Chapitre 3.2

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Sélène pressentit que le jeune souverain n’avait pas fini de la surprendre. Elle craignit ce qu’il voulait lui révéler ; si personne n’avait jamais retrouvé le corps de la princesse et que Kaldrys savait qu’elle était morte, il n’y avait qu’une logique à cela : il l’avait tuée. Avait-il aussi tué son père ? L’esprit de Sélène fut soudain submergé de questions et d’hypothèses toutes plus terrifiantes les unes que les autres. Annabelle était-elle au courant de tout cela ? Probablement. Avait-elle voulu en tirer parti ? Elle n’en douta pas une seule seconde. Était-ce à cause de cela qu’elle avait été tuée ? Allait-il lui arriver la même chose ?

« Notre sœur… Nous avons menti, elle est toujours en vie, dévoila-t-il en guettant sa réaction. Si nous t’en faisons part, c’est parce qu’il faudra que tu lui apportes à manger ce soir. Elle doit être inquiète de ne pas avoir reçu la visite d’Annabelle.

  • Mais… où… où est-elle ? hésita Sélène, sous le choc.
  • Nous te montrerons. Tu attendras que tout le monde soit couché et tu iras aux cuisines prendre ce que tu trouveras. Nul besoin de faire chauffer quoi que ce soit, tu devras être discrète. Et si jamais quelqu’un te surprend, tu n’auras qu’à dire que nous avons une fringale nocturne. Ensuite tu nous rejoindras dans notre salon. Celui-là même où tu écoutais aux portes.
  • T-très bien » fit-elle en baissant les yeux à l’évocation de ce souvenir.

Si Khiara était encore en vie, pourquoi diable son propre frère la gardait enfermée quelque part ? Sélène garda cette question pour elle ; la réponse viendrait bientôt et sa curiosité aurait pu attiser la méfiance du jeune roi.

Dès qu’elle eut fini de le coiffer et de le maquiller, Sélène examina brièvement ses mains. Ses blessures formaient une zébrure disgracieuse mais ne saignaient plus. Elle préféra cependant les bander de nouveau : Sa Majesté n’allait pas rester inactif et elle redoutait de les voir se rouvrir. A peine eut-elle fini qu’on frappa à la porte. Kaldrys fit signe à Sélène d’aller ouvrir et Zorian se présenta, vêtu de son éternelle tenu noire de conseiller. Il posa un regard dur sur la nouvelle femme de chambre puis son attention se reporta immédiatement vers sa souveraine.

« Votre Majesté, fit-il en venant s’incliner près d’elle. Comment vous sentez-vous ?

  • Avez-vous trouvé quelque chose dans la chambre d’Annabelle ? demanda-t-il pour éluder sa question.
  • Rien, si ce n’est des pièces d’or. Beaucoup trop même pour une première femme de chambre. Il est logique de penser qu’elle a été payée pour vous tuer.
  • Faites vider la chambre, ensuite Sélène pourra s’y installer. »

Le conseiller tourna des yeux sévères vers celle-ci, comme s’il la soupçonnait déjà de préparer un noir dessein à l’encontre de Khiara. Puis il remarqua les bandages et se radoucit.

« Est-ce douloureux, Votre Majesté ? s’enquit-il.

  • C’est supportable, ne vous en faites pas.
  • Êtes-vous certaine de ne pas vouloir voir un médecin ? Je vous supplie de reconsidérer son installation entre ces murs.
  • Nous allons bien et ce ne sera pas nécessaire. Nous connaissons vos inquiétudes, sachez qu’elles nous réchauffent le cœur.
  • Mais vous n’en ferez rien » soupira Zorian.

Un sourire étira les lèvres de Sa Majesté. Les pensées du conseiller lui étaient limpides ; il savait que sur ce point, il n’irait pas contre sa volonté. Le vieil homme connaissait la méfiance de sa protégée pour les étrangers. Et il ne pouvait décemment pas s’opposer à elle sur tous les sujets. Si l’un d’eux voulut franchir la barrière de ses lèvres, Zorian préféra inviter le souverain à le suivre pour le petit déjeuner. Il pensa que des sucreries adouciraient son humeur et souhaitait être certain de son état ; les tentatives d’assassinat se multipliaient, il était aisé de se sentir désespéré et Khiara restait une jeune femme de seulement vingt ans à ses yeux. Il s’étonnait de ne jamais avoir surpris une crise de larmes. Elle avait pris son rôle de souveraine très à cœur, mais celui-ci l’avait éloigné de la légèreté de l’enfance. Zorian craignait de la voir s’endurcir un peu plus.

Tandis que Sa Majesté se battait avec un œuf à la coque dont la coquille se refusait à céder, le conseiller l’observait silencieusement. Les bandages sur les mains royales lui intimaient l’ordre d’aborder le sujet brûlant qui tournait dans son esprit.

« Faites-moi voir cela, Majesté, dit-il en désignant l’œuf.

  • Nous prendriez-vous encore pour une enfant ? répondit Kaldrys avec un sourire.
  • Je sais que vous ne l’êtes plus, à mon grand regret. »

Il tira vers lui le coquetier et brisa la coquille d’un coup sec avec sa cuillère avant d’ajouter :

« Comme s’est passé votre nuit ? Avez-vous pu dormir ?

  • Oui, Sélène a été d’un grand secours à ce sujet.
  • Êtes-vous certaine, à propos de cette jeune femme ?
  • Elle sait qu’elle tient la vie de son père entre ses mains, elle ne fera rien contre nous. En cela nous croyons.
  • Bien, dans ce cas, n’en reparlons plus. J’aimerais vous entretenir d’un autre sujet : la sécurité au palais ne semble pas suffisante, nous craignons tous pour votre vie. Laissez-moi ordonner qu’on double les effectifs. »

Kaldrys acquiesça et ramenant l’œuf vers lui, laissa son regard sur le vieil homme. Il suspectait que la sécurité du palais ne soit pas le seul sujet dont il voulait lui parler et ne s’y trompait pas.

« Votre Majesté, avez-vous fait un choix quant à votre futur époux ?

  • Vous semblez y songer bien plus souvent que nous, s’ils vous plaisent tant, peut-être devriez-vous vous marier à l’un d’eux ? »

Leurs regards se confrontèrent et un sourire naquit sur le visage du souverain, rapidement balayé par Zorian :

« Votre Majesté, combien de fois faudra-t-il qu’on essaye de vous supprimer pour que vous compreniez l’importance d’un mariage ?

  • Une fois de plus, il semblerait. Nous devrions apprendre à nous défendre, ainsi le risque d’être tuée s’en retrouverait amoindrie.
  • Les femmes ne se battent pas, Votre Majesté.
  • Assurément ! Elles sont bien trop frêles pour porter une épée et ne possèdent ni bras ni jambes ni cerveau. Par chance, elles parviennent tout de même à faire la cuisine et la lessive, sans quoi, qui sait ce que l’on aurait fait d’elles.
  • Votre Majesté…
  • Nous apprendrons l’art de l’épée, décida-t-elle.
  • Pourquoi ne pas plutôt reprendre la broderie ? Vous aimiez cela lorsque vous étiez enfant.
  • Nous étions obligée d’aimer cela, corrigea Kaldrys en fronçant les sourcils, toute jeune fille bien née doit apprendre la broderie. Si nous avions été un homme, la question ne se serait pas posée et aujourd’hui, nous saurions nous battre.
  • Vous souffrez d’être une femme, je le comprends…
  • C’est faux, l’interrompit-il, nous souffrons de ce que les hommes ont décidé de faire des femmes. Pensez-vous que nous vous soyons inférieures ?
  • Une femme ne se battra jamais comme le fait un homme, Votre Majesté.
  • Parce qu’elle n’aura jamais bénéficié du même entrainement. Notre père nous a inculqué des valeurs, les siennes, et jamais nous ne laisserons le trône à quelqu’un qui ne les respecterait pas.
  • Dois-je comprendre que vous n’avez pas suffisamment appris de vos prétendants pour faire un choix ? »

C’est vous qui n’avez pas assez appris de moi, pensa le souverain sans oser le dire. Il savait ne pouvoir le convaincre d’être le meilleur choix pour le trône.

« Nous portons tous des masques et il est difficile d’y déceler les mensonges. Cassian Porel et Dameric Jakarter, trouvez quels sont leurs secrets, nous voulons tout connaître d’eux.

  • Je suis ravi que vous y ayez réfléchi, Votre Majesté. Puis-je savoir pourquoi vous écartez les deux autres ?
  • Le roi Victor est un bon roi, mais son âge joue contre lui. Quant à Beau de Lavalière… il nous a fait une confidence qui le met hors-course. »

Zorian leva un sourcil interrogateur mais abandonna bien vite de le questionner en remarquant son regard intraitable : il ne lui dirait rien. Et d’une certaine façon, il avait eu ce qu’il voulait et fait avancer le sujet délicat du mariage. Sa protégée avait beau le rejeter de tout son être, elle n’aurait pas le choix : il valait mieux pour elle décider de qui épouser. Pour son propre bien. Il ne voulait pas la marier de force à un homme qu’elle exécrerait toute sa vie.

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