnalité lui parut curieux. L’évidence lui fit penser qu’il cherchait à l’amadouer mais la raison la poussa à croire que c’était le résultat d’années de solitude. Ayant connu même brièvement Annabelle, celle-ci n’était pas du genre à tendre l’oreille sauf si cela pouvait lui servir. Jamais pour soulager. Le conseiller de Sa Majesté ? Il ne savait rien de Kaldrys et s’occupait bien trop des affaires de Khiara pour se soucier de son isolement.
Lorsqu’elle le rejoignit de nouveau, elle vit le jeune souverain la regardait avec amusement. La cuve remplie, elle se tourna vers lui et chercha un récipient.
« Va dans la salle de bain de notre chambre, tu trouveras ce qu’il te faut, lui indiqua-t-il en retenant un rire.
- Vous semblez de fort belle humeur, Majesté, lui fit-elle remarquer.
- Echapper à la mort a de quoi l’égayer, il est vrai. »
Elle regretta immédiatement de le lui avoir fait remarquer en voyant son visage se fermer. Ce qu’elle pouvait être maladroite ! Elle fit un rapide aller-retour dans la chambre voisine et ramena un pichet en céramique dont le bec était ébréché et les motifs à moitié effacés par le temps. Un objet qu’on n’aurait pu vraiment associer à la souveraine tant il semblait banal. Sélène avait retenu la leçon et ne posa aucune question. Elle le remplit puis versa délicatement le contenu en commençant par les cheveux du jeune homme qui grimaça à cause de la température de l’eau. Sélène ne l’avait pas faite chauffer, cela aurait pris trop de temps et à dire vrai, il y était habitué. Il fallut bien répéter l’opération trois fois avant que la chevelure soit entièrement délivrée de l’huile. Ensuite, il fallut passer au reste du corps. L’appréhension de Sélène reparut sur son visage et elle prit plus de temps pour remplir le pichet. Derrière elle, Kaldrys avait déjà retirer le bouchon de la baignoire permettant à l’eau du bain de s’évacuer. Un luxe qu’on retrouvait dans toutes les salles de bain du palais mais que peu de nobles possédait à travers le royaume.
« Allons Sélène, nous n’allons pas rester ici toute la journée, la pressa-t-il tandis que le froid léchait déjà sa peau avec avidité. Finissons-en avec cela, tu finiras par nous voir nu et il n’y a rien d’honteux à cela. Nous te jurons que notre corps est tout à fait normal. »
La jeune femme prit quelques secondes avant de se retourner vers le roi, le feu aux joues mais consciente qu’il lui fallait se libérer de sa gêne. Après tout, elle savait comment les hommes étaient faits, là sous la ceinture, et il n’y avait aucune raison d’en rougir. Qui donc avait décidé que ce sujet devait impérativement être un secret quand tous étaient composé des mêmes atouts ? N’était-ce pas l’arbre qui cachait la forêt ?
Ses yeux vagabondèrent discrètement tandis qu’elle versait le liquide sur le corps de Kaldrys. Ce dernier le remarqua mais n’en fit rien : il était normal d’être curieux, davantage dans ce cas-là. Il aurait été difficile à sa femme de chambre de l’aider à sa toilette en gardant les yeux fermés. Et tant que personne n’apprendrait que la reine Khiara était en réalité un homme, personne ne trouverait à y redire.
Une fois parfaitement débarrassé du savon, Sélène enveloppa le corps royal dans des serviettes en lin et le jeune homme sortit de la baignoire. Puis elle épongea ses cheveux avec une autre et dès qu’elle les jugea suffisamment secs, ils se rapprochèrent tous deux du lit où attendait les vêtements royaux. Une fois enfilés, il ne resta qu’à coiffer Sa Majesté et le maquiller.
« Que serait une femme sans tout cela, n’est-ce pas ? soupira Kaldrys. On se moque bien de l’inconfort du corset ou du temps que cela prend.
- Pourquoi ne pas y remédier ? Vous le pouvez, vous êtes la souveraine, fit Sélène en peignant délicatement ses cheveux.
- Nous sommes une femme à leurs yeux, chuchota-t-il, ne l’oublie pas. Une femme n’a pas le droit d’abroger des lois, ni de faire ce qui lui plait. Il lui faut l’aval de son mari. La pauvre sotte ne saurait que faire sans lui, assurément…
- Je dois avouer ne pas réellement comprendre pourquoi vous ne vous révélez pas, Votre Majesté. Vous êtes le fils du roi Drasyl, personne n’oserait vous délégitimer.
- Bien sûr que si. Il n’y a aucune trace de notre naissance dans les livres, ils font mention de notre sœur Khiara sans même préciser un autre enfant, pas même mort-né. Cela suffirait amplement à certains pour nous ravir le trône, expliqua-t-il soucieusement.
- Votre sœur, comment est-elle morte ? Vous avez dit hier qu’elle avait été assassinée mais personne n’a jamais retrouvé son corps. »
Les yeux azurs du jeune homme se figèrent sur elle et son visage s’assombrit aussitôt. Ma fille, tu ne sais pas quand il faut t’arrêter de poser des questions, songea Sélène, pétrifiée en pensant que son audace allait lui amener des ennuis. Elle s’apprêtait à s’excuser quand Kaldrys répondit, la mine grave :
« Nous devons te confesser quelque chose. A dire vrai, nous y sommes obligé. »
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